Allée d'Olympie
Malcolm termina son emménagement et recula. Mains sur les hanches, il observa l'abri avec fierté. Celui qui avait dormi dans le métro, dans un hall d'escalier ou encore à même le sol à ses débuts dans la rue n'était pas mécontent d'avoir enfin un endroit à lui, même si c'était loin d'être un cinq étoiles.
L'essentiel y était, mais quelque chose semblait encore manquer.
Il découpa une palette et confectionna une petite boîte avant de la fixer sur le tronc d'un arbre et d'y écrire au marqueur noir, sous l'ouverture : Malcolm Sezu, 12 boulevard de l'embouchure, allée d'Olympie. Le jeune homme savait qu'il n'y recevrait probablement jamais de courrier, mais il avait l'impression d'avoir une adresse et ça, ça changeait tout ! Malcolm avait la sensation de ne plus être un SDF. Sa vie de nomade appartenait au passé. Il fallait avancer. Un sourire sur le visage, il ferma les yeux et leva la tête pour sentir sur sa peau la chaleur des rayons du soleil qui traversaient les feuillages du bosquet dans lequel se trouvait maintenant son nouveau "chez lui".
- Le château est terminé, murmura-t-il satisfait.
Les oiseaux gazouillaient comme pour lui souhaiter la bienvenue. Malcolm était convaincu d'avoir trouvé, non sans peine, le plus bel endroit de la ville.
Le "château" était dans un bosquet situé au fond d'un parc. Malcolm avait découvert cet endroit par hasard, un soir où il fuyait une bande qui rackettait les quelques pièces récoltées par les SDF durant la journée. Dans sa fuite, il avait escaladé le mur d'un cimetière pour s'y réfugier, mais la détermination de ses poursuivants était bien réelle, et ils en firent autant. Courant dans les allées bordées de pierres tombales, il s'échappa en trouvant un passage sous le grillage qui délimitait le cimetière et le parc. Alors que ce dernier était clôturé par de hautes grilles infranchissables, ce seul passage lui ouvrait un espace de plusieurs hectares désert la nuit. Il estima qu'aucun endroit plus sûr ni plus agréable n'existait à ce moment-là et décida le soir même de s'y installer.
La seule personne qui remarqua le nouveau pensionnaire du parc fut le gardien lors de sa ronde matinale. Dans son uniforme bleu, képi vissé sur la tête, il s'était approché prudemment, assez pour voir Malcolm qui dormait sur un tas de feuilles mortes. Bien déterminé à le chasser, l'homme s'était ravisé après s'être aperçu qu'il s'agissait d'un gamin. Il était finalement reparti en secouant la tête, attristé que des personnes aussi jeunes puissent vivre dehors. Quelques jours plus tard, Malcolm trouvait à son réveil des croissants et un mot maladroitement écrit sur l'emballage: " Tu peux rester si tu ne te fais pas remarquer. Un café chaud t'attend sur le banc, dans l'allée. Michel."
Malcolm prit les croissants encore tièdes et, sur ses gardes, rejoignit l'allée. Il passa devant un panneau sur lequel était indiqué "Allée d'Olympie", avant de voir quelques mètres plus loin un homme dans un uniforme bleu assis sur un banc. Ce dernier le regarda s'approcher. Il ouvrit ce qui sembla être un thermos et servit deux mugs d'un liquide encore fumant, posa son képi et, d'un geste de la main, invita Malcolm à s'asseoir.
Depuis ce jour, Malcolm et Michel prirent l'habitude de se retrouver pour discuter. Le gardien était de grande taille et sa silhouette bedonnante. Son visage rond arborait une belle barbe grise et de petites lunettes ovales. Bien qu'il soit difficile d'apercevoir des rides sur sa figure, des cheveux blancs frisés trahissaient son âge. Malcolm remarqua que Michel se déplaçait en boitant, mais ne sut jamais vraiment pourquoi. A cette question, Michel donnait toujours une réponse très vague, qui faisait référence aux séquelles d'une vie passée. Leur rendez-vous devint rapidement un rituel : ils se rejoignaient pour discuter autour d'un café bien chaud. Michel s'assurait que le gamin allait bien, tandis que Malcolm apportait un peu de compagnie à un vieil homme solitaire.
Pourtant ces derniers temps, quelque chose avait changé entre eux.
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