18. L'âme réincarnée

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Amelia se retrouva à nouveau sur le toit de la tour Cabot. En repérant le mur de pierre devant, elle était confuse. Rêvait-elle en ce moment ou elle se trouvait actuellement à cet endroit? Elle était vêtue de la même robe blanche printanière, fleuris jaune et orange, avec les cheveux lousses flottant dans le vent. Elle portait son chapeau beige de paille. Avec le même réflexe, elle l’agrippa d’une main afin de le garder bien en place sur sa tête, craignant qu’il ne s’envole à nouveau. Elle reconnaissait cette vue auprès de l’océan. Un doux vent effleurait son visage et respirait l’air salé, laissant son âme se purifier. Son sentiment d’insécurité s’estompa soudainement lorsqu’elle décida de s’approcher du bord de pierre et fixer l’horizon. Elle avait toujours cette envie de vouloir regarder en bas, mais elle refusait de succomber à la peur de chuter à nouveau. Cette fois, elle grimpa sur le mur avec assurance. Les deux pieds bien en équilibre sur la bordure, elle ferma les yeux, puis se concentra sur le son des vagues et les chants des baleines au loin. Une forte envie de vouloir voler émergea en elle. Amelia ouvrit les bras et s’élança dans le vide comme un planeur et se laissa porter par les courants d’air ascendant. À l’envol, elle éprouva un sentiment d’aisance et d’apesanteur. Amelia se sentit libre à cet instant. Une lumière blanche envahit l’espace et un battement d’ailes se fit entendre. C’est alors qu’elle ouvrit les yeux.

Amelia se réveillait enfin de son long coma. Elle cligna des paupières, confuse de se retrouver dans son corps physique. Elle se sentait si lourde. Ses membres fourmillaient par le retour soudain de sensations. Ses pupilles bougèrent de gauche à droite à la recherche d’un point de repère pour finalement remarquer Ken endormi sur la chaise. Son corps était à moitié vautré sur le lit, lui tenant la main.

— Ken, lui dit-elle d’une voix à peine perceptible, souriant faiblement.

Sentant la main d’Amelia se serrer contre la sienne, Ken se réveilla doucement. Les yeux rivés sur leurs mains, il prit une seconde avant de réaliser qu’Amelia lui avait parlé.

– Tu as réussi. Tu m’as sauvé, fit-elle à voix basse pour attirer davantage son attention.

Le souffle de Ken se coinça dans sa gorge quand son regard s’attacha aux yeux bleus de celle-ci.

Il jubila intérieurement et ne put s’empêcher de déposer son front contre sa main la serrant toujours aussi fort dans la sienne. Il échappa un profond soupir de soulagement.

— Tu es un très bel ange, dit-elle de sa douce voix fatiguée.

Levant légèrement la tête, son regard s'assombrit, mais il garda un léger sourire, voulant repousser l'idée de lui dire ce qu'il pensait de lui.

— Merci, marmonna-t-il en étouffant le plus possible la honte dans sa voix.

Sous un air fatigué, Amelia l’observa avec attention. Elle ressentait cette lourdeur en lui, une émotion qu’elle ne pouvait décrire, mais savait que cela perturbait Ken.

— Ça ne va pas ? s’enquit-elle de sa voix ensommeillée.

Ken secoua la tête d’un vif mouvement niant son état.

— Ça va aller, ne t’inquiète pas pour moi… je suis juste épuisé, bredouilla-t-il comme excuse.

— D’accord, répondit-elle, peu convaincue.

Soudain, le regard d’Amelia fut attiré vers sa table de chevet, où elle remarqua un vase avec deux marguerites blanches.

— J’ai pensé que c’était important de te les offrir pour te donner un message d’espoir. J’espère juste que tu verras le monde tel que tu le voyais comme quand tu étais une enfant.

— Tu sonnes comme ma grand-mère, le taquina-t-elle en ricanant, mais le souffle lui coupa, ne pouvant nier son émoi, merci…

Pendant ce temps, tendu, Brendan se tenait sur le portique devant la porte d'entrée de sa mère Zoé, le regardant du coin de l’œil, serra sa main pour lui donner le courage nécessaire.

