Boucles d'Or roule des mécaniques !

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Le taxi vient de me déposer devant le circuit. Ça fait une éternité que je ne suis pas montée dans une voiture de course, mais là, c’est exactement ce dont j’ai besoin. J’ai besoin de l’adrénaline que me provoque la vitesse, pour faire le point sur ce que je ressens.

Je viens ici, quand la course à pied et mes plaisirs solitaires ne suffisent plus. Je dépose tout mes problèmes au bord du paddock avant de monter dans la voiture. Ici j’oublie ce que j'ai dans la tête, le temps de quelques tours de piste. Je suis tiraillée entre deux feux. Tenter le coup ou bien continuer à faire ce que je fais le mieux, c’est-à-dire ne rien ressentir, continuer à refouler mes émotions, faire semblant de ne pas en avoir.

Ça fait plusieurs années que je viens et je connais à peu près tout le monde. Personne ne connait ma véritable histoire, d’ailleurs, personne n’a jamais vraiment posé la question et ça me convient. Ici je ne suis qu’un pilote amateur parmi tant d’autres, c’est l’endroit où l’espace de quelques heures, je confie ma vie à quelqu’un d’autre. Seule femme au milieu de toute cette testostérone, j’ai dû faire mes preuves pour me faire accepter, mais maintenant, ils me traitent tous comme l’un des leurs. Je ne suis plus une femme, je suis un pilote !

Je longe le long couloir qui mène au point de regroupement. Je ne sais pas exactement combien nous serons aujourd’hui, mais pas très nombreux j’espère. Je veux juste appuyer à fond sur l’accélérateur, ne plus penser et je sais que si la piste est trop encombrée, je vais devoir réfléchir plus que nécessaire. J’entre dans le bureau pour signer la fiche de présence, Jemerson est déjà là. Je ne suis pas étonnée, il sait que quand j’appelle, je ne mets pas deux heures à arriver sur place.

Cela fait quatre ans maintenant que je fréquente le circuit, au début, je venais très souvent, mais au fil des années, j’ai commencé à espacer mes visites. La course à pied me suffit de plus en plus, signe que je suis beaucoup mieux dans ma tête qu’à l’époque. Jemerson est un grand bonhomme d’environ la cinquantaine, c'est un ancien pilote de course qui a remporté plusieurs fois la coupe de France. Il a une solide expérience du milieu, même si pour lui, une femme devrait plutôt être derrière les fourneaux que sur un circuit. C’est notre plus grand sujet de discorde.

Il relève la tête vers moi.

- Et bien, et bien, en voilà une surprise. J’ai cru que tu avais disparu de la surface de la terre, ça fait quoi ? Au moins six mois que l’on ne t’a pas vue ?

Je m’avance et me dirige vers le bureau où se trouve la feuille que je dois signer. J’attrape le stylo et appose mon nom.

- Ouais, ça doit faire à peu près ça ? Tout est prêt ?

- Tu vas toujours droit au but à ce que je vois, Boucles d’Or.

Je tourne les talons en direction de la sortie. Je ne suis pas là pour discuter et il le sait, quand je viens ici, je ne fais jamais de grandes conversations avec qui que ce soit. J’ai beau les apprécier, je n’ai pas l’intention de les faire entrer dans ma vie privée ! je lui lance juste par-dessus mon épaule.

- Il y a des choses qui ne changent jamais !

Quand j’arrive dans les stands, je suis surprise qu’il n’y ait personne, mais je ne vais certainement pas me plaindre. Je n’ai pas envie de taper la causette avec qui que ce soit en ce moment, je veux juste me retrouver seule avec moi-même. La voiture est déjà prête et le moteur tourne. Jemerson sait comment je fonctionne, il doit déjà se trouver dans la tour de contrôle. Je prends le casque dans mes mains « Boucles d’or » est écrit dessus. Ils m’ont donné ce surnom à cause de ma chevelure blonde, et parce qu’au milieu d’eux, je leur fais penser au conte de fées « Boucles d’Or et les Trois Ours». La première fois que j’ai entendu ce surnom ça m’a fait rire, mais depuis je m'y suis habituée, de toute façon ici, tout le monde porte un. Je mets le casque sur ma tête avant de faire les essais son.

- Jemerson, tu m’entends ?

- Parfaitement Boucles d’Or.

Je monte en voiture, boucle mon harnais et pose ma tête contre le dossier quelques instants. Faire le vide avant de partir, je dois faire le vide dans mon esprit, pour simplement me concentrer sur le bruit du moteur. C’est lui qui me donne le tempo. Inspirer, expirer, inspirer, expirer... Je suis prête à partir, quand la voix Jemerson résonne dans mes oreilles.

- Vas-y doucement au début, elle sort juste de révision !

J’enclenche la première, et prends la voie de sortie qui donne sur le circuit avant de lui répondre.

- Tu me connais !

- Ben justement c’est pour ça que je te le dis !

