13. Le châtiment (Camille)
Camille n’avait pas vraiment la force de se battre, sa vision était troublée par ses larmes. Il voyait le sol s’éloigner de lui, rendant la ville de plus en plus minuscule. Il n’avait aucun pouvoir, même pas la force de se battre contre les anges. Comment pouvait-il résister face à la force de Barnabé, cet ange en armure. On dit que l’amour donne des ailes, est-ce vrai ? Toujours est-il qu’il tenta une chose désespérée. Dans un hurlement de colère, il frappa l’archange qui fut légèrement perturbé par sa manœuvre. Camille déploya ses ailes et donna une poussée pour s’éloigner de lui.
— Tu comptes aller ou comme ça ? siffles l’ange en se tenant le nez.
— Rejoindre Kol’ !
— C’est un démon, tu n’as pas à t’abaisser à ça. Tu es véritablement un traître. Tu as fait exprès de faire rentrer des âmes damnées au Paradis ?
— Non, mais je sais que quelqu’un m’a poussé pour que je tombe ici sur terre. Depuis, j’ai une marque maudite dans le dos. Je n’ai pas eu mes ailes noires à cause de ce que j’ai fait en bas.
— Vraiment ? Tu n’as pas forniqué avec le démon ?
Camille se crispa face à la question, donnant un coup d’aile pour se reculer encore un peu. L’archange eut un sourire en coin, ricanant sadiquement.
— Aller, ce n’est rien, on peut tout faire des erreurs après tout, tu as été humain dans ton ancienne vie. Tu vas le redevenir le temps de t’absoudre de cette fâcheuse erreur et tu reviendras parmi nous avec un esprit neuf.
Il lui tendit la main, souriant chaleureusement, mais Camille ne savait pas quoi faire. S’il lui prenait la main, il ne reverrait jamais Kolrarid.
— Je veux… Rester un déchu, même si je deviens aussi fragile qu’un mortel, je veux rester… Chez les humains, murmure-t-il.
— Quoi ?! Non, VIENS AVEC MOI, hurle l’ange de sa voix supérieure.
Camille se boucha les oreilles avec ses mains, gémissant douloureusement avant d’ouvrir grand les yeux.
— Non !
L’archange écarquillat les yeux, cela était rare qu’un ange inférieur arrive à résister à la voix supérieure. Il fonça sur Camille, les mains en avant, mais le jeune homme repliait ses ailes pour piquer vers le sol. S’ensuit alors une course poursuite aérienne, mais quand Camille arriva à l’appartement, Kol’ n’y était plus. Sans réfléchir plus que ça, il cacha ses ailes et se mit à courir dans les ruelles. Se bouchant les oreilles pour éviter d’entendre le sifflement de la voix superieur de l’ange.
— Kol’, hurlait-il avec désespoir.
Barnabé atterrit alors juste devant lui, le faisant tomber au sol sur les fesses.
— Ça suffit ! Tu veux qu’on détruise ton âme au lieu de te réincarner ? C’est ce que tu veux ? hurla l’ange.
— Non… Je…, bégaille Camille, tremblant. Je veux juste…
— Tu n’auras le droit à rien ! Tu es resté ici bien trop longtemps, ne m’oblige pas à t’assommer pour t’amener avec moi.
Il était de toute façon trop tard, Kolrarid avait lui aussi disparu et Camille ne pouvait pas aller à l’encontre de l’archange. Entre se réincarner et perdre ses souvenirs, ou disparaître à jamais, il préférait vivre. Car en vivant, il avait peut-être une chance de revoir le démon.
