De la haine ...
Je vous ai haïs toutes ces années.
Je vous détestais et vous me le rendiez bien. Entre nous, c’était une guerre quotidienne, depuis longtemps. Elle avait commencé lorsque j’étais revenue en France, en CE1. Comme si ma couleur de peau un peu trop sombre, ne suffisait pas à me démarquer, il fallait que vous aussi vous vous fassiez remarquer. Vous n’en faisiez qu’à votre tête, dédaignant toute loi, même celle de la gravité.
Dans la classe, les autres enfants vous regardaient, intrigués. Vous auriez dû être normaux. Pour la couleur, ça n’était pas trop mal, mais votre forme ? Votre texture ? Un échec, un scandale ! Ma pauvre mère s’arrachait vos congénères : que faire de vous ? Aucune technique ne convenait. Alors on vous attachait, histoire que vous ne fassiez pas trop parler de vous.
Je dois vous reconnaître, qu’à défaut d’être domptables, vous n’étiez pas prompt à attirer les nombreux parasites qui courraient sur les têtes de mes petits camarades. Mais c’était bien là votre unique qualité (et encore, vous avez failli une fois…). Bon, avec votre compétence à amortir les chocs, comme la fois où une échelle s'était écrasée sur ma tête dans le rayon du Monoprix ...
En CM1, ma sœur m’a emmenée chez un dresseur professionnel. Quelques coups de baguette chimique, et je ressemblais enfin à toutes les autres filles. Vous aviez été maîtrisés, vaincus, aplatis ! J’étais la plus belle, la guerre était gagnée.
Quelle funeste erreur ! C’était mal vous connaître, vous n’aviez pas dit votre dernier mot. Hérissés par l’horrible sort que je venais de vous faire subir, vous vous êtes soulevés. De façon unanimement désordonnée, chacun d’entre vous le faisant à sa manière. Il n’y avait plus rien à faire, j’étais totalement dépassée : ma mère vous a fait couper.
En CM2, vous aviez réussi, je ressemblais à un garçon. J’avais droit au « jeune homme » de la boulangère et aux moqueries de mes camarades de classe. J’avais honte de moi et honte de vous. Je ne serais jamais une fille normale. Pourquoi vous acharniez-vous à être drus en plus d’être courts ? Je vous parais d’accessoires sans qu’aucun ne parvienne à vous rendre un peu de charme. Au moins les gens devinaient quel était mon sexe. A défaut d’être jolie, j’étais une demoiselle.
Au collège, j’avais trouvé la solution : désormais, je vous cacherais. Bon sang, combien vous m’avez coûté cher ! Enfin … Vous avez coûté cher à mes parents. Au bas mot, 800 euros par an. Vous ne les méritiez pas, la reconstruction de ma confiance en moi, si. Alors, je payais pour porter des faux « vous ». Je vous recouvrais 360 jours par an. Vous étiez marrons moches, eux étaient noir de jais ; vous étiez tordus selon votre volonté, eux étaient bouclés selon la mienne. Vous n’étiez pas doux, eux non plus, je dois l’avouer. Mais avec eux, je me sentais mieux. Pourtant, j’avais aussi droit aux moqueries : « tu piques », « tu ressembles à Méduse »… J’en passe et des meilleures.
Adolescente, je lisais ces magazines qui donnent des conseils pour vous entretenir, vous lustrer, vous cajoler. Je les détestais presque autant que vous. Ils n’étaient valables que pour les autres, ces conseils ! Pas pour les énergumènes farouches que je possédais ! Toujours aussi courts, d’ailleurs, vous vous refusiez à grandir avec une opiniâtreté déconcertante. Je ne vous voyais qu’un jour par mois, qui suffisait à m’apercevoir que vous étiez toujours aussi laids et ingérables. Personne ne vous aimerait jamais, ni moi ni aucun garçon sur cette Terre.
Et puis, en troisième, le jour où j’ai de nouveau dû vous porter à la vue de tous est arrivé bien malgré moi, avec ses larmes et ses « ton coiffeur s’est suicidé ? ». On vous touchait sans gêne, parce que vous étiez « marrants ». Vous ne faisiez plus partie de moi, vous étiez une propriété publique. Ce n’est pas vraiment que je vous appréciais mais mon corps reste un tout : même si c’était vous, je voulais qu’on vous respecte. Alors j’ai crié, j’ai giflé jusqu’à ce qu’on vous lâche.
Ce jour là, j’ai aussi eu droit à un « mais tu es belle, aussi comme ça ». Ah ?
Au lycée, je l’ai rencontré, mon Prince Charmant. Évidemment, devant lui, je vous cachais ! Il n’avait droit qu’aux faux. Mais il me trouvait toujours belle même quand j’étais affreuse, c’était encourageant !
Devant l’insistance de mes sœurs qui me disaient qu’il fallait que je fasse la paix avec vous, je vous ai peu à peu ressortis. Nous avons commencé à nous apprivoiser. Mes camarades ne se moquaient plus, ils touchaient toujours et commentaient sans ambages mais ils ne riaient plus. Parfois, on vous complimentait même. Peut-être qu’on se réconcilierait un jour ?
J’ai fini par vous présenter à mon Prince. Il a dit qu’il vous aimait moins que les faux, mais que j’étais toujours jolie. Il m’a aussi dit que vous ne pourriez jamais être doux. J’étais un peu d’accord, mais ça m’a blessée. A croire qu’il me restait encore un peu d’espoir en votre potentiel.
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