Grossesse et dépression
Les semaines passent, et Esther appréhende la fin du jour avec angoisse.
« Viendra-t-il, encore ce soir pense-t-elle »
Mathias est insatiable. Pourtant, elle ne fait rien pour l’encourager, elle reste inerte et tout en fermant les yeux elle tente de transporter son esprit dans la forêt qui hante ses pensées. Mais parfois, elle n’y arrive pas, elle a trop mal, elle voudrait que cela s’arrête, chaque seconde lui semble une éternité.
Si son amie n’était pas là pour la réconforter, elle ne pourrait pas endurer ce calvaire.
Elle ne porte plus son médaillon dans sa couche pour ne pas l’indisposer.
Mais chaque fois qu’il la prend, elle le déteste de plus en plus et sa colère demeure au plus profond d’elle-même.
Ce matin, Esther ne se sent pas bien, et elle appelle son amie :
— Lorena, viens vite !
— Esther c’est toi. Que t’arrive-t-il?
— Je me sens mal.
— J’arrive ! Et Lorena inquiète, presse le pas pour arriver au plus vite auprès de son amie.
Esther est pliée en deux.
— Je suis ma…lade, murmure-t-elle d’une voix tremblante, avant de vomir tout son déjeuner.
Lorena la regarde un instant, puis elle se met à rire.
— Arrête de rigoler s’il te plaît.
— Tu n’es pas malade, Esther. Tu es juste un peu …enceinte.
— Je vais avoir un bébé ?! s’écrie Esther affolée.
— Oui ma chérie, un tout petit être qui va grandir dans ton ventre.
C’est une bonne nouvelle. Ajoute Lorena sautillant de joie en serrant son amie dans ses bras.
— Je vais avoir un bébé… un bébé… psalmodie Esther.
— Tu dois annoncer la nouvelle à ton père. Ajoute Lorena.
— Oui, je le ferais, mais laisse-moi un moment, veux-tu.
Oh, je me sens vraiment mal. Ajoute-t-elle en se précipitant vers la salle d’eau.
Enceinte, Esther cristallise à présent tous ses espoirs sur son futur enfant, ce petit être qui grandit en elle.
Elle est presque heureuse parfois, et se sent en osmose totale avec le fœtus qu’elle porte. Quand il naîtra, elle sera pareille à la vierge à l’enfant. Elle trouvera enfin le bonheur, un bonheur ineffable, affirme-t-elle.
Quand elle parle ainsi à Lorena, celle-ci la prend pour une folle.
— Crois-moi, lui dit-elle, un enfant n’y changera rien, tu te fais des illusions.
Mais Esther ne l’écoute pas, tout sera différent, elle y croit profondément.
Neuf mois plus tard, Esther met au monde une petite fille qu’elle va prénommer Lana.
Tout au long de sa grossesse, Mathias ne l’a pas importunée. Et il s’est contenté de quelques aventures avec des femmes d’Epsilon.
Il est déçu, il espérait un garçon, et il a fallu qu’elle accouche d’une fille. Décidément, en plus d’être nulle au lit elle n’est même pas foutue de lui donner un fils. C’est vraiment une incapable.
Enfin dans quelques jours, il pourra à nouveau s’accoupler avec elle, et espère-t-il l’engrosser.
Il élabore déjà des projets pour son futur rejeton, il suivra les traces de son père et de son grand-père, ce sera un grand soldat.
Sa fille, elle peut bien la garder, il se préoccupe peu de cette mioche.
Après ses couches, Esther entre en dépression, elle se met à pleurer pour un rien, et de noires pensées emplissent son esprit, et noient son cœur de sombres tourments.
— C’est normal "disent les médecins", c’est une dépression post-partum.
Elle n’a pas assez de lait pour alimenter son bébé aussi on la confie aux bons soins d’une nourrice.