En arrivant au Paradis, il fut tout de suite maîtrisé, ses ailes furent enchaînées tout comme ses poignets et ses chevilles. Il ne fut pas mal traité, les anges n’étant pas en soi mauvais avec les déchus, mais il était obligé de rester agenouillé au sol, enchaîné. Il avait été placé dans l’une des grandes salles de jugement du palais principal. C’était le plus beau palais jamais construit en tout temps. Il abritait des vitraux de toutes les couleurs, des fresques divines représentant la création du monde. Il n’y avait pas de représentation de Jésus ni de la Sainte Vierge, car les anges ne leur vouaient aucun culte, mais il y avait une représentation de tous les archanges.
C’est après de longues heures que finalement le jugement arriva, tous les archanges étaient présents, même Gabriel, le formateur de Camille qui le regardait avec une infinie tristesse.
— Camille, commença Gabriel, peux-tu nous dire ce qui s’est passé ?
— Vous voulez que je commence par quoi ? Mon erreur d’avoir fait rentrer des âmes qui auraient dû aller en enfer ? Ou que quelqu’un m’ait poussé dans le vide alors que je me lamentais après mon erreur, répliqua le jeune homme.
— Quelqu’un t’a poussé ? Mais qui ?
— Si je le savais… Il semblerait que quelqu’un profite de mon erreur et veuille absolument tout faire retomber sur moi.
Un murmure d’indignation traversa l’assemblée. Puis Azrael, prit la parole.
— Cela fait plusieurs jours que nous avons découverts des tâches de ténèbres au paradis. Elles ne sont pas dues qu’aux âmes damnées que Camille a fait entrer… Il y a quelque chose ou quelqu’un qui fait entrer les ténèbres ici.
Un nouveau murmure passa dans l’assemblée, Camille n’avait pas son mot à dire. À ce moment-là, un ange ouvrit la porte à la volée, essoufflé et paniqué.
—— Le palais de l’entrée s’écroule !
Tout le monde se rua alors vers l’extérieur, laissant Camille à genoux et toujours attaché. L’ange qui avait donné l’alerte se redressa et semblait reprendre son sérieux. Il s’approcha et commença à tourner autour de lui, comme un lion avec sa proie.
— Alors, ça fait quoi d’avoir les ailes noires ? demanda-t-il.
Camille releva les yeux vers lui, fronçant rapidement les sourcils. L’ange en face de lui avait un sourire sadique, mais surtout des yeux rougeoyants. Il déploya ses ailes soudainement pour dévoiler lui aussi des plumes entièrement noires. Il les secoua quelques instants et celles-ci redevinrent blanches.
— Bordel, c’est toi le traître ?
— On devient vulgaire ? Le démon a déteint sur toi ? Ça fait quoi d’en avoir un entre ses cuisses ?
— Mais tu es qui ? Tu me veux quoi ?
— Moi, je ne te veux rien, mais… quelqu’un de plus puissant que moi a des projets pour toi et le démon. Tu veux que je te détache ? ricana le déchu.
— NON ! Laisse-moi ! Je dois assumer mon erreur, et toi… Tu devrais avoir honte. C’est toi qui m’as poussé ?
— Tu es perspicace.
— Pourquoi ? hurle alors Camille.
— Pour Kolrarid. Il semblerait qu’il soit le jouet préféré de Lucifer… Et toi… Tu vas le briser en un millier de morceaux ! Il est actuellement dans les mains d’un autre démon qui va s’amuser à le torturer délicieusement.
Sur ses mots il sortit du palais, laissant Camille seul. Le jeune homme avait les mains tremblantes, non pas à cause de la peur, mais de la rage. Au bout de longues heures, les archanges revinrent, se plaçant autour du jeune déchu.
— Nous pouvons continuer, la tache sombre a été maîtrisée, l’informa Gabriel.
— Puis-je demander une dernière requête ? le supplie Camille.
— Oui, tu as le droit à un dernier vœu qui ne va pas à l’encontre de ta condamnation.
— J’aimerais… Que vous sauviez Kol’.
— QUOI ?! Mais c’est un démon, s’insurgea Azrael.
— C’est ton dernier souhait Camille ? demande alors posément Gabriel.
