Chapitre 1 - Leur Arrivée
Je me souviens de ta naissance.
Ce jour-là, c'est arrivé. Ils sont arrivés.
"C'est un garçon. Et en très bonne santé !"
La voix de l'infirmière parvenait à mes oreilles. En moi, le silence. La sérénité. Le calme. Apaisée, je ne peux dire un seul mot. Une joie venue d'un autre monde m'envahit. M'a envahit. Depuis le début, j'en étais certaine, depuis le départ, mon intuition me le murmurait. Depuis l'annonce miraculeuse de cette grossesse, jusqu'aux merveilleuses nouvelles concernant ta santé in utero. Jusqu'à cette merveilleuse naissance, déroulée sans encombres. Mon fils, tu es le fruit d'un arbre appelé miracle...
"Malheureusement, mademoiselle Tess..."
Je me souviens la voix du docteur ce jour-là.
"Il vous...Il faut comprendre que vos conditions actuelles ne vous..."
Il avait peur de me l'annoncer.
"Qu'attendez-vous docteur, allez-y. Dites-le moi."
Des larmes s'écoulaient déjà de mes yeux rougeâtres.
"Vous n'aurez jamais d'enfant mademoiselle Tess."
Ces souvenirs me paraissent si loin. Encore y penser me surprend. Surtout à cet instant si...si parfait.
Mon enfant est là, présent, dans mes bras. Emmitouflé dans un lange d'un blanc immaculé. Je vois enfin...non, j'admire enfin les traits de mon petit Ange. Un Ange tombé du ciel, de nulle part, tombé d'un miracle. Des traits parfaits et si imparfaits à la fois, comme si la vie venait d'éclore de mon ventre. Des rides qui, à cet instant précis, font ton charme de nouveau-né. Des yeux, fermés. Des paupières si légères, si fragiles. Très peu de cheveux. Le peu déjà là est lisse, noir. Et au-dessus du crâne, une marque de naissance. Une sorte de cercle, formant au milieu des quelques cheveux, une tâche brunâtre. Cette imperfection je la hait, en cet instant précis. Je me demande pourquoi seras-tu condamné à vivre avec une telle chose sur le haut du crâne. Je m'en veux. Un sentiment qui durera jusqu'à la fin...
Je me dis alors que je t'apprendrais à devenir fort, je t'apprendrais à devenir génial, puissant, à te défendre, à jauger tes adversaires pour mieux les éviter et les faire tomber. Je t'apprendrais à vivre avec cette imperfection qui de toi ma perfection.
Mon fils.
Mon enfant, né de leur arrivée...
"Comment allez-vous nommer votre petit bout de choux alors ?"
La sage-femme me sourit. Elle a été mon seul compagnon ces dernières heures. Rassurante. Aimante. Personne n'a été là. Tout le monde est parti. Mais elle, elle n'est pas partie. Chose qui est un fait rare pour moi. Du haut de mes dix-neuf ans, c'est peut-être normal...
"Vous ne savez pas ?"
Pas un mot ne sort de ma bouche. Le silence s'est emparé de moi à la vue de mon fils. Peu à peu, fébrile, je me décide à répondre : "Noé.
- C'est un très jolie prénom.
- Merci J..."
Je tente de lire en vain le prénom affiché sur son buste, mais elle se déplace au dernier instant. Elle allume la radio, au fond de la pièce.
"Mon prénom à moi ? Jeanne."
Même au bout de la pièce, je ressens son sourire m'éclaircir. La radio se met à beugler : "...extraordinaire. Ici, à deux pas de San Francisco, les choses semblent se poser. On peut percevoir des sons, oui, oui, c'est ça des sons très graves, très...des bourdonnements. Non, non...je...je dirais plutôt de légères basses, donnant dans le grave, un ton oui oui, très grave, j'ignore si vous percevez ce que j'entends ici Mike mais c'est...Seigneur, c'est absolument...extraordinaire, je...je n'ai pas d'autre...
- Mon Dieu...
- Quoi ? Qu'est-ce que...
- Ils arrivent.
- Comment ? S'il-vous-plaît, madame Jeanne, s'il-vous-plaît, allumez-moi la télé, je..."
Elle est interloquée par mon insistance.
"Mais pourqu...
- Allumez la télé, s'il-vous-plaît !"
J'ai presque crié. Elle ne comprend pas. Pendant un instant, j'ai pensé que si. Pendant un instant, j'ai cru qu'elle m'avait compris. Mais cela, personne ne peut le comprendre...
Elle allume l'écran crocheté au mur, à gauche, juste à côté des fenêtres aux rideaux fermés.
"...émoi. Je...ous n'avons plus de mots James. Ce que nous voyons est absolument sans précédent. Les objets volants descendent, après plus de neuf mois au-dessus de nos tête, après tout ce temps à tenter d'en tirer des informations par le biais de la NASA, sans succès, voilà qu'ils descendent. Ils...ce bruit, vous l'entendez ? J'ignore si vous percevez ce son James...
- Oui en effet nous...
- ...C'est...merveilleux, c'est à peine croyable. Peut-être allons-nous enfin recevoir des éléments de réponse, ou bien qui sait, peut-être même une réaction de la part de ces objets non identifiés.
- Je vais...le studio va avoir du mal à enchaîner sur l'information après un tel événement. Que voyez-vous Dan ? Décrivez-nous les alentours, la position d'atterissage possible des objets ?"