— Ça va bien aller. Je suis sûre qu’elle sera heureuse de te revoir, surtout après qu’on ait tous survécu à l’apocalypse, lui fit-elle dans un petit rire afin d’alléger ses tensions.

Il acquiesça en réprimant son sourire. Sans quitter des yeux la sonnette, Brendan prit une profonde respiration, puis leva le doigt au-dessus du bouton. Sa gorge se serra lorsqu’il le sentit s’enfoncer lentement et entendit le son aigu de la sonnette. Quelques secondes suffisent pour finalement entendre le clic de la serrure déverrouillée. Lorsque la porte s’ouvrit doucement, Brendan n’osait à peine respirer en voyant dans l’embrasure a tête châtaine de sa mère, ses traits délicats et amaigris par les années d’ivresse. Il croisa ses yeux ronds bleu pâle, un regard innocent et perdu dont Brendan avait du mal à se défaire.

— Salut maman… commença Brendan avec nervosité.

Il suffit de peu pour que le visage de sa mère s’illumine; ses yeux se remplissant de larmes, un léger sourire tentant d’effacer sa grisaille et sa solitude. Elle ne laissa pas le temps à Brendan d’ajouter plus à la conversion qu’elle s’élança dans ses bras et l’étreignit très fort. Sa mère n’étant pas plus grande que lui, il pouvait ressentir la joie à travers ses chaudes larmes coulant dans son cou. Brendan n’avait évidemment pas de mots pour exprimer ce qu’il éprouvait en ce moment. La seule chose qu’il savait à l’instant, c’est que toute la culpabilité et le ressentiment qu’il avait traîné pendant beaucoup trop longtemps venaient de s’évaporer. Plus Brendan la serrait dans ses bras, plus il réalisait comment il avait pu oublier l’amour inconditionnel d’une mère. Zoé se contenta de les admirer de son sourire fier et satisfait, puis soupira de contentement.

Trois jours plus tard, Ken marchait les mains enfoncées dans la poche centrale de son épaisse veste à capuche gris foncé. Le zip, à moitié descendu, dévoilait sa tourmaline orange qui contrastait fortement avec son chandail noir. Ken était en direction du café où lui et ses amis s'étaient donné rendez-vous. À quelques mètres de l'entrée de la bâtisse, ses yeux rencontrèrent la BMW bleue de Curtis garée sur l'accotement de la rue.Il en sortit pour se diriger vers la porte du café, lui souriant à peine. Blair le suivit quelques secondes plus tard, faisant signe à son frère de rentrer sans elle.

— Va rejoindre les autres, ils nous attendent déjà. J’aimerais d’abord parler à Ken, seule, dit Blair en évitant de croiser les yeux de son frère qui la regardait avec incrédulité.

Il hocha la tête en jeta un œil rapide vers Ken, puis entra dans le café sans un mot. Ken regarda Blair s’approcher de lui, le regard figé sur le trottoir, avec un sourire morose qu’il n’était pas habitué de voir.

— Ça va Blair ? prononça-t-il avec hésitation.

Le sourire de son amie s’effaça soudainement.

— J’ai besoin de l’entendre de toi…

Les larmes la guettaient, mais elle se força à poursuivre.

— As-tu vu mes parents dans leur enfer… malheureux et souffrant ? lui demanda-t-elle, en levant les yeux vers lui.

Ce n’était pas la question à laquelle il s’attendait, mais c’était tout de même le sujet dont il évitait de lui parler depuis trop longtemps. En percevant dans sa voix une frustration mêlée à de la peine, il sut que Curtis avait osé lui dire. Ken savait qu’il ne pouvait pas reculer. Il reprit sa respiration et ravala sa salive. Les mèches rousses bouclées de l’épaisse chevelure de Blair, voltigeant dans la brise fraîche automnale, frôlaient ses traits renfrognés épris de ressentiment. Les émotions que ressentait Blair envers lui le figèrent sur place, gardant ses mots dans sa bouche. Il hésita, puis hocha lentement la tête avec désolation :

—Ne t’inquiète pas, je suis sûr que je peux les sauver! Je demanderai l’aide des Archanges pour m’aider s’il le faut, répliqua-t-il rapidement avec espoir en apercevant le visage de son amie se déformer par une peine qu’elle ne pouvait plus retenir.

