2. Un oiseau blessé (Kol')

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Kol' venait de sortir du bar où il travaillait. C’était la fermeture. Il était assez tard et n’avait qu’une envie, se blottir dans les draps de son lit douillet. La soirée n’avait pas été facile, le groupe qui était sur scène pour une représentation avait attisé des casseurs et bagarreurs. En même temps, quand on écrivait ses paroles sur l’Allemagne et les deux Guerres… Il ne fallait pas s’étonner. Le barman avait dû aider le vigile ce soir-là. C’était une petite salle, habituellement il pouvait s’en sortir seul, mais là… Quand il s’agissait d’une vingtaine d’hommes passablement éméchés venus exprès pour casser du musicien… Le pauvre ne pouvait hélas pas s’en sortir.

De ce fait, il avait usé de sa force surhumaine, en faisant attention, bien entendu. Ainsi que de ses charmes pour convaincre certains d’arrêter. À la fin de la soirée, le bar était dans un état… On aurait dit l’antichambre de l’Enfer. Et ce n’était pas une plaisanterie, cela ressemblait réellement à ça. Comment pouvait-il le savoir ? Eh bien, car Kol' était un démon. Pas de grande envergure, évidemment, mais assez pour avoir arpenté les couloirs sombres d’en bas pour connaître la déchéance que c’était. Pourquoi n’était-il plus là-bas ?

Le démon n’avait pas vraiment envie d’y penser. Juste… Il n’y était plus, et n’avait certainement pas envie d’y retourner un jour. Non, ce n’était pas là son objectif. Son objectif était simplement de se faire une vie humaine bien tranquille pour vivre en paix. Étrange pour un démon, n’est-ce pas ?

Cela faisait maintenant bien quatre-vingts ans qu’il foulait cette Terre, connaissant presque par cœur sa ville, dans les moindres recoins. La voir grandir, avec le temps qui passe, inexorablement pour les humains, alors que lui ne vieillissait pas, comme si son propre temps s’était arrêté était une des occupations favorites du brun. Autrefois, cela avait été bien difficile de cacher sa bizarrerie aux yeux des humains. Après tout, un homme avec les yeux rouges… Ce n’était pas normal. C’était une époque ou il avait dû se cacher ou trouver des parades. Grâce ou à cause de cela, il avait intégré le monde de la nuit de cette ville qu’il affectionnait tant. Se retrouvant parfaitement dedans. Au fils des années, devenant un habitué de ses quartiers, quelqu’un de connu, même… Une légende urbaine, plus personne ne fit attention à la couleur de ses yeux. Encore moins aujourd’hui, avec la possibilité pour les humains de mettre des lentilles ou de se colorer l’iris par un tatouage permanent.

Après avoir enfin réussi à tout nettoyer et tout ranger, il put enfin fermer le bar, faisant rouler ses clés autour de ses doigts, le bruit de cliquetis l’apaisant. Puis, il attrapa une clope, noire, bien évidemment. Le noir était sa couleur. Il en avait partout sur lui. De sa couleur de cheveux, à ses ongles, ses vêtements… Seule la couleur de ses yeux dénotés avec tout ceci. Fumant, l’odeur de cerise de sa cigarette se répandit autour de lui. Alors, il entama le pas pour rentrer chez lui, n’habitant pas très loin.

Passant alors devant une petite rue étriquée, entre deux immeubles, dont l’un était le sien, il entendit une complainte. Un appel à l’aide… Quelqu’un devait être en mauvaise posture dans la ruelle… Sûrement un homme qui venait de se faire tabasser. Se décidant, il entra dans la ruelle, mais avant même de voir, il sentit. Grimaçant d’un seul coup.