Les mois passent, mais elle se sent toujours aussi mal, elle doit à nouveau satisfaire les exigences sexuelles de Mathias, et cela empire les choses. Esther n’a plus goût à rien, elle ne mange presque plus, elle maigrit, ses yeux semblent privé de vie et son visage est pâle et maladif. Elle reste couchée une bonne partie de la journée, ses seuls moments d’apaisement sont ceux qu’elle passe auprès de son enfant. Même son amie ne peut rien pour elle, celle-ci tente en vain de la secouer, de la remettre sur pieds sans succès. Lorena ne peut pas être disponible en permanence, elle doit accomplir des missions et elle s’absente souvent pendant de longs jours, mais à son retour la situation reste inchangée. Esther est toujours passive, enfermée dans une déprime insurmontable.
Lorena doit agir, elle va trouver la seule personne qui peut aider son amie.
Le jugeant responsable de sa souffrance, Esther n’a plus voulu le voir. Mais maintenant, elle a besoin de son père, c'est le seul qui peut encore l’aider, et s’il aime sa fille Gregorio accédera à sa prière.
Elle demande à être introduite auprès du grand maître qui accepte de la recevoir, il sait que c’est l’amie de sa fille, les médecins lui ont appris qu’Esther était malade, mais qu’ils ignoraient ce qui causait son état.
Il lisait dans l’esprit de sa fille, mais tout était sombre et confus, il y voyait de l’apathie, et tous ses sentiments étaient prostrés dans un engourdissement complet, et cela l’inquiétait.
Il accueille la jeune fille :
— Salut à toi Lorena.
— Je vous salue Maître Gregorio, répond la jeune fille en s'inclinant devant lui.
Et elle reprend :
— Maître, je dois vous parler d’Esther.
— Je t’écoute.
— Je sais qu’elle refuse de vous voir, mais son état est alarmant et vous seul pouvez l’aider. C’est mon amie et vous devez intervenir. Si vous ne faites rien, elle finira par se laisser mourir et vous en serez responsable.
Gregorio outré réplique :
— Je ne te permets pas de proférer de telles choses, elle a décidé elle-même de ne plus paraître devant moi. Elle a un homme et un enfant, et je me refuse à intervenir dans sa vie privée.
Un peu plus calme, il poursuit :
Mais tu as raison, je l’ai sondée et ce que j’ai lu dans son esprit me terrifie, aussi j’irais la trouver, et Dieu fasse qu’elle m’écoute.
—Je vous en remercie, Maître Gregorio.
—Va donc Lorena, que la journée te soit douce.
Suite à la visite de la jeune fille, Gregorio se rend auprès de sa fille. Il s’approche silencieusement et s’assied sur le bord du lit. Esther est endormie sur sa couche.
Il lui caresse doucement les cheveux et elle ouvre les yeux.
— Papa…dit-elle, étonnée. Qu’est-ce que tu fais là ?
— Je sais que tu ne vas pas bien, ma chérie, veux-tu m’en parler ?
Esther le regarde, et une vague de pensée la submerge. Elle se revoit, petite fille, si fière de son papa qui venait d’être nommé grand maître de Latora. Elle se remémore la complicité qui les liait tous les deux.
Toute l’affection et tout l’amour qu’elle lui portait alors s’insinuent en elle.
L’afflux de ses tourments refoulés au fond de son subconscient remonte à la surface, et elle s’effondre en larme, sanglotant, sa tête posée sur les genoux de son père.
— Ma chérie, murmure Gregorio, les larmes aux yeux.
— Oh papa… Si tu savais…si seulement tu savais…hoquette-t-elle à travers ses larmes.
— Je sais ma puce, je sais…mais tu es une grande fille, tu dois être forte.
Que dirais-tu de partir en mission, quelques jours loin d’ici te ferait le plus grand bien. Lui propose-t-il gentiment ?
Et Esther se souvient de la forêt. Le bonheur et la joie qu’elle avait ressentie ce jour-là.
— Je pourrai revoir Arkhanium et ces si braves paysans ?
— Oui ma chérie.
À présent, les yeux d’Esther brillent d’un nouvel éclat.
« Oui partir d’ici, retourner là-bas, pense-t-elle ».
— Merci, papa, je t’aime mon papa, lui dit-elle en l’entourant de ses deux bras.
— Je t’aime, ma chérie, dit Gregorio, et de la main il essuie furtivement les larmes qui naissent au bord de ses yeux.
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