Les archanges commençaient à s’agiter, mais leur chef leva la main.
— Son souhait ne va pas à l’encontre de son jugement, nous devons le respecter. Ignas et Pierre, allez le retrouver, vous êtes de ceux qui savent où il se trouve. Trouvez ce démon, et faites-en sorte… Qu’il ne meure pas.
Pierre fait un pas en avant, le visage déformé par la colère.
— Je ne vais pas m’abaisser à sauver un démon. C’est grâce à celui qui le tient prisonnier que nous avons trouvé ce déchu…
— Tu remets mon ordre en doute ? s’imposes Gabriel, froidement.
Pierre baissa immédiatement les yeux, grimaçant encore avant de finalement baisser les épaules. Ignas, quant à lui s’était dirigé vers la porte, prêt à accomplir sa mission. Celui-ci se tourna vers Camille une dernière fois.
— As-tu quelque chose à lui dire ? demanda-t-il au déchu.
— Que… Que je l’aimerai même en tant qu’humain, qu’il doit me trouver.
— Bien, je lui dirais.
Pierre fit volte-face pour rejoindre son acolyte et partir. Quant à l’autre ange, il fixait Camille étrangement.
— Les anges ne sont pas censés pouvoir tomber amoureux, murmura Gabriel.
— Je ne suis plus un ange, mais un déchu. Je ne regrette rien, répondit Camille.
— Oui… Tu vas donc perdre tes ailes, tu vas devoir subir le rituel d’humanisation. Je suis tellement désolé, Camille. Mais je crains que tu ne puisses jamais le retrouver, les humains sont si nombreux et tu vas commencer une nouvelle vie.
— Il aura toute une vie… Je suis certain que j’arriverais à le reconnaître, car je l’aime à en crever.
Gabriel lâcha un long soupire avant de finalement lever la main. Le rituel allait commencer, Camille savait ce qui l’attendait. Deux anges s’approchèrent, lui déliant les ailes pour les maintenir tendus et tirés. Le jeune homme ferma alors les yeux, priant en silence, une prière d’amour. Il essayait de se graver à jamais l’image de Kolrarid, de la graver jusque dans son âme. Il voulait ne penser qu’à lui malgré les souffrances atroces qui allaient suivre. Il ne voulait que son image, son visage, son sourire, ses caresses, sa peau contre la sienne.
Un hurlement de douleur pure retentit dans le palais. L’une de ses ailes venait de lui être arrachée, mais dans son esprit il y avait le beau sourire de Kol’. La deuxième lui fut retirée tout aussi brutalement, mais il ne poussa aucun cri, crispé par la douleur. Le sang coulant dans son dos jusqu’au sol, son sang avait une couleur noire.
— Tu es déchu jusque dans ton sang mon pauvre Camille, murmura Gabriel.
— Mon âme doit sûrement l’être, tremble-t-il.
— Peut-être, tu auras une vie pour te laver de tes péchés.
— Si… Ce n’est pas le cas ?
— Je ne sais pas Camille, le tout puissant à la réponse, pas nous.
Le jeune homme se redressa alors, n’ouvrant toujours pas les yeux, car derrière ses paupières il avait toujours l’image de l’homme qu’il aimait.
— À dans une vie Camille, conclut alors Gabriel.
À ce moment-là, quelque chose traversa le cœur du jeune homme. Sûrement la lame du jugement. Elle le transperça avec facilité, comme s’il n’y avait aucune résistance de chaire. Il ne ressentit aucune douleur, mais il eut l’impression que le temps s’était arrêté. C’était le cas, le temps venait de s’arrêter pour lui.
— Kol’…
Ce fut son dernier mot avant qu’il n’explose en une multitude de particules dorées. Celles-ci voletant avant de se désagréger elles aussi. Camille n’était plus.
Quelques secondes plus tard, dans une maternité sur la Terre, un cri retentit. Le cri de la vie, celle d’un nouveau-né.
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