Les sanglots qu'elle avait retenus trop longtemps commencèrent à secouer ses épaules. Elle porta ses mains à ses yeux pour contrôler sa tristesse douloureuse, mais elle fondit en larmes. Cela blessa Ken de la voir pleurer qu'il ne put s'empêcher de la serrer dans ses bras. Blair se morfondit contre lui, noyée dans ses larmes, le souffle saccadé. Après une bonne minute à libérer enfin sa tristesse et à ressentir la bonne énergie bienveillante de Ken, sa respiration se calma et reprit un rythme plus régulier.

Elle se détacha doucement en essuyant ses larmes avec sa manche. Lorsque leurs regards se croisèrent, un léger sourire se dessina sur le visage de Blair. Il la contempla perplexe, mais à la fois rassuré. Elle prit les deux mains de Ken dans les siennes et les fixa dans le silence.

— Ça va aller ? s’enquit-il confus de son geste.

— Oui, merci, Ken... ça fait du bien de se laisser aller, répondit-elle, le regard rivé sur ses mains, les traits maintenant plus paisibles.

— Y a-t-il autre chose que je peux faire ?

Elle secoua la tête.

— Non Ken, tout ne doit pas dépendre de toi. J’ai compris que j’ai ma part à faire.

— Que veux-tu dire ?

— Allez, ils nous attendent, dit-elle en lâchant ses mains, en lui faisant signe de la tête pour la suivre.

Ken fut incrédule par sa réponse, mais il sut que cela ne valait pas la peine pour l’instant de la questionner.

À la table, Brendan était assis entre Zoé et Curtis, tandis que Blair et Ken partageaient la même banquette, avec Kyle assis à côté de lui, collé à la fenêtre. Alors que Kyle observait le groupe, ravi d'être avec eux, il remarqua Curtis rester silencieux et restait silencieux et lançait plusieurs fois des regards soucieux vers Ken. Le jeune garçon fut perplexe et intimidé par cette tension entre eux, mais il s’efforça de cacher ce malaise.

Il s’adressa alors à Ken en se penchant de côté et le regardant du coin de l’œil, timide:

— Merci beaucoup Ken, de m’avoir invité, marmonna-t-il d’une voix à peine perceptible.

Ken lui sourit chaleureusement. Puis, tournant légèrement la tête vers Kyle, il remarqua son malaise soudain. Bien sûr, Ken sentait la pression des yeux de Curtis sur lui depuis qu'il avait rejoint la table, mais il décida d'ignorer la tension qui s'était accumulée entre eux.

— C’est la moindre des choses! Après tout, sans toi, je ne crois pas qu’on serait ici en ce moment tous ensemble, intervint Blair qui avait surpris la conversation.

— Je dirais plutôt que c’est grâce à votre amie Amelia, avoua Kyle, elle est restée à mes côtés tout le temps. Elle a tout fait pour que je garde mon courage. Pendant trop longtemps je n’ai pas cru en moi et je sentais que cela dépendait du pouvoir de Michael, partagea-t-il, le regard rivé sur ses cuisses, d’un ton bas, mais juste assez élevé pour que les autres entendent.

Ken soupira silencieusement, attristé de voir comment Kyle se sentait face à la situation. Soudain, les yeux ronds, le jeune garçon leva la tête d’un coup sec après avoir réalisé qu’il avait mentionné des détails sur Amelia, sans même savoir si les autres étaient informés de cette histoire. Kyle marmonna épris d’une légère panique:

— Je suis désolé, j’ai parlé sans réfléchir, mais je ne sais pas si tes amis sont au courant de cette histoire de fantôme et d’ange.

Brendan s’esclaffa en levant les mains montrant un signe de nonchalance :

— Hé! Ne t’inquiète pas ! Nous sommes tous au courant de la vie surnaturelle de Ken, et d’ailleurs, je n’ai pas eu le choix de tout lui raconter aussi, en pointant du pouce Zoé.