— Pouah… ! Ça pue l’ange à un kilomètre !…

Malheureusement, sa grimace se transforma en rictus sadique, faisant voir ses canines alors qu’une main dans la poche de son manteau long en cuir noir, et son autre main avec sa cigarette à la bouche, il s’avançait vers l’être céleste complètement disloqué. Les senteurs autour de lui exaltées sont excitation montante. Un ange était là, étendu devant lui. Une aile probablement cassée, vu l’angle. Le spectacle était si beau à ses yeux qu’il pourrait verser une larme s’il ne se retenait pas pour paraître le plus calme possible. Mais voir des ailes si blanches maculées de rouge… Jamais dans ses rêves les plus fous il n’aurait cru voir cela. C’était un peu un but pour tout démon qui se respecte. Blesser gravement, ou tuer un ange… Bien qu’aujourd’hui, même s’il détestait en partie les anges à cause de leur air supérieur… Il ne voulait tout de même pas la mort d’un ange. Après tout, comme les démons, les anges étaient soumis aux lois de leur Père, qui n’était autre que le Dieu des humains.

Il avait rencontré quelques anges dans sa vie, et la seule chose qu’il ressentait pour eux était de la peine. Ces êtres lui faisaient simplement penser à des robots qui se devaient d’obéir, sans même réfléchir à l’ordre auquel ils répondaient. Les démons, eux, avaient quand même le droit d’émettre des opinions, de chercher à comprendre, ou même le droit de se rebeller. Prenant encore une bouffée de sa cigarette, Kol s’approcha un peu plus de l’ange. Se penchant pour être plus près de son visage. Il était très beau, à n’en pas douter, le genre d’homme, si seulement ç’avait été un homme, qui lui plaisait. Avec des traits fins, comme lui. Et de longs cheveux bruns. Qu’est-ce qu’il aimait ça, les longs cheveux !

Finissant par glousser sadiquement face à la répartie de l’ange, qui semblait lutter pour ne pas se laisser faire part le démon devant lui. Sauf qu’il n’avait pas trop le choix, vu la gravité de sa blessure. Se léchant la lèvre supérieure, il ne put que sourire et être encore plus intrigué par le personnage.

— Pauvre petit oiseau…

Sortit-il, de sa voix suave et moqueuse alors que l’être céleste venait de perdre connaissance. C’était décidé, il allait l’emmener avec lui. Heureusement qu’il avait pris son grand manteau ce matin, sinon, il aurait eu une colle à savoir comment cacher ses ailes aux passants dans la rue. L’ange aussi devait avoir le pouvoir de dissimuler ses ailes aux humains, mais vu qu’il venait de perdre connaissance… Pas sûr que le pouvoir agisse de sa propre initiative…

Soupirant, il ne put s’empêcher de garder son sourire. Si ses anciens frères savaient ce qu’il était en train de faire… Ramener un ange blessé et potentiellement mourant chez lui… Non, mais quelle blague. Le prenant dans ses bras après lui avoir couvert les ailes, il posa sa tête contre son épaule, pour le porter dessous ses jambes, comme pour faire croire que l’ange c’était endormit contre lui. Il fut d’ailleurs assez étonné, l’individu était aussi léger qu’une plume. Pourtant il avait la corpulence de quelqu’un d’un peu plus lourd que lui. Était-ce son essence angélique qui en était la cause ? Allez savoir.

C’est en essayant de rentrer dans son immeuble que les problèmes commencèrent. Ses ailes étaient mal en point, dans des positions étranges, de ce fait, il ne pouvait pas les bouger, sous peine, sûrement, de réveiller la douleur dans le corps de l’ange brun. Kol' avait beau aimer la douleur, celle-ci venait d’une blessure, il ne pouvait pas le faire souffrir inutilement. Imaginez que l’ange ne meurt face à une trop forte douleur en bougeant ses ailes ? Non, trop risquait. De plus… Est-ce que les anges tombaient en un mélange de plumes et de morceaux de verre quand ils mouraient ? C’était ce qu’on lui avait dit depuis qu’il était « né ». C’était un peu la légende urbaine en Enfer. Mais il ne savait pas pourquoi, il n’y avait jamais cru. Alors aujourd’hui, malgré tout, il avait un peu peur que cela arrive. Ne voulait pas… Casser un peu plus l’ange, pour ne pas qu’il se change dans ses bras en morceaux de verres.