Le caméraman se déplace, caméra à l'épaule, suivant le reporter Dan, l'envoyé spécial de CBS. Il court et se démène pour tenter de se rapprocher au plus près du site, au milieu d'une marée d'hommes, de femmes et d'enfants, hypnotisés par le spectacle, filmant à l'aide de smartphones ou d'appareils photos. Tous les yeux sont braqués vers le ciel, tels des caméras sur pattes.
Jeanne s'est assise à mes côtés, la bouche grande ouverte, les yeux écarquillés par le spectacle. Je fais de même. Mais progressivement, c'est un sourire qui se dessine sur mes lèvres. Car moi, je sais...
"Eh bien comme vous pouvez le voir James, c'est au-dessus de la baie que le premier des objets commence sa descente vertigineuse, et...très proche du pont Golden Gate, je...espérons qu'ils pourront manoeuvrer car les dégâts seraient colossaux. Vous pouvez ici voir la façacde des bâtiments bondées de monde, que ce soient ces appartements le long de la baie ou l'hopital Saint Cherry qui..."
Jeanne avait déjà réagit et voilà qu'elle tire les rideaux des fenêtres, illuminant la pièce et laissant enfin apparaître la scène la plus terrifiante et impressionante que je n'aie jamais vue. Le bâtiment tremble. Jusqu'à ses fondations, le Golden Gate, en face, tremble aussi, la baie encore plus, des vagues de plus en plus agitées se formant à la surface. Les immeubles, tout autour se met à osciller et valser de droite à gauche. J'entends le cri de Jeanne qui me prend avec elle, par le bras, je garde mon fils collé à ma poitrine et me laisse guidée, les yeux toujours rivées sur l'immense et colossale objet noir en descente rapide, trop rapide, vers le sol terrestre.
Tout se passe au ralenti. Comme si ce n'était qu'un rêve. Ce n'en n'est pas un. Ou bien un qui se réalise enfin. Le miracle qui a fait de mon fils une réalité tombe du ciel.
Dans les couloirs, c'est la débandade, nous sortons en même temps que d'autres malades, femmes enceintes, enfants blessés, des patients. Des enfants pleurent, des femmes aussi, les pompiers sur place ont pris le relais et nous évacuent avec une rapidité incroyable. Mais pour moi, tout flotte au ralenti. Jusqu'à ce qu'on se trouve dehors. Un bourdonnement sourd et nous brisant les tympas me fait frissonner, trembler. Pour la première fois, j'ai peur. Dehors, la police, les militaires, les pompiers nous conduisent loin des bâtiments qui vacillent de plus en plus hors de leur centre de gravité. On pense à la fin du monde. Je recouvre la réalité, mon fils, moins d'une heure, contre la poitrine, je le regarde. Il me regarde aussi...des yeux bleus. D'un bleu perçant, qui arrête le temps. Nous courons dans la même direction. J'ai perdu Jeanne. Le bourdonnement ne cesse pas. D'énormes basses faisant vibrer nos sens et nos coeurs. Des hurlements, des cris, des pleurs, mais tout le monde jette un coup d'oeil, chaque seconde, en arrière pour admirer ce qu'ils fuient. Je ne le fais pas car je sais...
Je fixe mon fils.
Il me sourit ?
Puis, un tremblement de terre, un choc terrible nous fait tous tomber au sol. Une onde de choc fait vibrer les entrailles du monde, du vent, un vent énorme, faisant voltiger des pancartes, des manteaux, des sacs. J'ai juste le temps d'amortir le choc afin de garder mon fils en sécurité. Par chance personne n'est tombé sur moi. J'ai atterri sur un adolescent. Je lui demande s'il n'a rien de cassé mais je n'entends pas ma voix. J'ai la sensation d'être devenue sourde. L'adolescent me regarde, lui a la même sensation. Je le vois à ses yeux. Les autres aussi. Je vois alors le regard de l'adolescent s'arrêter brusquement sur ce qui se trouve en arrière.
Tous, dans la petite rue que nous avons emprunter, fixent mes arrières.
Je tourne la tête.
Je les vois.
Là, à quelques distances d'ici, le monolithe noir, miroitant son environnement, sa façade aussi lisse qu'un miroir. Un des monolithes. Celui-ci est planté dans le sol, en plein milieu de la baie de San Francisco. D'ici me parvient le fracas de quelques immeubles s'écroulant sous le choc.
Tous le monde est immobile, par peur de le réveiller... mais rien ne se passe. Je lève les yeux plus haut, vers le ciel, et distingue les cinq autres monolithes, qui, quelques instants avant le crash fonçaient aussi vers le sol après avoir été en lévitation neuf mois durant, s'envoler lentement au-dessus des nuages, jusqu'à disparaître totalement.
Mes yeux reviennent au seul et dernier monolithe.
Il scintille sous les rayons éclatants du soleil de juin. Sa façade reflète San Francisco tout entier, encore sous le choc.
Mon ouïe commence à me revenir. Des pleurs d'enfants autour. Des plaintes. Mais pas venant de mon enfant.
Je pose alors mes yeux sur lui : il ferme les yeux, dort à poings fermés. Ne m'a-t-il pas regardé ? souri ?
Je ne m'inquiète de rien, car, je sais que je me souviendrai à jamais de ta naissance. Car ce jour-là, ils sont arrivés.
Je me souviens de ta naissance.
Je me souviens du jour où le miracle qui a provoqué ta naissance est tombé du ciel.
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