Ken jeta un œil vers celle-ci et il comprit maintenant pourquoi elle le fixait intensément depuis qu’il les avait rejoints à la table. Alors qu’elle gardait son bras droit fracturé collé contre elle Zoé s’était avancée sur son banc, le coude gauche bien appuyé sur la table et le menton déposé sur le dos de sa main, d’un air inquisiteur. Ken voyait bien qu’elle avait d’innombrables questions à son sujet. Même s’il a longtemps été incertain de leur raconter sa véritable nature, il fut malgré tout, soulagée de pouvoir enfin partager cette partie de son existence avec ses amis. En voyant l’air hébété de Ken, Blair, persuadée qu’il n’était pas préparé à être bombardé par les questions de Zoé, décida de changer de sujet avant que son amie n’ouvre la bouche.

— Ne t’inquiète pas, elle saura garder ton secret. N’est-ce pas Zoé ?

— Oui, promis ! affirma Zoé en acquiesçant vivement de la tête.

Blair posa une main sur l’épaule de Ken.

— Sinon, as-tu eu des nouvelles d’Amelia ? reprit Blair.

— Depuis son réveil, je suis allée la visiter à quelques reprises. J’ai bien hâte de la voir sortir. Au moins tout semble rassurant, chaque jour elle prend du mieux.

— C’est super ça, s’exclama Zoé souriante.

— Ça me chicote depuis un bout, mais est-ce que tu lui as dit ce que tu ressentais pour elle ? l’interrogea Brendan en se croisant les bras, le sourire en coin.

— Pas vraiment, marmonna Ken.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? Toutes les fois que tu es allé la visiter, tu n’as pas osé lui dire ?

Ken secoua la tête en fuyant son regard, embarrassé.

— Mais tu attends quoi ?

— Je ne sais pas... Le bon moment… je crois ?

Brendan soupira.

— Cesse d’avoir peur, elle ressent la même chose que toi c’est évident. Tu n’as pas à t’inquiéter.

— Je n’ai pas peur, lui répondit Ken avec une soudaine assurance en levant son regard vers son ami.

— Si tu le dis, répondit Brendan en s’adossant plus confortablement les bras croisés.

Curtis, surpris par la vibration de son cellulaire dans sa poche de pantalon, eut une expression plus douce sur le visage lorsqu’il vit qui l’appelait. Blair fut étonnée de voir un sourire illuminer le visage de son frère.

— C’est quoi ce sourire soudain ? s’enquit Blair en arquant un sourcil.

— C’est Mandy…

Il reçut une photo d’elle posée à côté de son chien avec un œil bandé tout juste sortie de son opération, suivi par un message avec des cœurs. Cela l’apaisa profondément.

— C’est bien la serveuse du café ? se questionna Brendan en jetant un coup d’œil subtil au cellulaire.

Curtis acquiesça sans détourner son regard de la photo de Mandy qui pétillait de bonheur.

— Alors c’est officiel entre vous ! Bien heureuse que tu aies enfin trouvé ta perle rare, s’exclama Blair, les coudes sur la table et le visage dans ses mains le contemplant d’un air rêveur.

— Je l’aime bien Mandy. Elle a une mémoire phénoménale, elle se rappelle toujours de mon dessert favori, dit Brendan alors que sa remarque fit bien rire les autres.

Blair prit une gorgée de son verre d’eau et, en le déposant sur la table, se perdit dans ses pensées lorsque ses yeux concentrèrent sur l’oscillation du liquide dans son verre.

— Ken, débuta-t-elle sans quitter son attention de l’eau, quand on était près de la falaise de Signal Hill, Curtis et moi avons ressenti la présence de l’Archange Gabriel et d’Uriel. Aurais-tu une idée qui les aurait invoqués ?

— L’Archange Uriel ? s’enquit Ken en s’attardant sur ce nom qui ne lui était pas familier.

— Il est associé à l’élément de la Terre. Pendant que Michael affrontait Abaddon, j’ai senti sous nous, une chaleur et des flammes rouges émaner de la terre et nous protéger des démons qui voulaient s’évader du monde souterrain. Seulement quelqu’un de très enraciné peut réussir à le convoquer et faire appel à son pouvoir…

— Je sais que Gabriel est l’Archange de ma cousine Lora, mais Uriel ? Je n’en ai aucune idée… répondit Ken en balayant son regard autour de ses amis qui lui renvoyèrent un air interrogateur.

