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Le samedi, ils allaient rejoindre la famille. Gilles s’occupait beaucoup de Samsidine, toujours accueilli chaudement par son petit-fils et par celle qu’il appelait « Maman », alors qu’elle aurait pu être sa fille.
Pendant que Codou travaillait à vendre son plaisir, Gilles découvrait le village lors de longues promenades. Ouvert et souriant, il répondant aux saluts, échangeait quelques banalités et fut rapidement connu.
Les rares contacts avec les touristes le déprimaient par la bêtise qu’ils véhiculaient. Il rencontra des toubabs installés ici, facilement catalogables en ceux qui venaient faire du fric et ceux qui aimaient ce pays, en en jouissant paisiblement ou en s’investissant dans des associations diverses. Une troisième catégorie l’étonna, ceux des blancs pauvres, sans moyens, souvent âgés, esseulés. Il se tenait dans l’ombre des bars locaux, éclusant des boissons fortes pour supporter leur solitude. Il entendit plusieurs fois la même histoire : le coup de foudre pour le pays, assorti de celui pour une jeune noire, le mariage amoureux, l’achat d’une belle maison, puis le divorce et l’expulsion, car la maison était au nom de la belle. Ruiné, rejeté par la famille française délaissée et sans moyens, incapable de rentrer, ils n’attendaient plus rien, en ressassant le rêve brisé.
Malgré cela, son aspiration était d’avoir sa maison ici, de vivre avec Codou et sa famille. Il cherchait donc mollement une affaire. La vente de la maison en France lui permit de savoir ce qu’il pouvait mettre dans ce projet. Un peu à l’écart, donc moins chère, il trouva une belle occasion, cinq pièces sur un grand terrain entouré de bougainvilliers, la marque des maisons d’Européens. Il fallait faire quelques travaux. Cela lui était possible. Il calcula le prix, ajoutant le salaire d’un gardien et d’une bonne. Il pouvait se le permettre, s’il ne faisait pas de folies à côté. Il ne le risquait pas, puisque sa folie habiterait avec lui. Le plus difficile serait de faire admettre à Codou de mettre la maison à son nom.
Il avança avec prudence, mais ce fut Codou qui proposa la même solution que pour le studio, toujours pour rendre service, exigeant de signer un papier qui protégerait Gilles. Ce dernier fut choqué par cette proposition. Ils emménagèrent à la fin de la saison et vécurent l’hivernage suivant en tête à tête, heureux de se retrouver complètement. La famille venait de temps en temps, mais refusa toujours une installation définitive. Codou s’absentait de plus en plus souvent, prétextant des visites à ces cousins, à de la famille. Gilles n’était pas dupe, devinant que son amant allait satisfaire des besoins qu’il ne pouvait rassasier seul.
De son côté, Gilles était accaparé par une nouvelle occupation qu’il avait débuté la saison précédente. Il restait le cœur brisé à regarder les petits mendiants quémander de quoi manger. Des garçonnets ou de jeunes adolescents, ils erraient, se faisant jeter par tous. Rapidement, il fut connu, car il prenait soin d’avoir toujours des pièces dans sa poche qu’il distribuait. Le matin, les talibés faisaient le siège de leur maison, ce qui énervait Codou qui les chassait à coups de pied. Gilles se prit d’affection pour quelques-uns d’entre eux, les faisant entrer pour qu’ils se lavent et avalent une purée de mil que la bonne préparait en abondance. Cela ne dura pas : une descente de police eut lieu, avec une manifestation devant la porte. Gilles se trouvait accuser de pédophilie, de profiter de la misère de ces enfants. Toucher les enfants n’était pas dans sa nature et, s’il les avait vus nus, c’était uniquement pour leur montrer comment allumer la douche. Il fut emmené au poste. On lui rappela brutalement qu’il vivait avec un prostitué notoire. Son cas était grave. Il avait maintenant le mode d’emploi et y laissa une grosse somme. Le pire fut l’engueulade de Codou à son retour. Encore une fois, de quoi se mêlait-il dans ce pays qui n’était pas le sien et dont il ignorait tout ? Dépenser ainsi son argent était stupide. Les garçons appartenaient à l’école coranique et Gilles les leur avait volés. Pas étonnant qu’ils se soient plaints en organisant cette manifestation avec le concours des autorités. Gilles était désemparé par ces événements et surtout par les reproches de Codou.
De toute façon, leur relation s’épuisait. Codou était de moins en moins présent et quand il était là, il était passif devant les gestes de Gilles, indifférent à la passion que celui-ci montrait encore. Il ne racontait plus rien à Gilles et, apparemment, son style de vie avait changé, se muant en jeune européen à la mode. Son charme se trouvait augmenter par ce mélange d’exotisme et de jeunesse à la pointe des choses. L’amour de Gilles pour son beau gosse était intact et il céda sans problème quand Codou lui demanda s’il pouvait profiter de la maison, seul, pendant toute une semaine.
Gilles retrouva ses habitudes à l’hôtel et croisa plusieurs fois Codou accompagné d’un beau jeune homme. Le prostitué ignora alors complètement son ancien amant. Ce magnifique spectacle navrait le délaissé, jaloux du jeune homme et jaloux de Codou qui pouvait dormir avec un jeune dieu blanc. Il était exclu de ces jeux, sans en avoir profité dans sa fringance.
Le samedi, il assista de loin à leurs adieux. Il revint à la maison dans lequel un autre avait forniqué avec son amant. Codou lui avoua simplement que c’était un coup de foudre, sans lendemain, mais non tarifé. Ainsi, un autre pouvait le remplacer…
Pour rattraper cette semaine perdue, Codou travailla dur, délaissant son compagnon, car trop épuisé par l’usage de son corps.
Cette exigence d’exclusivité se répéta, obligeant Gilles à trouver un hôtel moins onéreux. Une distance s’installa lentement, Codou étant souvent absent, puis arrivant pour demander la maison. Gilles s’effaçait sans demander d’explications, ses tentatives se soldant parfois par un regard de mépris.
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