Les esprits de la vieille Ecosse
Une obscurité froide s’était emparée du château d’Eilean Donan. Posté à la porte d’entrée, un soldat alluma sa pipe et son regard fut attiré vers le pont reliant la forteresse à l’Ecosse. Celui-ci disparaissait progressivement dans un épais brouillard. Au fur et à mesure qu’il s’approchait, des murmures fantomatiques semblaient en émaner, suscitant une peur paralysante chez la sentinelle. Dans un bureau au dernier étage du donjon, le capitaine Cromwell essayait de déchiffrer les messages écrits en Oghams à la lueur d’une petite lampe, en vain. Jetant un coup d’oeil à la fenêtre, il fut surpris de voir se lever une brume tellement opaque qu’elle empêchait de voir le ciel étoilé. Il entendit de vagues râles fantomatiques et sentit un frisson lui parcourir le dos.
Dans leur cellule, Aigneas, Alea et Fergus essayaient de dormir, étalés sur le sol froid et humide. Intriguée par d’étranges râles diffus, Aigneas se leva et regarda à travers les barreaux. L’épais brouillard accompagné de ses murmures surnaturels envahit le couloir le plongeant dans une atmosphère glaciale. Terrifiée à la vue de ce phénomène paranormal, Aigneas recula tandis que Fergus et sa soeur se réveillaient à leur tour. Dès que le couloir fut entièrement plongé dans la brume opaque, la porte de la cellule des trois jeunes résistants s’ouvrit dans un léger grincement. Prudemment, ils sortirent de leurs cellules et remarquèrent que les autres prisonniers avaient fait de même. Malgré le brouillard, ils se réunirent autour des trois jeunes résistants.
— Ce brouillard n’est pas naturel, moi je vous le dis, s’exclama un vieux prisonnier, par je ne sais quelle sorcellerie, il nous a libérés et les voix qui en émanent ne peuvent être que celles de fantômes !
— Dans tous les cas, ces fantômes nous ont été d’une aide précieuse, intervint Fergus. Avec le brouillard, nous pouvons en profiter pour accéder à l'armurerie et s’évader en force !
— Il ne faut surtout pas oublier les codes, dit Aigneas, même si nous parvenons à nous emparer de la forteresse, le capitaine Cromwell peut encore s’enfuir avec les codes et les déchiffrer à l’aide d’expert en langues anciennes.
— C’est pour cette raison que nous devons faire vite, complèta Alea, Fergus, Aigneas et moi allons récupérer les documents tandis que les autres prendront le château par les armes ! Vous êtes prêts ?
Déterminés, les résistants hochèrent la tête. Tous ensemble, ils se précipitèrent vers la sortie des souterrains et surgirent sur les remparts du château en plusieurs groupes. Dissimulés par le brouillard opaque, ils prirent par surprise les quelques sentinelles qui n’eurent pas le temps de réagir et les mirent hors combat. Dans les couloirs du donjon, Aigneas, Fergus et Alea s’avançaient prudemment, se dissimulant derrière un mur à chaque fois qu’ils entendaient quelqu’un arriver. Un groupe de résistants pénétra dans un autre couloir au bout duquel se trouvait l’armurerie. Celle-ci était gardée par deux militaires qui furent surpris de voir cette troupe leur foncer dessus. L’un d’eux réussit à abattre quelques évadés avec sa mitraillette Sten mais fut submergé par le nombre et mis hors d’état de nuire. Le second, quant à lui, réussit à appuyer sur un bouton d’alarme juste avant que les résistants ne l’assomment. Tandis qu’il rangeait les documents codés dans une mallette, le capitaine Cromwell fut saisi par la sonnerie de l’alerte puis se précipita vers la fenêtre. Malgré la brume qui imprégnait le donjon, il vit des silhouettes armées courir et tirer dans tous les sens. Comprenant la situation, il s’empara de la précieuse mallette et de son revolver avant de sortir de son étui. A quelques étages plus bas, les trois jeunes résistants se précipitèrent à leur tour tandis que l’alarme assourdissante résonnait. Ils furent freinés dans leur élan par un Steward qui, surpris leur ouvrit une porte. Ce dernier voulut prendre son arme rangée dans son étui mais Fergus lui décrocha un rapide coup du droit qui le fit s’étaler sur le sol. S’emparant de l’arme du fasciste, l’Ecossais se précipita vers un escalier, suivi des deux soeurs.
À l’entrée du château, les soldats avaient placé un camion devant la lourde porte ainsi que quelques mitrailleuses, décidés à ne pas laisser les prisonniers s’échapper. Plusieurs de ceux-ci tentèrent d’attaquer le barrage improvisé mais furent aussitôt abattus par des rafales mortelles. Tandis que plusieurs résistants s’étaient mis à l’abri, plusieurs d’entre eux se faufilèrent dans les couloirs d’enceinte, équipés de grenades. Une fois au-dessus de la porte d’entrée, ils ouvrirent discrètement les fenêtres sans que les soldats ne s’en aperçoivent. Des grenades furent lancées depuis celles-ci et explosèrent, pulvérisant les défenseurs et le camion. La porte d’entrée étant désormais détruite par le souffle de l'explosion, les résistants se précipitèrent vers leur liberté retrouvée.