Brendan s’avança sur sa chaise pour ensuite se pencher vers Ken.

— Mais que va-t-il arriver avec ton ancienne maison et de cet esprit vengeur qui la hante ?

— En ce qui concerne Cynethryth… Je n’ai pas toutes les réponses encore pour pouvoir l’aider, dit Ken en baissant les yeux, découragé.

— Mais elle continuera à te hanter. Pourquoi ne brûle-t-on pas la maison simplement ? implora Brendan.

— Même si on met tout en cendre cela risque de mettre l’esprit encore plus en colère. On ne réglera pas le problème, expliqua Blair. Pour l’instant, on ne peut rien y faire. Tant et aussi longtemps que la barrière de protection que j’ai créée tient, on devrait être correct. Mais d’ici là, on ne devrait plus y retourner.

Après une heure de causerie, Curtis sentit un besoin impérieux de bouger la jambe nerveusement. Il cala le fond de son café, puis sortit sans un mot.

— Quelque chose ne va pas avec Curtis ? s’enquit Brendan, confus de le voir partir promptement.

Blair se contenta de simplement hausser les épaules sans réfléchir davantage.

— Il paraît plus anxieux que d’habitude, constata Zoé soucieuse.

Kyle jeta un œil à sa montre puis décida qu’il était temps pour lui de rentrer.

— As-tu besoin que mon frère te ramène chez toi ? lui demanda Blair.

— Non ça va, je prendrai le bus cette fois, mais je ne sais pas où est l’arrêt ?

— Viens, je vais te montrer, proposa Ken en l’accompagnant hors du café.

Ils furent surpris de croiser Curtis à leur gauche, adossé contre la façade de la bâtisse, une cigarette à la bouche.

— C’est juste de l’autre côté de la rue là-bas, indiqua Ken, en pointant au loin un arrêt d’autobus.

— Tu t’en vas ? demanda Curtis en s’adressant à Kyle.

Il hocha simplement la tête.

— Tu ne préfères pas que je te raccompagne en voiture ? proposa Curtis en expulsant la fumée par sa bouche.

— Non merci, répondit-il en secouant la tête pour ensuite agiter la main à Curtis.

Il afficha un petit sourire en coin pour finalement se diriger vers l'endroit que Ken lui avait pointé.

Après que Kyle se soit assez éloigné, Ken porta son attention vers Curtis et ils s’échangèrent longuement un regard perçant et bouillonnant.

— Hum, pour être honnête… Je suis surpris que tu sois vivant, lui dit Curtis d’un ton monotone en portant sa cigarette à la bouche.

— Il y a quelque chose que tu veux me dire? s’enquit Ken, irrité par l’attitude froide de ce dernier.

Curtis pouffa d’un petit rire en le dévisageant.

— C’est plutôt toi qui a un mot à me dire, non ?

— Je ne suis pas sûr de comprendre ? lui dit-il d’un ton presque furieux.

— Tu sais ce qui me dérange le plus… même si je suis reconnaissant de ce qui s’est passé là-bas, je peux encore voir à travers toi.

Curtis fit une pause pour inhaler sa cigarette, expira la fumée de sa bouche et ajouta:

— Je ne peux pas te faire confiance et pourtant nous sommes ici dans ce dilemme.

— Curtis…, commença Ken confus.

Le cellulaire de Curtis sonna subitement ce qui interrompit son ordre d’idée.

— C’est Mandy, je dois y aller. À plus tard, gamin, fit Curtis d’un ton nonchalant en jetant sa cigarette à ses pieds et l’écrasant sous les yeux déstabilisés de Ken.

Ce dernier le regarda lui tourner le dos en s’éloignant de lui pour répondre à son appel. Ken était maintenant d’humeur maussade, sans savoir précisément pourquoi. Sa tête tournait en boucle, il se sentait si confus.

Sous le ciel laissant place au crépuscule, Ken marchait sur le trottoir en direction de chez lui, lorsqu’il croisa la mère d’Amelia devant chez elle en train de racler les feuilles sur son terrain. Ken n’avait pas eu l’opportunité de la revoir depuis qu’il l’avait rencontrée la première fois à l’hôpital. Il prit alors cette chance pour prendre directement de ses nouvelles :

— Bonsoir madame Hardy, lui dit-il en la saluant en approchant d’elle.

