7. Interrogatoire

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Je suis dans ma chambre. Hagard, je tremble de terreur. J’ai envie de mourir. Je veux vivre mais je sens mes jambes trembler.

Je décide de prendre une douche. Même si l’électricité est absente je compte sur la réserve du ballon de la chaudière.

Effectivement quelques minutes d’eau chaude me font du bien. Je me savonne, me rince sous une eau qui devient de plus en plus froide pour finir glacée.

Mais cette douche glacée qui me fait perdre ma respiration me ramène aussi à la réalité. Je dois me réveiller et survivre. Je dois me battre, je ne dois pas être le seul à être en vie.

Je repense aux paroles de l’homme en noir que j’ai tué. « Tu peux encore nous rejoindre… » « Nous rejetons les agneaux et les moutons… »

Est-ce pour ça le tri devant les blindés ? les bons ? les mauvais ? les faibles et les forts ?

Pourquoi avoir sélectionné mon père et non ma mère ? ils sont tous les deux fonctionnaires, enfin ils l’étaient…avec le même niveau de responsabilité, enfin je crois.

Je fouille dans ma mémoire. Mon père a-t ’il montré un jour des compétences spéciales qui justifieraient sa sélection… ?

Ma mère a-t-elle été exclue car c’était une femme ?

Etait-elle malade ? quels étaient les critères de ce tri sélectif sur ordinateur ?

Serions-nous tous fichés depuis des années sans le savoir ?

Je me rends compte avec amertume que je ne peux répondre à aucune de ces questions…le moral retombe et je sens les larmes envahir mes yeux.

Mais bordel ! que vais-je faire ? que vais-je devenir ? où a été emmené mon père ???

Je reviens à la réalité et repense à ce sniper qui doit fumer clop sur clop tout en balayant la rue avec sa lunette.

Il saura me dire lui, même si je dois le torturer, même si je dois le tuer. Il pourra me raconter ce qui se passe, où retrouver mon père.

Je décide de me mettre en chasse.

Plein d’espoir de trouver des armes je retourne dans la chambre dans laquelle j’avais trainé le corps de ma victime. Il est toujours là, dans une mare de sang. Sur son torse une étiquette a été collée, portant l’inscription « mort en patriote du nouvel ordre – Entrepôt H415 »

Il n’a plus ses armes ni son oreillette.

Je lui enlève sa combinaison et ses bottes. Elle me va un peu grande et les bottes ne sont carrément pas à ma taille, je flotte dedans.

Tant pis je fais des retours au pantalon et aux manches, je bourre le bout des bottes de papier mais je sais que je serais plus discret dans cette tenue, sauf bien sûr si je tombe sur un survivant armé qui tirera à vue.

Cela semble peu probable au vu de l’application des commandos à nettoyer les maisons. Je me faufile dans la rue et traverse le lotissement par les jardins.

A chaque pause je me cache, reprends ma respiration, me calme. J’écoute tous les bruits et je repars comme un ninja silencieux.

Après un détour un peu long je me retrouve enfin derrière la maison dans laquelle est censé se trouver le sniper.

Je monte discrètement à l’étage, non sans avoir pris un couteau dans la cuisine.

J’arrive sur le palier. D’après moi et la vision que j’ai eu du pavillon il doit se trouver dans la suite parentale, qui donne directement sur la rue.

Je passe de longues minutes l’oreille collée contre la porte, tentant de discerner le moindre bruit dans la pièce.

Mais rien… c’est désarmant, frustrant.

Je décide de balancer quelque chose dans l’escalier. Un vase ? l’homme va sortir et je lui sauterai dessus.

Seulement est-il seul ? je ne sais même pas comment fonctionne les snipers. Dans les films ils sont des fois deux, un pour situer les cibles et guider le tireur dans son acte morbide.

Pourtant il est sorti tout seul tout à l’heure…le doute est là. Je ne peux pas me louper.

Soudain j’entends un bruit sourd. Des pas se dirigent vers la porte, étouffés par la moquette. J’ai juste le temps de rouler et de me jeter derrière le lit de la chambre attenante.

Un homme passe devant en maugréant :

« Putain fais chier cette planque de merde ! je suis maudit ! ils sont tous canés ces enfoirés de Sint »

Il va aux toilettes, je l’entends uriner bruyamment. Il a visiblement beaucoup bu car il parle tout seul, se plaint de sa solde, de son chef.

Il repasse. Je décide d’agir. Je me lève et le suis. Au moment où il se retourne pour refermer la porte il me voit et ouvre de grands yeux…

« Putain ! ... » pas le temps pour lui de continuer sa phrase je lui décroche un coup de poing en pleine face et il roule par terre.

Je me jette sur lui, persuadé qu’un sniper sait se battre. Je relève mon poing vengeur mais il est là, inerte, et semble presque ronfler…

Je décide de l’attacher. Je fouille précipitamment et trouve des menottes dans la table de nuit, je souris intérieurement c’est tellement décalé dans cette apocalypse.

Je l’attache au montant en acier du lit conjugal.