Au bout de l’escalier, les trois jeunes résistants aboutirent dans une haute salle à manger décorée de portraits de militaires, de drapeaux et d’armoiries en tous genres. Ils s’arrêtèrent subitement lorsqu’ils virent surgir le redoutable capitaine Cromwell tenant une mallette à la main. Rapidement remis de sa surprise, ce dernier dégaina son pistolet et tira. Fergus et Alea eurent le réflexe d’éviter la balle, ce qui ne fut pas le cas d’Aigneas. Ayant reçu la balle en plein dans le ventre, tomba à genoux les jambes tremblantes et s’étala sur le sol. Dissimulé sur le côté de la cheminée, Fergus vit l’adolescente agoniser tandis que son sang s’écoulait sur le tapis. La rage au ventre, il surgit de sa cachette prêt à tirer. L’officier fasciste fut de nouveau plus prompt et lui tira une balle dans la jambe. Le résistant blessé tomba en tenant contre lui sa cuisse percée d’une balle. Profitant de cet état de faiblesse, le capitaine s’avança vers lui et pointa son arme sur sa tête. Surgissant, Alea saisit l’officier par le poignet mais Cromwell s’en libéra aisément et la frappa avec sa main armée. Étalée sur le sol, son nez saignait et le fasciste s’approcha d’elle.
— Ce n’est pas la mort que tu dois craindre, lui dit-il, car si il y a bien une chose que tu dois connaître, c’est le secret de ce mystérieux code ! C’est pour cela que tu m’accompagneras jusqu’à Edimbourg comme prisonnière !
— Plutôt mourir que vous révéler quoi que ce soit, vermine de Steward, répondit Alea, mes révélations ont déjà coûté la vie à trop de gens et d’innocents !
— N’en sois pas aussi sûr, jeune impudente ! Nous avons déjà réussi à te faire parler, nous pourrons bien recommencer !
Il s’avança vers elle et la saisit violemment par le poignet. Soudain, il entendit le grincement d’une porte qui s’ouvrait lentement et se retourna. Il vit une porte grande ouverte, menant vers un escalier mais personne n’était entré. Empoignant fermement Alea, le capitaine Cromwell s’avança prudemment vers la porte. Au fur et à mesure qu’il s’en approchait, il entendit provenir des escaliers un murmure fantomatique. Progressivement, un brouillard s’engouffra dans les escaliers et commença à envahir la pièce. Dans cette brume opaque flottaient des silhouettes spectrales composées de fumées. La salle fut ainsi plongée dans le brouillard et des murmures et sifflements fantomatiques se firent entendre. La peur gagna Fergus, Alea et le capitaine Cromwell qui restèrent paralysés et regardèrent autour d’eux. Une des spectres brumeux prit la forme d’une vieille femme et flotta en direction de l’officier fasciste. Ce dernier, trembla de peur, braqua son pistolet vers le fantôme. Cromwell tira mais les coups de feu passèrent au travers de la femme spectrale. Elle s’approcha de l’officier, l’enveloppa de ses bras et se changea en une épaisse vapeur dans laquelle il disparut. Témoin de ce spectacle surnaturel, Fergus entendit un cri de terreur et souffrance. Le brouillard se dissipa et le corps de l’officier Steward tomba sur le sol tel un pantin désarticulé, le visage figé par la peur et le regard vide. Peu à peu, la brume s’estompa pour disparaître totalement avec les murmures fantomatiques qui l’accompagnaient. Le jeune écossais vit Alea s’avancer vers lui afin de l’aider à se relever. Il fut surpris de ne plus sentir la douleur à sa jambe et constata qu’elle était guérie et cicatrisée. A peine fut-il remis debout que lui et Alea furent étonné de voir que le corps d’Aigneas s’animait et respirait. Ils se précipitèrent vers elle et la regardèrent tandis qu’elle s'asseyait, interloquée.
— Nous pensions que tu étais morte, dit Alea en la serrant contre elle.
— Je l’étais, répondit sa soeur, mon âme allait rejoindre l’Autre-Monde mais au lieu de cela, j’ai pu regagner mon propre corps totalement guéri !
— Voilà qui est inhabituel, remarqua Fergus, comme se fait-il que tu aies pu revenir à la vie alors que le capitaine Cromwell t’avait pourtant bien abattue.
— Voilà un mystère que seule Beira aurait pu résoudre, dit Alea, je me demande si les esprits de l’Autre-Monde n’ont pas voulu t’épargner mais qu’il fallait que quelqu’un perde son âme en échange de la tienne.
— Et ce fut celle du capitaine Cromwell qui fut emportée, remarqua Fergus, comme si une forme de justice vengeresse s’était abattue pour nous soutenir dans notre lutte.
— Mais ce qui fut le plus étrange tandis que mon âme voguait entre la vie et la mort, c’est qu’à un moment donné, j’ai cru voir la silhouette de Beira qui contrôlait un brouillard. Et dans ce brouillard, elle guidait les âmes des guerriers morts, dont des Jacobites ou encore des résistants que nous avons connus.
Aigneas remise sur pied, les trois jeunes résistants s’avancèrent vers une fenêtre ouverte. Au pied du donjon s'étalaient les cadavres de résistants prisonniers et de soldats fascistes. Au loin, ils virent s’éloigner le mystérieux brouillard continuant d’émettre ses murmures et sifflements fantomatiques. Alea, Aigneas et Fergus comprirent qu'ils entendaient la voix de ceux qui étaient morts pour protéger leurs proches et la terre de leurs ancêtres, l’Ecosse éternelle.
Annotations
Versions