Lettre à mes geôliers
Bonjour,
C'est étrange...
Je commence cette lettre par un mot à l'opposé de ce que je vous souhaite réellement. La politesse... Quelle invention idiote.
Vous devez vous demander qui je suis. Enfin je pense car après tout, qui se souviendrait de la gamine mal dans sa peau que j'étais il y a tant d'années.
Je suis la timide petite nouvelle de cette année de 3e. Pas très bavarde, un peu gauche mais pas bien méchante et qui sourit tout le temps.
Celle n'osait pas parler mais rêvait pourtant de connaître ces élèves à l'air sympathique qui constituait sa classe.
Honnêtement, je ne vous ai jamais compris. J'ai toujours été celle qui ne s'intègre qu'à moitié. Celle avec qui on discute à la récré mais que l'on n'invite jamais en dehors du collège. Je n'étais pas une élève modèle mais pas la plus mauvaise non plus. J'étais assez calme en classe et respectueuse avec nos professeurs mais je riais aux bonnes blagues avec vous. J'ai d'ailleurs eu plus d'une discussion sympa avec vous. Alors pourquoi ? On n'était pas proche mais je ne vous avais rien fait. Je n'avais rien fait pour mériter ça. Ou si ? Alors quoi ? Qu'est ce qui m'a valu cette haine ?
Est-ce que c'est parce que j'étais le genre à rester après la classe pour discuter avec le professeur ? Ou bien parce que lorsqu'il s'agissait de se moquer je me détournais de la conversation ? C'est pour ça que j'ai été la cible des moqueries qui ont suivi ? Est-ce que c'est mon apparence ? Cette frange qui donnait l'impression que je portais un casque ? Ces vêtements aux allures enfantines qui contrastaient à ses tenues d'adolescents que vous portiez ? Est-ce que ce sont des mots que j'aurais dits ? Des gestes que j'aurais faits ?
Vous n'étiez pas de mauvaises personnes, ça, j'en suis certaine. Personne ne naît mauvais. Alors pourquoi ?
En grandissant, je me suis toujours sentie chanceuse en lisant les témoignages d'adolescents dépressifs à la suite de violences scolaires. Vous ne m'avez jamais frappé, ni bousculé. Merci pour ça. Pourtant quand je repense à cette année, les larmes montent sans que je ne puisse les contrôler. Car même sans coups, j'ai souffert de tout ce que vous avez pu dire ou faire.
Peut-être que ce que j'écris ne vous dira rien. Peut-être que vous avez oublié. Moi non.
Je me souviens de cette journée où tout a basculé. De ce jour où vous avez fait une « blague » à notre professeur d'histoire. Je me souviens de cette balle de ping-pong changée en fumigène dans les couloirs. Je me souviens d'avoir trouvé ça stupide. Je me souviens aussi ne jamais m'en être mêlée. Alors pourquoi ? Pourquoi lorsque les problèmes vont sont tombés dessus, vous m'avez accusée moi d'en être la cause ? Quelqu'un vous avait dénoncés, mais pas moi. Et même si ça avait été le cas, est-ce que ça méritait les insultes aux détours des couloirs ? Les moqueries à répétition à chacun de mes passages à l'oral ? Et surtout les menaces à la fin des cours... ?
Ces moments où j'étais seule et angoissée, où vous veniez me voir. Un groupe de sept garçons face à une seule fille mal dans sa peau. Peut-être que vous ignorez la peur que vous m'avez infligé à ce moment... Mais même maintenant, en sachant que ces menaces étaient des menaces en l'air, mes larmes montent et mes angoisses ressurgissent.
Et à toi, peut-être te reconnaitras-tu, qui m'avait dit lorsque j'avais pris la décision de t'en parler m'avait affirmé droit dans les yeux que j'étais faible de venir te parler à toi seul et pas à tout votre groupe. Es-tu vraiment sûr de qui est le faible dans cette histoire ?
J'ai eu la chance d'être entourée pour surmonter cette dure période ou j'étais devenue une cible... Une victime de votre bêtise. Malheureusement être entourée ne suffit pas toujours.
Je me souviens encore de cette journée entière que j'ai passée dans les toilettes à vomir à cause de la peur de retourner en cours. Je me souviens de la nausée qui me prenait aux tripes à chaque passage au tableau en sachant que dans mon dos vous trouveriez une idée pour m'humilier.
Je me souviens de l'angoisse tellement énorme qui m'avait fait perdre mes cheveux. De ces plaques entières sur ma tête ou des cheveux étaient tombés et où ils ne poussaient plus. Je me souviens de ces mois de souffrance.
Je revois ma fin d'année avec bonheur en me disant que tout était fini. Si j'avais su.
Si j'avais su que tant d'années plus tard je serais en train d'écrire cette lettre, les larmes aux yeux, la gorge et le cœur serré.
Vous n'y pensez probablement plus. Moi j'y pense presque tous les jours. J'y pense quand je prends mon colis des mains du facteur et que mes mains tremblent. J'y pense quand je paye à la caisse du supermarché et que mon cœur s'emballe. J'y pense quand je sors dans la rue et croise le regard d'un inconnu me demandant si quelque chose cloche sur moi. Mon apparence, mon regard, mes pensées.
Je repense aux regards que vous portiez sur moi. Ces regards moqueurs, mesquins, méchants... Et j'ai peur, chaque jour que cette personne, cet inconnu qui se trouve devant moi me regarde comme vous le faisiez.
J'ai peur des nouvelles expériences, des nouvelles rencontres, j'ai peur de la société et de comment elle me verra.
Chaque jour est effort difficile que je fais pour sortir des conséquences de votre ignorance. Vous m'avez sans aucun doute oublié mais moi je ne vous oublierais jamais. J'aurais souhaité que ce soit pour d'autres raisons, malheureusement je dois vivre avec le poids de vos erreurs.
J'ai toujours des difficultés à m'exprimer en public, à prendre position en société, à exprimer ce que je ressens vraiment face aux gens. Je mesure cependant les progrès que je fais depuis la fin de ce calvaire. J'ai appris à parler aux autres, devant les autres. Je prends sur moi, j'ai réussi à surmonter plus d'une épreuve difficile, j'ai eu des entretiens d'embauches qui se sont soldés par des réussites, des situations où j'ai dû m'exprimer qui m'ont apporté de bonnes choses et chaque nouveau jour est un nouveau progrès.
Parfois, je me dis que peut-être, si je ne vous avais jamais rencontrée, je serais encore plus loin dans ma réussite. Qui sait ?
Vous ne vous êtes sûrement pas rendu compte, que vous n'étiez pas seulement des harceleurs du collège mais aussi des geôliers. Les geôliers d'une âme meurtrie par l'angoisse.
Cette lettre... Faites-en ce que vous en souhaitez. Lisez-la, moquez-vous, rappelez-vous ou brûlez-la peu importe. J'ai eu besoin d'exprimer des sentiments. Des sentiments que bien trop souvent j'essaye d'enterrer. D'oublier. J'ai le droit de pleurer, le droit d'être en colère, le droit de vous haïr. Vous le méritez.
Pourtant je vous ai écrit cette lettre pour vous dire une chose à laquelle je n'avais pas pensé en la commençant.
Si vous avez tenu jusqu'à la fin... Je vous pardonne.
Et avant toute chose, je me pardonne. Je me pardonne de vous avoir laissés me faire souffrir.
Il me faudra encore un peu de temps mais je serais libre et vous ne serez plus mes geôliers.
Merci d'avoir lu cette lettre.
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