Surprise, elle pivota vers lui le râteau à la main. Son regard s’agrandit, épris d’une grande émotion de joie mêlée à la reconnaissance. Ken resta perplexe, en voyant les yeux bleu clair de cette dernière se remplirent de larmes.

— Vous allez bien ? débuta-t-il.

Elle jeta son râteau au sol et l’interrompit en se précipitant vers lui pour l’étreindre avec grande affection. Ken ne s’attendait certainement pas à ce geste. Il n’était pas certain du genre de peine qu'elle ressentait. Était-ce causé par une tristesse ou une trop grande joie ?

— Merci… tellement ! lâcha-t-elle entre deux souffles, elle est revenue!

Ken soupira de soulagement et partagea son étreinte.

— Elle m’a raconté que sans toi, elle n’aurait pas su comment revenir, mais elle a réussi.

— Content d’entendre ça, répondit-il en échangeant un doux sourire.

Elle se détacha de Ken en prenant ses épaules.

— Ma fille avait raison de croire en toi et tu ne l’as jamais abandonné, partagea-t-elle les yeux larmoyants.

Ken baissa son regard n’acceptant pas toute cette gloire à lui seul. Il secoua la tête.

— Je n’y suis pas arrivé seul. Amelia a toujours eu du courage, bien plus qu’elle aurait pu imaginer. Elle est plus forte qu’elle ne le pense, affirma Ken en cherchant au départ ses mots.

— Tu as raison et elle est vraiment de retour, dit la jeune femme d’un ton maintenant plus serein après avoir repris le contrôle de son émotivité.

— De retour ? Elle est ici ? l’interrogea Ken, les yeux écarquillés.

— Elle est sortie de l’hôpital aujourd’hui. Elle est d’ailleurs partie avec son violon se promener sur le sentier de Signal Hill, lui répondit-elle souriante.

Ken la fixait comme s’il n’arrivait pas à croire ce qu’il entendait.

— Elle déjà sortie ?

— Oui, oui, étonnant non ? Tu crois au miracle j’espère ? fit-elle en ricanant.

Ken acquiesça en riant légèrement.

— Merci madame Hardy ! s’exclama Ken en emboîtant quelques pas pour aller retrouver Amelia.

—- Et dernière chose Ken, appelle-moi simplement Charlotte, rectifia-t-elle avec son grand sourire plein de gratitude.

— D’accord, merci, Charlotte, lança Ken, en agitant sa main en signe d’au revoir, déjà en chemin vers Signal Hill.

.

À la recherche d’Amelia, Ken s’aventura seul sur le sentier de signal Hill sous la lueur du coucher du soleil. Après quelques minutes de marche à son plus grand soulagement, il aperçut Amelia au loin. Elle était assise sur le bord du précipice, les jambes pendant dans le vide au bout de la falaise. Elle jouait une douce mélodie beaucoup plus joyeuse que ce qu’elle avait l’habitude de jouer. Il s’approcha d’elle d’un pas lent.

— Tes mélodies me manquaient, dit Ken derrière Amelia avec nostalgie.

Cette dernière interrompit sa note, pour aussitôt se tourner vers lui brusquement.

— Ken ?

Ses yeux s’arrondirent, exaltés de le revoir. Elle s’empressa de déposer son violon dans son étui et courut dans ses bras. Il l’étreignit pendant plusieurs minutes alors qu’elle se recroquevillait sur son torse, s’accrochant à lui, ne voulant plus le quitter. Elle chérissait ce moment tant attendu. Elle le sentait si solide et chaud contre elle. Enfin, Amelia se dégagea. Elle se sentait mal à l’aise après avoir laissé Ken l’enlacer aussi longtemps, mais il lui sourit aussitôt et il la contempla de son plus doux regard.

— Heureux que tu te sois rétablie rapidement.

— J’ai essayé le plus possible de garder la foi et au plus grand étonnement des médecins, ils me considèrent comme un miracle, car je n’ai pratiquement pas eu de séquelles.

