Une nouvelle enquête

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Un numéro composé à la va-vite, plusieurs sonneries dans le vide.

D'un geste trahissant son agacement, l'inspectrice raccrocha violemment le combiné. Il ne répondait jamais passé 19h, comme d'habitude. Même pendant ses heures de services, il était aussi réactif qu'un escargot tétraplégique, et il était rare que son collègue travaillât réellement. 


"On a un nouveau dossier sur une tueuse en série, on t'a affecté à mon équipe. C'était au meeting de tout à l'heure auquel tu n'as bien sûr pas assisté. La perspective de bosser encore avec toi ne me réjouis guère mais puisqu'il le faut... Pour diminuer la casse, tiens-toi à carreau. Ramène-toi demain à 8h pétantes sinon ça va barder. 

Cordialement,

Inspectrice C. Litchi"


Le SMS glacial arriva sur le portable du sergent Laitue quelques secondes plus tard, mais en voyant le nom de l'expéditeur, ce dernier ne prit même pas le temps de le lire. Il était bien trop absorbé par son jeu de tanks, dont il était passionné. 

Lorsque le lendemain, à 9h34, il se rappela de ce message entre son bol de céréales et sa télé, il alluma son téléphone en grommelant.

— Qu'est-ce qu'elle le veut la greluche encore ?

Il étouffa un bâillement en parcourant rapidement les quelques lignes cordiales de l'inspectrice, avant de grimacer. 

— Oh non. Oh non, quand même pas... Et si, putain, ils m'ont recollé avec celle-là ! Pff, qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ce supplice ? 

M. Laitue n'avait jamais aimé son travail. Il n'avait d'ailleurs jamais aimé travailler tout court. Mais lorsqu'à sortie du lycée, il avait dû choisir une voie professionnelle pour subvenir à ses besoins, il avait signé au hasard un contrat proposé par l'Etat. Il n'avait toujours pas compris quel était son poste exactement, mais au moins ça payait bien. 

Le sergent Laitue se présenta au bureau de l'inspectrice aux alentours de 11h04, après s'être perdu dans le dédale de salles de réunions, de briefing et autres salles de torture qu'il n'avait jamais visitées. Il ouvrit la porte à la volée, pressé d'en finir, et tomba nez à nez avec Litchi tapant frénétiquement sur son clavier. Dès qu'il entra, celle-ci ferma son onglet rapidement pour dissimuler les preuves, un voile de culpabilité et de ressentiment sur le visage. 

— Tu aurais pu frapper, assena-t-elle avec un regard assassin. 

— Y a pas de honte hein, tout le monde fait...

— Pardon ?!

Litchi inspira profondément et croisa les bras.

— Sergent Laitue, dois-je vous démolir cette chose qui vous sert de tronche maintenant ou plus tard ?

— Alors madame l'inspectrice, sur quoi porte l'enquête qui nous a été confiée ? J'ai hâte de commencer le travail ! s'exclama Laitue, bizarrement plus enthousiaste à la perspective de travailler qu'à celle de se faire démolir à coups de pieds. 

Litchi rentra dans son jeu d'amabilité affectée et poursuivit sur le même ton. 

— J'ai l'immense bonheur de collaborer avec vous, sergent M. Laitue, afin de démasquer le nouveau Jack l'éventreur. À la différence près qu'au lieu d'étriper ses victimes, cette meurtrière procède par strangulation. Par conséquent, dans le cadre de cette enquête, nous l'appellerons Dame Blanche. 

— Comme le dessert ?

Litchi fronça les sourcils d'un air réprobateur, avant de reprendre d'une voix mielleuse. 

—  J'espère que nous nous entendrons bien, sergent. Vous permettez que je vous tutoie ? Tu peux me tutoyer aussi, cessons donc ces courbettes, nous allons travailler ensemble quelque temps... 

— Je... Euh, oui, bien sûr, madame l'inspectrice !

La menace d'une clef de bras suivie d'un coup à un endroit stratégique planait toujours, autant se tenir à carreau. 

Litchi ouvrit un tiroir de son bureau enfoui sous une montagne de paperasse ainsi que d'affaires qui n'avaient pas grand chose à voir avec son emploi, telles qu'un puzzle entamé, un livre de cuisine spécialisé en pâtes et un puissance 4. Elle en sortit un dossier épais comme un dictionnaire et le lança à Laitue qui, surpris par le lancer autant que par le poids de la bête à sa réception, tituba et manqua de s'affaler sur le bureau. 

— Fais un peu attention, Laitue, enfin ! le tança Litchi. 

Le sergent grommela une réponse inintelligible qui n'était sans doute pas un manifeste de bienveillance à l'égard de sa supérieure. 

— Lis ça d'ici demain, lui ordonna l'inspectrice en croisant les mains sous son menton, accoudée à son bureau. Il contient tous les éléments rassemblés jusqu'à présent sur l'affaire, tu dois absolument en prendre connaissance. Enfin, ce n'est pas comme si tu seras utile de toute façon, mais au moins pour la forme...

— Tout ça ? s'étrangla Laitue, qui n'avait jamais lu de texte plus long qu'une bulle de bande dessinée. 

Lorsque sa supérieure hocha la tête d'un air sadique, le sergent sombra dans le désespoir. Il allait bien être obligé de le faire, sous peine de ne jamais pouvoir être père un jour...

— Bon. Bah au revoir hein, à demain. 

— Rendez-vous à 7h pétantes au même endroit. Nous croiserons nos pistes pour essayer de retrouver la Dame Blanche. Et pas de lapin cette fois, compris ?

Litchi haussa la voix en lui donnant une intonation menaçante. Le sergent lui adressa un grand sourire en hochant la tête vigoureusement. 

— Oui oui, bien entendu !

Sur ces mots, il tourna les talons et referma précipitamment la porte derrière lui. Une fois dehors avec une paroi entre l'inspectrice et lui, il se sentit plus serein. 

— Quelle pouffiasse celle-là... Espèce de graine de dictatrice, va ! marmonna-t-il dans sa barbe plus ou moins existante. 

— Je t'entends, Laitue ! lui répondit la voix glaciale de Litchi. 

— Je disais, quelle pugnacité ! On voit bien qu'elle n'est pas inspectrice pour rien ! 

Et le sergent Laitue quitta le couloir du bureau de Litchi sans demander son reste. 

Après avoir emprunté une navette automatique sur quelques stations, il arriva au pied de son immeuble, son dossier aussi épais qu'un dictionnaire toujours sous le bras. Il n'entendit pas son téléphone sonner alors qu'il farfouillait frénétiquement dans ses poches à la recherche de ses clés, qu'il avait encore perdues. Lorsqu'enfin il rentra dans son appartement et put déposer son fardeau sur sa table ensevelie sous la vaisselle sale de la semaine passée, il se sentit revivre. 

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