Il est toujours dans son coma, j’en profite pour étudier la pièce.

Il y fait froid car la vitre est brisée, laissant passer le canon de son fusil sur son trépied.

A côté de son poste de tir je trouve un paquet de clop, des chargeurs, une bouteille de whisky vide et un reste de sandwich. Je me jette dessus j’ai si faim. Je réalise que je n’ai rien avalé depuis la veille.

Je finis d’engloutir son sandwich et le regarde, plein de bave, ronfler comme un goret, pendu par ses menottes.

Il ne m’effraie plus du tout. Rien à voir avec ma première cible qui dégageait une aura dévastatrice. Il ressemble à M. tout le monde, en aucun cas à un militaire aguerri. Même son abdomen gonflé traduit l’homme en manque d’exercice.

Il grogne dans son sommeil. Il porte une petite moustache.

La haine m’envahit progressivement. Je dois le haïr pour le tuer. Après tout ce n’est pas si difficile. Il n’aurait pas eu de scrupules, du haut de sa position, pour me loger une balle dans la tête lorsque j’ai voulu sortir ce matin. Il n’a pas ressenti non plus de tristesse lorsqu’il a abattu la nourrice.

Combien de gens a-t- il visé dans sa lunette, avant de les envoyer à la mort sur une simple pression de la détente de son arme ?

Je reviens sur sa tenue. La même que les autres. Le même blason, avec un autre dessous figurant une cible avec un fusil à lunette posée dessus. Sa distinction de tireur d’élite forcément. Je regarde ses bottes. Je décide de les lui enlever pour les essayer choix judicieux elles sont à ma taille. Bien !

Il cligne des yeux. Il semble se rappeler à sa mission.

Je décide de reprendre le dessus. Je lui assène une terrible gifle, de toute mes forces.

Il se réveille complétement maintenant. Me regarde terrifié.

« Que veux-tu ? »

« C’est moi qui pose les questions connard » et je lui assène une nouvelle claque dans l’autre sens.

Il me jauge. Il saigne du nez. Il me dégoûte.

« C’est quoi les FIEXD ? » ; « ça veut dire quoi Sint ? »

Pour bien asseoir ma colère et ma détermination je lui recolle une gifle en pleine face.

Il relève la tête, il se met à sangloter. Il me donne envie de vomir.

« Arrête je vais tout dire … je ne fais qu’obéir aux ordres… »

Je le frappe, je n’arrive pas à m’arrêter. J’enchaîne mes coups avec fureur, j’en pleure de douleur en pensant à tous ces gens qui sont morts…

J’arrête enfin. Son visage est en sang, ses yeux tuméfiés, sa lèvre fendue. Son nez n’est plus que bouillie. Je regarde mes poings ils sont violets et tuméfiés. Je transpire à grosses gouttes, en même temps j’ai froid.

Il réalise que je me suis momentanément calmé et se lance :

« Le FIEXD c’est la Force d’Intervention d’Extrême Droite »

Il enchaîne « Les Sint ce sont les Sans intérêt »

Je le regarde, ébahi…

« Comment ça les Sans intérêt ?? »

Il reprend, visiblement soulagé que les coups ne redoublent pas

« Les Sint sont des gens catalogués comme…sans intérêt pour le nouveau gouvernement…des gens triés par rapport à leur intérêt pour le parti »

Je le regarde, incrédule.

« Vous êtes pires que des Nazis alors ? »

« Non… le parti veut juste rebâtir une France forte et glorieuse, et la sélection lui permettra de redevenir la puissance qu’elle affichait avant, débarrassée des … » il hésite me regarde puis reprend :

« Débarrassée des nuisibles qui ne font que la ralentir… »

Je veux tout savoir, et même si ces derniers propos me donnent envie de lui ôter la vie je décide de prendre sur moi et de continuer à poser toutes les questions qui me préoccupent depuis les événements de ce matin.

« Mais tous ces attentats, toutes ces bombes ? qui a fait ça ? le FIEXD ? »

Il sourit, reprend confiance.

« Non c’est l’armée. Depuis 00H00 elle a rejoint le parti. Ce sont des mirages 2000 qui ont fait les premières attaques ciblées puis les bombardiers qui ont achevé de raser Paris. »

« Un renversement ? un putch ? »

« Oui ! une révolution !! » Il exulte…son fanatisme le fait sourire de plaisir. Il reprend :

« Tous les partis de pacotille, les écolos, les sans partis…tout ce joli monde qui s’agitait sans prendre de décisions, qui criait et se débattait pour rabattre à lui la solidarité, l’entraide, pour réunir des voix, prêt à toutes les concessions pour gagner des points aux suffrages… bref tous ces gens sont effacés, morts, finis »

Il ricane…il y croît à son lavage de cerveau. Je reste sans voix.

