Celui qui me tiendra la main
J'actionne le pommeau de douche, l'eau sort en gouttelettes et je commence à me laver. Je prends le savon et frotte avec douceur sur ma peau blanche comme neige légèrement rougie par la chaleur du jet. Je prends du shampoing et passe mes mains dans ma chevelure châtaine. Je sors de la douche, par cette froide journée d'hiver typique de la Belle Province, je m'empresse de m'enrouler dans une serviette. Une fois réchauffé, je commence à me coiffer, mets de la mousse et du gel dans mes cheveux et secoue la tête avec frénésie pour laisser apparaître une chevelure parsemée de boucles. Je fais attention à mes habits en prenant le soin de mettre ma plus belle chemise et un pantalon respectable. Une fois prêt, je regarde mon téléphone : 11h20.
- Merde, je vais être en retard !
Aujourd'hui, je suis pressé. J'ai ce qu'on pourrait appeler un rendez-vous amoureux. Je n'ai pas l'habitude de ce genre de sortie. À 20 ans, je n'ai ce qu'on pourrait qualifier d'aucune expérience en la matière. J'aime me rassurer en me disant que cette initiation tardive à l'amour n'est pas due à mon physique banal voir moche, mais bien par mon désintérêt à l'égard de ce sentiment jusqu'à maintenant. Je suis rendu à une étape dans ma vie où je veux savoir ce que c'est d'avoir une personne en tête à longueur de journée.
J'enfile rapidement mes bottes et mon manteau, prends mes clés et est prêt à partir. Une fois dehors, quelle est ma surprise de voir ma voiture ensevelie de neige.
- Tabarnak de province de marde, ralé-je avec colère en déneigeant le plus rapidement possible ma voiture.
À l'intérieur, je lâche un soupir, exaspéré. Je regarde l'heure sur mon téléphone : 11h37.
- Je vais être juste.
J'ouvre une application et écris à mon destinataire que je risque d'être en retard. Je démarre et n'a plu une minute à perdre. La météo est clémente avec une faible tombée de flocons. La route, victime des dernières tempêtes successives, est ensevelie de neige. J'en ai pour une demi-heure à conduire dans ces conditions. J'arrive à destination cinq minutes en retard. Je regarde mon cellulaire et vois que mon destinataire n'a toujours pas vu mon message. Je rentre dans le centre commercial et vais sur le lieu du rendez-vous. Une fois arrivé, je sens mon téléphone vibrer, un message de la personne que je suis censé rencontrer.
Je viens d'arriver. Déso, la route était pas mal glissante.
Pas de trouble, je viens d'arriver, je t'attends là où il y a les restos ! ^^
J'arrive !
Après ce bref échange, j'attends deux minutes... cinq minutes, dix minutes…
- Mais c'est dont bin long, me dis-je impatient.
Soudain, je croise son regard, des yeux bleu clair étincellent, magnifiques et comparables à des diamants. Je détourne la tête, me mets à rougir et à avoir chaud. Il s'approche rapidement de moi, la gêne commence à m'envahir et…
- Saluuut ! Étienne c'est ça ? me demande-t-il.
- Oui... c'est moi... euh... Zack, balbutié-je.
Je l'observe quelques secondes et semble autant mal à l'aise que moi. Il a de courts cheveux châtain, plus clairs que les miens, une peau légèrement rosée et un beau sourire. Sa carrure est imposante avec ses larges épaules, son gros ventre et…
- Tu es plus grand que moi ? lâché-je étonné. Je t'imaginais légèrement plus petit.
- Pareil, je t'imaginais vraiment plus grand que moi, me répond-il.
Aille... Ça me fait mal. Pendant toute mon enfance, j'ai toujours été dans les plus grands, mais il faut croire que l'adolescence n'a pas été aussi généreuse avec moi que la majorité des autres. Au final, passer de grand à légèrement plus petit que la moyenne est quelque chose que j'arrive mal à encaisser.
- Je sais... si seulement je pouvais être un peu plus grand…
- Hé, c'est pas grave, t'es cute de même aussi.
Je me mis à rougir davantage. Sa manière de le dire avec une telle évidence me fait incroyablement plaisir.
- Bon ! Et si on allait manger ? C'est pas en restant debout que je vais pouvoir entretenir ma grosse bedaine ! propose-t-il en plaisantant.
À la recherche d'un endroit où manger, on a échangé peu de mots visiblement mal à l'aise l'un de l'autre. On finit par aller se commander un sandwich. Une fois notre repas en main, on est allé s'asseoir.
- Euh… tu sais que mettre des légumes ça coûte pas plus cher ? lâché-je.
- Oui, je sais, mais disons que je suis très difficile en matière de légumes.