— C’est rassurant, je suis tellement rassuré d’entendre cela, lui répondit-il dans un petit rire.

Charmée par son regard intense, Amelia se perdit dans la prunelle de ses yeux verts, puis elle laissa échapper ces mots:

— Je crois que ce qui m’a retenu ici, est l’amour. Je l’ai ressentie lorsque tu as dit que tu m’aimais…

— Tu m’as entendu ?

— Non, j’ai seulement ressenti tes mots à travers moi, comme une chaleur intense… Je me suis senti poussée par une lumière et je suis revenue dans mon corps. Elle prit lentement sa main puis lui marmonna, tu dois savoir que… Je t'aime aussi Ken.

Sans plus résister, il effleura délicatement la peau de sa joue en plaçant une mèche blonde de ses cheveux derrière son oreille. Il approcha son visage du sien, puis l’embrassa tendrement sur les lèvres. Amelia sentit son cœur s’emballer, mais l’amour qu’elle ressentit dans ce baiser, la fit comprendre qu’elle devait s’abandonner. Lorsqu’il s’éloigna, les yeux pleins d’admiration et amoureux, Amelia lui chuchota :

— Avant mon réveil, j’ai rêvé que j’avais réussi à m’envoler.

— Et tu as aimé ça ?

— Oui beaucoup, j’ai toujours voulu voler.

Ken décida de réaliser son vœu. Il lui demanda de pivoter sur elle-même et de faire face à l’horizon, pour ensuite se placer derrière elle:

— Maintenant, soulève tes bras comme un planeur, lui dit-il près de son oreille.

Elle s’exécuta tout en prenant une grande respiration, puis il la fit avancer de quelques pas pour se rapprocher encore plus près du précipice. À un pied dans le vide, Ken ferma les yeux, puis enlaça ses bras autour de la mince taille d’Amelia et se laissa tomber. La jeune fille lâcha un cri, n’étant pas préparée à cela. En pleine chute, Ken la souleva dans ses bras et brilla d’une lumière blanche éclatante. Juste avant d’atteindre les roches à la surface de l’eau, il reprit son envol maintenant vêtu de ses majestueuses ailes d’ange. En battant ses grandes ailes blanches tout en survolant l’océan, Ken fut ravi de voir un large sourire illuminer le visage d’Amelia.

— Je n’arrive toujours pas croire que tu peux réellement voler ! s’exclama-t-elle fascinée, oh regarde là-bas! Il y a des baleines, remarqua-t-elle en pointant devant elle rapidement pour vite enrouler ses bras au cou de Ken par peur de perdre l’équilibre, même s’il la tenait bien solidement contre lui.

Il vola en direction des baleines à bosse lorsque l’une d’elles nagea à leur rencontre. À quelques mètres d’eux, elle effectua un saut en convertissant son élan vers l’avant, puis pivota hors de l’eau, avant de s’écraser dans l’eau avec une force terrible. Ce Léviathan les éclaboussa, ce qui força Ken à battre des ailes une fois de plus pour reprendre de l’altitude. Ils éclatèrent de rire amusés par la danse spectaculaire que la baleine effectuait sous eux accompagné de son chant qui emplissait l’air. Elle agita ses nageoires pectorales pour ensuite plonger et resurgir hors de l’eau en tournoyant sur elle-même. La baleine expulsa avec puissance l’air chaud par les évents au-dessus de sa tête au-delà de neuf mètres les atteignant. Ken sourit de l’enthousiasme d’Amelia, il voulait que ce moment dure toujours. Il reprit son envol haut dans les nuages, puis en rebroussant chemin vers Signal Hill, ils croisèrent une colombe qui attira l’attention d’Amelia.

Aussitôt que Ken déposa les pieds sur la terre ferme, la jeune fille lui marmonna d’un air pensif:

— Cette colombe… J’ai l’impression de l’avoir déjà vu auparavant, lui dit-elle en observant le ciel.

Ken hocha la tête avec appréhension.

— C’est ton frère jumeau.

— Quoi ? s’enquit-elle confuse en reportant son attention vers lui.