« Mais alors c’est qui à la tête de ce parti d’extrême droite ? »

« C’est un secret, même moi, militant de la première heure, je ne connais pas le nom du boss. C’est un conglomérat d’idées et de têtes pensantes qui ont décidés d’unir leurs forces pour reprendre la France en main ! »

« En détruisant tout ?? en assassinant des millions de gens ?? » éructai-je

« Oui !!! ce sont des dommages collatéraux ». Son enthousiasme me donne la chair de poule. Il enchaîne, semblant relire un tract de propagande :

« Oui !!! fini l’assistanat, fini les boulets !! la France en a marre d’être solidaire et d’être tirée vers le bas !! vive la révolution ! »

« Mais la France c’est des valeurs fondamentales de liberté, d’égalité, de fraternité ! » tu es qui pour avoir oublié toutes ces valeurs ? Je hurle ces mots, je le sens indifférent, sûr de lui et de ses convictions.

Il sourit. Je sens qu’il va me révéler sa dernière pièce, son dernier atout.

« Oh mais ce n’est pas que la France !! tout est mondial ! le monde est à feu et à sang, l’ordre nouveau est partout ! »

Je le regarde, interloqué…

« Comment ça ? partout ? »

« Oui l’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne, la Belgique…tous »

Je suis incrédule. Je trouve la faille :

« Et les pays musulmans ?? hein ??? ils ne sont pas d’extrême droite eux !!! ils ont rejoint votre mouvement du renouveau ?? »

« Non bien sûr, mais il ne feront rien contre nous. L’Europe aura réussi son renouveau et sera entièrement extrême-droite. S’ils décident de nous poser problème le Boss avisera »

Il rigole…

« Allez camarade libère moi ! tu peux rejoindre notre mouvement je prendrais soin de te présenter à mes chefs »

Je lui souris. Je me colle contre lui et le regarde droit dans les yeux.

« Et les Etats-Unis ??? et la Chine ??? et les Russes ??? »

« Les Etats-Unis finiront par nous rejoindre, ils sont contre l’invasion des mexicains et depuis déjà des années ils combattent les noirs et les chinois, ils attendent juste de voir si nous allons gagner… Quant aux Russes ils sont communistes de naissance, tout comme les chinois, notre combat se ressemble, la culture de l’élite est identique, même si les idées ne sont pas orientées vers le même idéal »

Il ajoute :

« En tous cas ils ne nous gêneront pas dans notre œuvre de renouveau. D’après les communications du Boss ils s’y sont engagés. Observateurs ! » dit-il en souriant.

« Comment avez-vous étés réveillés ? toi et tes potes de merde » lui demandais-je.

« 2h avant le déluge nous avons reçu un SMS pour éviter les endroits cibles. Le message était « FIEXD en alerte H-2 »

Je suis perdu…déprimé. Tout est orchestré, tout est manipulation. Nous sommes passés d’une nation libre et laïque à un état totalitaire, une dictature…

Je pense à tous ces morts, aux tours Kipling du quartier des Lilas…rasées car pour quelques « élites » selon eux le quartier était « Sint » …. Dommage collatéral…

En fait ils ont d’abord frappé en masse, et se penchent maintenant sur ce qui peut être sauvé, ce qui peut avoir été « oublié » dans leur premier tri destructeur.

Car j’imagine bien que les gens importants à leur idéologie avaient, tout comme les FIEXD, reçu le gentil petit sms d’alerte, histoire de se réfugier hors des zones cibles.

J’en ai trop. Je le regarde, il a bien repris confiance, sur de son engagement et convaincu de sa légitimité.

Je repense à ma journée, à ma mère morte, à mon père enlevé, à la nourrisse dans la rue, fauchée par sa balle en pleine gorge. C’en est trop. Je me mets sur lui. Je le regarde. Il soutient le duel puis finit par baisser les yeux.

« Mon père ! il est parti dans un blindé… pour aller où ?? »

« Aucune idée ». Je sens un regard de défi dans ses yeux. Il sent que je suis à bout de nerfs et son discours lui a redonné confiance.

Il commence à s’agiter, essayant de me désarçonner.

Je me colle contre lui, le forçant à se calmer. Je le regarde intensément. Il comprend.

Soudain il pousse un cri et du sang sors de sa bouche. Le couteau rentre centimètre par centimètre dans son cœur, et je lui parle de cette nourrisse qu’il a envoyée dans le néant au nom de son parti. Je vois la vie le quitter, j’enfonce le couteau jusqu’à la garde, le faisant cautériser sa plaie.

Il râle une dernière fois. Son corps s’affaisse totalement.

Je me relève. Je suis éreinté. Je dois trouver un endroit pour passer la nuit.

Lui sera découvert sous peu et la fuite immédiate serait mon meilleur atout pour échapper aux hommes du FIEXD.

Je sors dans la rue. Mes jambes ne me tiennent plus. Je tombe à genoux.

Je lève les bras vers le ciel et me met à hurler comme un loup blessé.

Dans la lumière de la lune je vois une ombre au-dessus de moi. Un coup un seul et je tombe à terre.

Je sens qu’on m’emmène, j’entends des chuchotements. On me pose par terre.

Ma vie va sûrement se terminer là. Je sombre dans le néant.

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