19. Un secret derrière le soleil
Le vent soufflait sur les dunes, soulevant le sable pour créer un tourbillon. D’abord petit, il s’éleva et grandit, alimenté par la force de la terre et la magie du ciel. Les tempêtes de sable n’étaient jamais bon présage à Rui Wang ; elles étaient interprétées comme la colère du désert voulant punir une injustice.
À l’abri dans une grotte, les deux rescapés de la caravane se reposaient. Un petit feu flambait au centre tandis que Tilidad s’occupait de son dromadaire. Blessée durant l’attaque, elle utilisait des herbes séchées pour soigner la plaie. Le meocs volé du brigand s’était reclus dans une cavité et ne semblait pas vouloir en bouger.
Il finit par se coucher au bout d’une heure, épuisé par les tremblements de ses pattes ; le résultat de l’adrénaline pulsé dans son corps. Créatures magiques, ils étaient dotés de nombreuses facultés impressionnantes, qui possédaient cependant des contreparties. Certains comparaient ça avec un sablier : la magie se dissipait lorsque le dernier grain de sable s’écoulait et prenait le même temps pour se recharger.
Onyx n’avait pas décroché un mot depuis l’attaque, il avait suivi la jeune femme à travers le désert pour trouver ses massifs rocheux et s’abriter. Il s’était assis auprès du feu, son regard s’était figé sur les flammes, ne prêtant aucune attention à son amie. Cette dernière l’observait, ne sachant pas comment aborder la conversation. Après tout, il lui avait sauvé la vie.
Mais le garçon semblait prendre conscience de ses actes que maintenant. La gorge nouée, il quitta les flammes et examina ses mains. Ces mêmes mains qui avaient brandi un arc et tué un homme. Les mains d’un meurtrier.
— Merci.
Ces sourcils se froncèrent à ce murmure. Relevant la tête, il croisa le doux regard de son interlocutrice, un sourire en coin.
— Tu m’as sauvé la vie, là-bas… Je voulais t’en remercier.
— J’ai… j’ai tué quelqu’un pour ça.
— Si tu ne l’avais pas fait, c’est moi qui serais morte dans le désert.
C’est vrai, ce bandit avait un poignard lorsqu’il tenait la chevelure de la jeune femme. Un frisson parcourut la peau d’Onyx lorsqu’il s’imagina la suite de cette histoire s’il n’avait pas agi. Une marre de sang tachant les grains de sable, un corps sans vie et un meurtrier qui s’en serait pris à lui par la suite. S’il n’avait pas décoché cette flèche, ils ne seraient plus de ce monde, il en était sûr. Pourtant, la culpabilité ne semblait pas vouloir se détacher de lui.
— Tu sais… ce monde est plus cruel que ce que tu t’imagines.
— Je m’en doute bien.
— Non Onyx.
Le regard de Tilidad se fit plus insistant, sa voix plus dure.
— Je ne connais pas la raison de ton voyage et je m’en fiche, mais tu ne sais pas à quel point les gens sont fourbes.
Elle retira son chèche et remonta l’une de ses manches, laissant entrevoir le tatouage dont ils avaient vaguement discuté au caravansérail.
— Ce symbole est le signe de Thalios et de l’emprise que peut avoir la cité sur ses habitants. Lorsque Esyadell est tombé, ma famille et moi nous sommes réfugiés à la capitale. Nous espérions avoir une nouvelle vie, mais nous nous trompions.
Alors qu’elle continuait son discours, Onyx observa le tatouage avec attention. Ce n’était pas un tatouage fait à partir d’encre, mais plutôt fait par le feu. Une marque au fer rouge, graver dans la peau par la brulure qu’elle repend.
— J’ai été faite esclave à mon arrivée, et je n’ai jamais revu ma famille. Je suis resté une dizaine d’années enfermé dans un cachot avec de nombreuses autres filles. Nous servions d’escorte pour les voyageurs fatigués qui traversait simplement la ville et se reposait une nuit ou deux.
Le garçon ne prononça aucun mot et écouta son discours, son ventre se nouant lentement à l’idée de s’imaginer toute la douleur qu’avait pu éprouver son amie.
— Badho était l’un de ses voyageurs. La nuit de notre rencontre, j’ai essayé de le tuer.
— Le tuer ?!
— J’en avais assez de cette vie de misère, et j’ai saisi l’opportunité de ne plus être enfermé. Il m’a vite maitrisé, et alors que je pensais qu’il abuserait de moi comme l’avaient fait les autres, il m’a fait une proposition : rester ou vivre libre.
— Qu’as-tu fait ?
— J’ai saisi l’occasion. Il a appelé d’autres filles à le rejoindre pour son « divertissement », ses hommes ont assommé les gardes et nous avons filé dans la nuit. Certaines esclaves ont regagné leurs foyers, leurs villes. D’autres ont décidé de rester avec nous, ou de voyager de leurs côtés.
— Comme Corail ?
— Oui. Mais cette vie nous a marqués. Dans son cas, elle ne parle presque plus, apeurée à l’idée d’avoir tort ou de mettre quelqu’un en colère. Pour ma part, ces péripéties m’ont endurci.