Finalement, il avait choisi de prendre les escaliers plutôt que l’ascenseur. Montrer quatre étages, ce n’était absolument rien pour lui. Par contre, quatre étages en faisant attention à des ailes monumentales… C’était une autre histoire. Enfin arrivé au sommet de son immeuble, il entra dans son appartement. Il n’était pas très reluisant, mais avant un atout que Kol' ne pourrait jamais regretter.

— Hum… Ou je vais le mettre maintenant…

Telle était la question. Le clic-clac du salon était trop petit et il aurait fallu le mettre ne plein milieu du salon pour que ses ailes ne touchent pas les murs ou quoi que ce soit de dangereux pour leur guérison. Pas le choix, il devait l’allonger dans sa chambre. Tant pis, il dormirait sur le canapé. Alors, il l’emmena l’allongeant sur le ventre, histoire que ses ailes ne frottent sur rien. Puis, il alla chercher une bassine d’eau tiède pour nettoyer le sang des ailes et du visage du pauvre garçon. Se demandant alors pourquoi il était tombé. C’était… De plus en plus rare, de voir les anges tomber de nos jours. Enfin, il banda quelques endroits des ailes qu’il pouvait sans lui faire trop mal, néanmoins, il ne pouvait pas faire grand-chose avant son réveil.

Allant sur la grande terrasse de son appartement pour finir de fumer, attendant qu’il se réveille. Quelque temps plus tard, il entendit bouger dans la chambre, s’y rendant, il s’assit au bord de son lit, pour se pencher afin de voir le visage du blessé. Lui souriant d’un air presque enfantin.

— Tu as interdiction de bouger ! Tes ailes sont dans un sale état, tu sais ? Qu’est-ce que c’est chiant pour te transporter !

— Je n’ai aucun ordre à recevoir de toi… Démon !…

Hum… Il était sur la défensive. Mais cela ne rebuta pas le démon, qui d’ailleurs prenait l’ange pour une sorte d’animal blessé, comme les chiens errants qu’il croisait parfois.

— Taratata ! Je ne blague pas. Si tu tentes de te lever ou de trop bouger, je t’attache au lit ! J’ai ce qu’il faut pour, ne prends pas mon avertissement à la légère. De plus, vu ton état, je suis clairement plus fort que toi.

— Tss… venait de sortir l’ange, en guise de seule réponse.

Cela se voyait, qu’il détestait les démons. C’était presque programmé dans l’esprit des êtres du Paradis, de détester les démons au point de ne rien vouloir d’eux.

— Après, si tu ne veux pas de mon aide, je peux très bien te laisser attacher au lit, si tu bouges trop, sans nourriture ni soin. Après tout, je n’ai pas de connaissance en médecine angélique et n’ai pas non plus le pouvoir de guérir les autres. C’est tellementtttt dommage !

Bien évidemment, Kol' essayait de convaincre ce petit oiseau blessé qu’il devait accepter son aide. Sinon, il était clair qu’il allait souffrir encore plus et mettre vraiment longtemps à se remettre. Il avait sans doute une aile cassée gravement et l’autre… Blessée, mais pas trop sérieusement. Après tout, lui aussi avait des ailes. Différentes de lui, mais une paire d’ailes quand même.

— Sinon, moi c’est Kolrarid, mais tout le monde m’appelle Kol ». Si tu te décides enfin d’accepter mon aide, car ce sera sûrement la seule que tu auras ici-bas, tu n’auras qu’à m’appeler.

Cette fois, il se leva, l’air nonchalant pour aller dans le salon, laissant la porte de sa chambre ouverte, pour entendre les faits et gestes du blessé. Entrant dans la cuisine, juste séparée du salon par un petit bar, il regarda ce qu’il lui restait dans les placards, car il avait un petit creux. Hum… Pas grand-chose, à part des céréales et des nouilles japonaises instantanées. Son choix se porta alors sur les nouilles, en prenant quatre paquets, pour en mettre deux de chaque dans deux gros bols, pour mettre l’eau à chauffer. Autant lui préparer quelque chose, qui le calerait un peu quand l’ange voudrait manger. Mais attendez… Est-ce que les anges mangeaient au moins ?…

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