Sa vie ne changea pas vraiment. Tout s’était fait dans une continuité qui atténuait la chute.

Il reprit ses petites activités et croisait un des frères de temps en temps. Quand l’un venait le saluer, il savait qu’il venait quémander une aide. Dès leur installation, ces demandes avaient commencé : un cousin malade, Djiby qui avait un nouvel enfant, un bakchich à payer… l’imagination était toujours au rendez-vous. Il payait, voyant fondre son pécule sans état d’âme : à quoi lui servirait-il ? Il renâclait cependant, car, une fois épuisé, il savait qu’il ne les verrait plus. Voir leur beau visage était le seul plaisir qui lui restait.

Ne pouvant plus donner, il ne croisa plus les deux frères. Un jour, il se rendit compte de la durée de cette absence. Il alla au studio, sur le devant duquel se tenait une fort jolie fille qui lui offrit ses services. Elle ignorait à qui appartenait cette chambre qu’elle sous-louait. Il poussa jusqu’à la maison, occupée par des Européens qui rentraient chez eux quand il arriva. Le gardien lui confirma que c’était les nouveaux propriétaires. Le lendemain, il partit au village de la famille. Le logement était occupé par une famille qui ne comprenait pas le français.

Depuis, il a rejoint ceux qui diluent dans l’alcool leur rêve déçu. Né à soixante-deux ans, il avait vécu quelques années heureuses, avant de redevenir rien. Il venait de passer les années les plus heureuses de sa vie. Sa reconnaissance envers Codou restait infinie.

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Voilà ce que m’a raconté Gilles, croisé dans un petit bar, pendant l’année passée là-bas. Il bafouillait par bribes de souvenirs. Chaque fois qu’il prononçait le nom d’un des frères, un sanglot de tendresse ternissait sa voix.

Quand j’y suis retourné, il était oublié de tous.