Onyx offrit un fin sourire à la jeune femme, la remerciant silencieusement de lui avoir confié une part de son histoire personnelle.
— Tout ça pour dire que… si l’on décide de quitter notre logis pour s’aventurer dans ce monde, il faut être prêt à affronter n’importe quel danger, et de ne pas hésiter à utiliser la force quitte à blesser…
— … ou tué.
— Retiens bien ces paroles Onyx : lorsque la situation semble désespérée, écoute ton corps, oublie ce que te dicte ton esprit et agis. Tué cet homme était la seule solution, ne pas l’avoir fait aurait mis ma vie et la tienne en péril. Alors, ne te blâme pas pour sa mort, et réjouis-toi d’être toujours vivant.
Les épaules du jeune homme se relâchèrent tandis qu’il expirait. Tilidad n’avait pas complètement tort, et il le savait. La jeune femme se leva et sortit de l’une de ses sacoches deux tasses de cuivre et une théière qu’elle vint déposer sur le feu et la remplir d’eau. Elle y ajouta des fleurs séchées et patienta. Lorsque l’eau se mit à bouillir, elle en versa le contenu dans les tasses et en tendit une à son compagnon de route.
— La tempête ne se calmera pas avant un moment. Nous ferions mieux de nous reposer. Une bonne tasse de jewerly et au lit.
— De quoi ?
— Du jewerly, c’est un mélange de fleurs et de… d’un assortiment de poudre que seul Badho connait. Je n’ai jamais douté de ses infusions, même si elles sont parfois douteuses. Il donne ça aux gars lorsqu’ils ont combattu ou qu’ils reviennent de patrouille un peu trop longue, ça détend les muscles et les fait dormir comme des loirs.
— Si nous dormons tous les deux, nous ne risquons pas d’avoir de mauvaises surprises au réveil ?
— Ne t’en fais pas, je résiste aux effets soporifiques de cette boisson. Toi en revanche, tu as bien besoin de repos après notre aventure. Je te réveillerais lorsque la tempête sera levée.
Un rire échappa au garçon, puis but la tisane. Il remercia Tilidad et se leva pour récupérer ses affaires. Il les avaient décrochés des flancs du meocs à leur arriver, craignant la réaction de l’animal à une éventuelle nouvelle approche.
Alors qu’il déballait ses affaires pour en extraire une couverture, Sarshall surgit comme un lion, se secouant dans tous les sens. Elle surprit Tilidad qui resta à regarder le félin, les yeux grands ouverts.
— Sarshall, viens là.
Le garçon délaissa sa sacoche pour attraper le chat et le poser sur ses cuisses. Il caressa son poil à contre sens, retirant de nombreux grains de sable qui s’étaient logés dans le pelage de l’animal.
— Même protégée dans ton sac, elle n’a pas pu échapper au sable.
— Elle déteste ça.
— Je veux bien te croire.
Le regard de la jeune femme se balada sur les effets personnels de son compagnon de route, et s’arrêta sur le grimoire qu’il transportait.
— C’est quoi ce vieux livre ?
Onyx se tendit un bref instant, tournant la tête pour constater de la négligence qu’il avait faite.
— C’est… un vieux bouquin que j’ai acheté à Tenerice.
— Je peux lire ?
— Je… ne préfère pas.
Tilidad fronça les sourcils, mais ne rajouta rien. Elle se contente de regarder le jeune homme ranger le grimoire au fond de sa sacoche et de sangler le tout. Il semblait embarrassé par ce détail, ce qui l’a poussé à fouiller un peu.
— Dis-moi, je n’ai pas posé de question lorsque Badho t’a introduit à la caravane, mais pourquoi voyages-tu jusqu’à Thalios ? Seul et sans expérience.
— Je… euh…
Elle l’observa avec satisfaction ; le voir essayer trouver ses mots, créée une histoire pour en cacher une autre. Beaucoup de voyageurs mentaient sur leurs destinations ou leurs intentions pour ne pas se mettre inutilement en danger.
— Disons simplement que je suis une quête.
— Une quête ? Quel genre de quête ?
— Tout ce que je peux te dire avec certitude c’est que j’en apprendrais plus à Thalios. Je ne sais moi-même pas trop quel genre de quête je suis.
La jeune femme se résigna.
— Elle est dangereuse cette quête ?
— … je pense que je l’ai sous-estimé.
— On fait souvent cette erreur quand on voyage pour la première fois.
Il rangea ses affaires et se servit de sa sacoche comme d’un oreiller. Il s’allongea sur le dos, Sarshall trouvant domicile sur son ventre.
— En espérant que tu aies un bon sommeil.
— Je compte sur toi pour ne pas m’étouffer avec du sable.
Le pic du jeune homme fit rire son amie qui remua le feu. La tempête passa au-dessus du massif rocheux, mais les deux survivants ne s’en soucièrent pas, embrumés par l’infusion de la jeune femme, Onyx tomba bien vite dans ses songes.
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