— Je n’avais pas osé te le mentionner plus tôt… Mais son âme est venue me rendre visite dans mes rêves dernièrement.

Un cri d’oiseau retentit derrière eux. Elle pivota et la colombe les survola pour ensuite atterrir à quelques mètres d’eux. Dans un nimbe de lumière, l’oiseau blanc se matérialisa en forme humaine au visage peu distinct. Amelia ressentit aussitôt cette énergie familière. Il s’avança tranquillement en définissant sa forme pour devenir un beau jeune homme aux cheveux court et blond doré.

— Éthan ? s’exclama-t-elle avec émoi.

Le jeune homme hocha la tête, le visage illuminé de son grand sourire. Amelia l’analysa en parcourant son regard de la tête au pied.

— Je ne comprends pas ? Tu étais pourtant un bébé lorsque tu es mort ?

Ethan ria légèrement en voyant sa confusion.

— Je sais, mais étant une âme évoluée, je peux prendre la forme que je veux.

Il marqua une pause, puis reprit d’une voix mélancolique:

— Je tiens à te dire que même si je n’ai pas eu la chance de grandir avec toi et de connaître notre mère, je te rassure que je veille sur elle et sur toi avec notre père.

Amelia le contempla avec nostalgie.

— Merci, lui dit-elle reconnaissante.

Éthan se tourna vers Ken.

— Heureux de te revoir mon vieil ami.

— On s’est déjà connu auparavant ? se questionna Ken avec incertitude.

— Oui, tu étais mon meilleur ami dans une de tes vies antérieures.

— La vie dans laquelle j’ai connu Cynethryth ?

— Oui et je suis tellement désolé de ce qui est arrivé, fit Ethan avec tristesse.

Ken secoua la tête.

— Tu n’aurais pas pu me sauver de toute manière… On n’y peut rien face au libre arbitre, se dit Ken en baissant son regard l’air désespéré.

— C’est pourquoi j’ai utilisé le rêve dans cette vie pour te prévenir, car c’était le meilleur moyen de te communiquer tes mémoires et protéger l’âme de ma sœur.

— Alors ma mission serait-elle juste de protéger Amelia ? lui demanda Ken.

— Ta mission ne consiste pas seulement en sa protection, rectifia Ethan, Amelia est seulement une étape de ta mission. Ce n’est que le début et tu as bien plus à accomplir. Mais malheureusement c’est tout ce que je sais à ce jour. Étant une simple âme, ce genre de message ne m’est pas transmis. Seuls les Anges savent ta destinée, mais évidemment ils ne te diront rien, tant que le temps ne leur permet pas, ajouta-t-il en dessinant un sourire en coin.

Ken soupira et acquiesça. Éthan reporta son attention vers Amelia. Il s’approcha de plus près et contempla ses yeux bleus. Il leva la chaîne d’argent, retenant la pierre de lune et l’examina, puis d’un air mélancolique:

— j’espère que tu comprendras et accepteras tôt ou tard ton destin, commença-t-il.

Elle le fixa incrédule. Que voulait-il dire par là ?

— On se reverra lorsque ton temps sera venu… Je t’aimerais toujours ma sœur.

— Je t’aime aussi mon frère, répondit Amelia à un souffle, épris d’un sentiment inné de fraternité, comme si elle avait longtemps partagé un lien réciproque.

En un éclat de lumière, Ethan reprit sa forme d’oiseau et battit glorieusement des ailes. Deux plumes se détachèrent et s’envolèrent dans le vent, pour finalement tomber lentement du ciel, puis flotter sur l’eau, côte à côte. Amelia serra fort la main de Ken en fixant l’horizon. Le ciel était peint d’une gamme d’oranges, de pourpres et de rosés se mariant dans une parfaite symphonie. Ils brillaient de tous les feux se miroitant dans les eaux paisibles. En admirant le coucher du soleil, elle se convainc intérieurement que peu importe ce que leur avenir leur réservait, ensemble ils se sentaient enfin forts pour y faire face. Elle pensa que plus rien de fâcheux ne pourrait l’atteindre. Être aimé, c’est découvrir le bonheur, c’est ne plus jamais être seul, ne plus avoir froid, ne plus connaître la peur, c’est vivre heureux.

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