Les 5 Mousquetaires: Réminiscence
Le soleil était haut et la sueur me battait les tempes comme ça m'avait manqué comme c'est le cas après chaque hivers. Je marchais sur le chemin, mon ombre suivait et mon sac me tirait les épaules. J'avais des courbatures dans les jambes pour une raison que je raconterais et la chaleur rendait l'atmosphère délicieuse et le corps dynamique. J'avais du temps à perdre et c'était une belle journée, mais je marchais vite. Je marche toujours plus vite quand je suis tout seul, l'intérêt n'est plus alors dans la personne mais dans le trajet et un rythme plus soutenu n'empêche ni souvenirs, ni pensées mais il réduit la vision. Je pensais vaguement chercher une nouvelle usine désafectée pour avoir un toit en soirée et j'avais peut-être le projet de lire un peu mais en réalité, je marchais pour marcher. Je quittais donc Halluchère sac sur le dos et manteau trop chaud. Et voilà que j'apercevais notre ancien repaire, ce qu'il en restait. Je n'y étais pas retourné depuis qu'ils y avaient touchés, je ne pensais pas que ça me perturberait à ce point. Je commençais à marcher le long de l'usine et à-travers le grillage j'apercevais un chantier avec des grues, du sable, des ouvriers et de l'animation, mais plus d'usine. Et alors je fut pris d'une immense colère contre Vinci, mais aussi contre ses employés, contre moi-même d'avoir laissé cela produire. Je voulais casser la gueule aux ouvriers tout en sachant que ce n'était pas leur faute. Détruire ce lieu sacré, c'était détruire des souvenirs incroyables et la colère céda la place à la tristesse. Une profonde réminiscence s'empara de moi, comme lorsque qu'une bourrasque de vent nous rappelle une sensation. Quelque chose de tellement grand et divin qu'il semblerait qu'il ait été gravé dans mon être avant ma naissance. Tous les souvenirs que j'avais sur ce lieu, je vous les raconterais, me percèrent le cœur, j'avais l'impression qu'ils étaient trahis. Le foyer des Mousquetaires, le cœur embrasé de Nantes était démoli pour faire place à une résidence en béton à 800 euros le loyer tous frais compris. J'étais pourtant trop joyeux et trop tristement heureux pour ressentir du dégoût. Je repensais à chaque aspects du lieu, et tous se profilait en détails dans ma tête et je me demandais ce qu'il était advenu des roses au milieu des ordures. Elles représentaient la vie qui jaillit de l'abîme, le sacré de la poussière, des seringues et des vieux mégots. Ils ne pouvaient pas détruire la vie, elles devaient encore être quelque part. Je tombais sur ce vieux terrain vague, c'est là que j'avais été en premier avec Le Duc ce jour-là. Il y avait la même bicyclette magnifiquement rouillée et tordue, comme un vieillard plein de panache dans son long manteau. Mais elle était dressée fièrement cette fois, en signe de résistance. « Vous avez eu les autres, mais vous ne m'aurez pas, moi ! » Je m'imaginais cette bicyclette sans pédales donner sa vie en râlant avec la voix d'un vieux. C'était magnifique. Je savourais encore une fois le squat et prenais quelques photos puis je reparti, je n'avais pas trouvé les belles roses rouges au milieu des ordures. Me voilà de nouveau sur la route, c'était l'impression que j'en avais. J'avais l'impression et le désir de ne jamais m'arrêter, comme si j'étais un vagabond de passage à Nantes qui s'en allait son sac sur le dos. J'enlevais mon manteau et rajustais mes écouteurs, et j'étais reparti vers une nouvelle terre, aussi simple que ça. Je marchais sur les pas de mon ancien être, hanté par les souvenirs du Passé et par ceux qui auraient pu l'être. Et voilà que je m'arrête, j'aurais voulu éclater de rire. D'un rire brutal et profond et terrifiant et grave, mais je ne voulais pas effrayer les jeunes femmes et leur bébé dans l'herbe. Il y avait le même trou, le même que cette fois, défoncé au même endroit par nos propres bras et épaules pour nous prouver qu'un groupe était invincible, et pour l'éclate. Le soleil m'inondait et j'étais actif comme jamais, l'excitation m'envahissait et le sourire m'étouffait. Je m’exclamais en mon for intérieur : « Hou ! Ah ! Tout est là ! Ici et il y a un an, et dans vingt ans aussi ! Regarde vieux, regarde ! ». Je délirais complètement, un délire mystique, de ceux qui font que rien ne compte plus et que tout est important. J’aperçus un vieillard derrière moi et je pensais : « C'est moi ! C'est moi dans cinquante ans, je retourne là où tout a commencé. Dans des décennies je serais toujours poursuivis par les mêmes spectres et je viendrais ici pour faire mes adieux solitaire parce que je saurais que je vais mourir. » Et c'était vrai, il était vieux, décharné et abîmé par le temps, mais sa tristesse était magnifique. Comme une goutte de sang sur une feuille de ronce. Je prenais le mauvais chemin et le perdait de vue, il ne faut pas connaître son Destin. Je croisais des coureurs et je m'imaginais qu'ils me prenaient pour un vagabond respectable et triste. Je devais avoir la mine d'un type violent qui a ses raisons ou celle d'un excité complètement fou. Après tout je m'étais vu marchant vers la mort. Je revenais sur le droit chemin et montait sur le Pont. Il était vraiment différent de jour et beaucoup moins beau, mais j'aimais cette sensation de proximité avec le Soleil, aérien. Je cherchais du regard une bouteille de 1664 avec un message : « Elle est à New-York. ». De l'autre côté marchait un vieux avec une bonne tête, il avait l'air déterminé et grave, c'était Guillaume dans 50 ans. Son spectre dégageait un sentiment d'inéluctable, il savait qu'il allait mourir. Puis Gwen passait à vélo, de la pitié ou du regret dans le regard, un regard pour moi, il me reconnaissait. Il continuait. Je m’imaginais en reprenant la marche que nous avions décidés que nous n'arrêterions jamais de marcher et que lorsque nous aurions trouvés l'endroit parfait, nous nous serions arrêtés et rejoints et nous aurions attendus la mort en nous racontant des souvenirs, deux bières et trois clopes à la main. Nous aurions marchés des semaines, peut-être des années, mais nous aurions trouvés l’endroit pour mourir, nos souvenirs nous talonnant comme le spectre d'un vieux mégot pour un fumeur trop pauvre. J'arrivais à la nationale et comme le charme se rompait, je revenais. Le soleil semblait plus terne, mais j'étais apaisé. Je méditais sur le fait que c'est lors de cette soirée là, sur ce pont que trois hommes s'étaient élevés au stade Nocturne et étaient devenus Mousquetaires. Avant notre mort, nous accéderons au stade Solaire. Tout était magnifique cette nuit-là parce que nous n'avions rien nous avions tout, tout ce que nous voulions nous l'avions, c'était peu et ça représentait tout. Et si j'avais eu la sagesse que j'ai alors, j'aurais pu dire gravement : « Voilà, tout est là. ». Et ils auraient approuvés. Je pris une photo lointaine du grillage, pour ne pas déranger les jolies femmes et je quittais la route. Mon voyage était terminé.
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