Je souris, alors que j’arrive dans la première courbe. Le problème, c’est que je connais le parcours par cœur. Aucun défaut de la route, aucun virage, aucune ligne droite et encore moins aucune épingle, n’a de secret pour moi. Ce qui me rappelle aussi, pourquoi je viens bien moins souvent. Ceux qui viennent ici, cherchent en général à améliorer leur pilotage. Moi c’est l’adrénaline que je recherche, la sensation forte, la peur de faire une erreur. C’est, ce qui me permet de savoir que je suis bien vivante. Alors je sais, que je vais devoir rouler à pleine vitesse, si je veux avoir quelques frayeurs et je sais aussi, que ça ne va pas plaire à Jemerson. Mais après tout, je m’en fous pas mal, tant qu’il ne me fait pas une attaque cardiaque ça me va.

J’entame le deuxième tour et tous les voyants sont au vert, la voiture a assez chauffé, il est temps de la pousser un peu. Je tombe trois rapports en sortie de courbe et j’appuie à fond sur l’accélérateur me retrouvant collée contre le siège. Je n’ai pas le temps de regarder le compteur de vitesse, parce que la moindre erreur peut me couter la vie, mais je suis dans mon élément. Mon sang pulse à mes oreilles, je n’entends plus que les battements de mon cœur. Je connais parfaitement le parcours, mais je sais aussi, que c’est quand on se sent beaucoup trop en confiance que l’accident se produit, alors comme toujours, j’ouvre l’œil et me tiens sur mes gardes !

Je sais, que je dois me concentrer sur la route, mais je n’arrive pas à me le sortir de l’esprit, ses yeux me hantent et m’obsèdent. Je peux ressentir la chaleur de ses lèvres sur les miennes, son souffle à l’odeur de menthe sur ma joue, ses doigts sur ma peau nue, qui me donne la chair de poule et des papillons dans le ventre. Je peux sentir sa langue qui dévore mon intimité et ses mains habiles. Putain, mais qu’est-ce qu’il est en train de me faire. Je ne le connais pas, il ne me connaît pas et pourtant… J’ai peur. Je vais finir par me brûler si je continue à le laisser s’immiscer dans mon esprit. Mais je dois me rendre à l’évidence, je n’ai aucun contrôle sur ce qu’il me fait ressentir. il ne me reste plus qu’à savoir comment, je vais surmonter cette histoire qui me rend déjà dingue, alors qu’elle n’a même pas encore commencé !

Quand je reprends conscience, j’arrive dans une épingle à pleine vitesse.

- Putain, boucles d’or ralentis !

Merde, merde !

J’appuie de toute mes forces sur la pédale de frein, le cul de la voiture chasse sur le côté se rapprochant dangereusement du mur de sécurité. Si je n’arrive pas à contrôler cette putain de bagnole, s’en est fini pour moi. Je tourne le volant à l’inverse en espérant tourner en cercle afin de perdre de la vitesse. Je lâche le frein, rétrograde et accélère de nouveau en tournant le volant à l’opposé. Je sais exactement ce qu’il faut faire, je n’ai pas besoin de réfléchir.

Quand la voiture s’immobilise, j’ai réussi à sortir de la courbe. Je ferme les yeux, pose la tête sur le siège et pousse un profond soupir. Je viens de commettre la pire erreur qui soit, en me laissant envahir par mes pensées au lieu d’avoir une totale concentration sur ma conduite. Ca a bien failli me couter cher !

- Tu rentres de suite, c’est fini pour toi aujourd’hui !

J’entends le cliquetis, ce qui signifie qu’il vient de couper la transmission. Là, je vais prendre un savon c’est sûr et certain, je le mérite mais cela ne veut pas dire que j’ai envie de l’entendre !

Je me gare au stand, Jemerson m’attend déjà. Il a les bras croisés sur sa poitrine et son regard est furieux. J’ouvre mon harnais et descends, mes jambes sont en coton, elles flageolent sous mon poids. Je retire mon casque et le pose sur la table.

- Putain, mais tu cherches à mourir ou quoi ?

Je me tourne vers lui.

- J’ai fait une erreur, ça peut arriver à tout le monde, mais c’est bon j’ai géré. Ta bagnole va bien rassure-toi !

Je me dirige vers les vestiaires, dans l’espoir de le laisser derrière moi, mais je le connais, il ne va pas lâcher le morceau comme ça. J’entends parfaitement le bruit de ses bottes qui me suivent.

- Une erreur ? Une erreur ? Ce n’est pas une erreur là, c’est du suicide ! Putain, mais qu’est-ce que tu fuis quand tu viens ici ?

Je me stoppe net, mais pour qui il se prend. Son job c’est juste de me donner des indications et il le fait à la perfection, le reste c’est mon problème. Je me tourne vers lui en pointant mon doigt dans sa direction.

- Ça, ça ne te regarde absolument pas !

- Détrompe-toi, quand tu arrives ici, tu deviens mon problème. Et tant que tu ne seras pas décidée à t’occuper de ta propre sécurité correctement, tu ne piloteras plus !

- Très bien, j’me casse !

Je file me changer et ressors aussi vite que je suis arrivée. Je sais qu’il ne mérite pas que je sois en colère après lui, mais c’est plus fort que moi. Je suis bien consciente d’avoir fait une erreur et d’avoir mis ma vie en danger, mais ce n’est pas comme si je l’avais fait volontairement.

Il me hante, m’obsède. Je suis en train de perdre complètement le contrôle et je n’y suis pas du tout préparée ! Il éveille de nouvelles choses en moi, des choses que je n’aurais jamais cru possibles !

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