- Attend... Tu manges pas de légumes ? dis-je étonné.
- Les légumes... ça dépend lesquels. J’aime bien les carottes, les navets ou les concombres, mais sans la pelure. Sinon j'aime juste vraiment pas les fruits !
- Aucun fruit ? Pourtant c'est si bon ! Si sucré ! Je sais pas comment tu fais pour pas aimer ça.
Après mes remarques sur ses goûts, la discussion se poursuit sur des choses plus classiques : ce que l'on fait dans la vie, nos passions, nos passe-temps, nos études, etc. Zack parle avec un charisme hors du commun et une voix séduisante digne des plus grands animateurs de radio. Plus notre discussion avance plus je ne peux m'empêcher de mordre ma lèvre inférieure et de jouer dans mes cheveux frisés, séduits par son regard perçant et ses paroles envoûtantes. On finit par aller marcher dans le centre commercial. Je l'amène dans la librairie où j'ai l'habitude d'aller, lui montre ma passion des livres et m'en achète une bonne dizaine ! Tant qu'à être là ! Me voir me diriger à la caisse avec ma pile d'ouvrages semble l'amuser avec son sourire en coin et ses magnifiques yeux bleus légèrement plissés. On passe ensuite un long moment dans les allées à parler de tout et de rien. On finit par croiser un magasin d'électronique, des étoiles émergent des yeux du jeune homme.
- On peut aller y faire un tour s'te plaît ? me demande-t-il.
Comment pouvais-je refuser à un regard si pur et magnifique ? On rentre dans le magasin et pendant une bonne heure, il me parle de plusieurs de ces appareils. À ce moment, je ne comprends qu'un mot sur trois de ce qu'il dit. « Go, RAM, carte graphique ? » Je n'y comprends vraiment rien, pourtant j'aime l'entendre parler si passionnément. Sa passion se retranscrit dans ses yeux, son visage, sa gestuelle et son sourire. Je suis complètement séduit. Je n'attendais pas grand-chose de ce rendez-vous et pourtant je me retrouve à aimer de plus en plus cet homme, à avoir le coeur qui se sert et qui bat la chamade.
- Étienne, tu m'écoutes ?
- Oui, évidemment que je t'écoute. J'adore t'écouter, pensé-je sur la fin.
Il est aux alentours de 16h30, cela fait déjà quatre heures que l'on déambule dans le centre commercial. La fin de notre premier rendez-vous s'approche, on marche vers la sortie.
- Ma voix tu l'as trouve pas trop efféminée ? lui demandé-je.
- Elle est pas du tout efféminée. Tu as même une très belle voix, me répondit-il tranquillement.
Je vois son visage légèrement rougir et son regard fuyant.
- Merci... Toi aussi tu en as une très belle, rajouté-je en rougissant.
Soudain, il m'agrippe la main. Mes joues légèrement rosées, au moment des faits, virent au rouge pivoine, mon coeur cesse de battre et je commence à avoir extrêmement chaud. Je ne sais pas comment réagir, plein de sentiments se bousculent dans ma tête : de l'amour, de la gêne, du bonheur de la peur, de l'euphorie, de l'incompréhension. Je lâche rapidement la main et le regarde complètement confus. Je vois dans ses yeux qu'il semble regretter son geste.
- Euh… Désolé ! Ça m'a vraiment surpris, mais euh...
Je ne sais pas quoi rajouté, car je ne sais pas quoi ressentir. J'ai surtout eu peur d'être vu en train de tenir la main d'un homme et d'être jugé. Cette peur injustifiée me dégoûte... On sort du centre commercial et je l'accompagne à sa voiture. Le trajet est silencieux, une distance s'est créée. Cela me fait mal, je veux qu'il me parle... On est arrivé, il nous reste qu'à nous dire au revoir... Il évite mon regard visiblement gêné.
- Dit… euh... j'ai... j'ai vraiment aimé aujourd'hui... Tu crois qu'on pourrait se revoir ? balbutié-je.
Il lève la tête. Nos regards se croisent pour la première fois depuis maintenant plusieurs minutes. Il sourit et ses yeux s’illuminent.
- Tu veux me revoir... lâche-t-il bouche bée.
Mes yeux se fondent dans les siens et je suis incapable de les détourner. Tout comme lui, je ne peux m'empêcher de sourire. Après plusieurs secondes, je regarde autour de moi... il n'y a que nous.
- Et puis merde...
Je m'avance vers lui, rapproche mon visage du sien et l'embrasse. À ce moment, je compris que ce baiser ne serait pas le dernier, qu'il n'est que le premier d'une infinité d'autre. Je compris qu'avec lui, un jour, je n'aurai plus peur de me faire tenir la main.
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