Chapitre 7 : le philosophe cosmique
- Donc tu as réussi à sortir du laboratoire en faisant une… référence à Star Wars ?
- Je t’avais bien dit que tu ne me croirais pas… répliqué-je en soupirant.
- Oh mais je te crois ! Je ne suis même pas très étonné, sourit-il.
- Je ne sais pas comment je dois le prendre…
Oui, j’ai fini par tout raconter à Antarès. D’une part parce que c’est actuellement la seule personne à la Rochelle que j’ai envie de fréquenter. Et d’autre part car cet enfoiré de métamorphe me l’a demandé en prenant un air de chien battu et le visage de Johnny Depp. C’est bien au-delà de mon seuil de résistance ! Donc je lui ai tout raconté tandis que nous marchions main dans la main le long des quais. C’est bizarre. Jamais auparavant je n’avais confié de mauvais souvenirs à qui que ce soit. Bon, je ne m’étais jamais fait enlever par des savants fous avant, certes. Mais de manière générale, je n’aime pas parler de situations où je me suis sentie angoissée, honteuse, terrifiée… Je n’aime pas montrer mes failles.
Avec Antarès, tout est tellement différent. J’arrive à lui parler de tout sans la moindre gène, simplement parce que je suis curieuse de savoir comment mon alien préféré va réagir. Et jusqu'ici, il ne m’a jamais déçue. Je lui ai raconté que mon premier ami de maternelle était un petit garçon autiste. Puis il y avait eu cette fille rondouillarde à l’école primaire avec qui je ne jouais jamais à la récré, mais que je considérais comme ma meilleure amie car elle n’avait jamais jugé mon look de garçon manqué. Au collège et au lycée, je trainais généralement avec des gens qui ne rentraient pas dans « le moule » ou qui ne jugeaient pas les gens qui n’entraient pas dedans.
- En fait, tu as toujours aimé fréquenter des aliens… commente-t-il à la fin du résumé de mes amitiés
- Ouais m’enfin n’exagérons rien… C’est surtout que je ne supporte pas qu’on rejette les gens parce qu’ils sont différents. Alors j’ai tendance à devenir amie avec des gens que les autres rejettent, expliqué-je.
- J’ai fait ça toute ma vie… lâche-t-il, les yeux perdus dans le vague.
Pour la première fois, je sens le poids des siècles de vie dans son regard.
- Oh… j’espère que tous les aliens qui vivent sur Terre sont comme toi, déclaré-je en essayant de prendre un air détaché.
- Oh non. Ce sont des peuples très différents…
- Ils viennent tous du système d’Antarès ?
- Bien sûr que non ! Mon système est très éloigné du tiens : plus de 500 année-lumière. Je pense que je suis le seul de mon espèce ici. Les autres viennent de systèmes dans la Bulle locale : Véga, l’amas des Pléiades, Proxima du Centaure…
- Et Zêta Reticuli ? demandé-je avec un mélange d’ironie et de curiosité.
Les aliens « classiques » que l’on retrouve dans la pop-culture sont communément appelés des « Petits Gris ». Vous l’aurez compris, ils sont petits et gris. Leur tête est trop grande par rapport à leur taille et leurs yeux sont immenses et en amande. Les théoriciens du complot prétendent qu’ils viennent de Zêta Reticuli, une étoile dont les variations périodiques de luminosité ont longtemps laissé supposer la présence d’exo-planètes. En fait, Zêta Reticuli est une étoile double, d’où les variations de luminosité. Cela n’empêche pas les amateurs de paranormal de prétendre que ces Petits Gris viennent de là.
- Heu… sans doute. Pourquoi ? répond Antarès, qui n’a visiblement pas compris la référence.
- Rien, rien. Et qu’est-ce qu’ils viennent faire sur Terre, tous ces aliens ?
Antarès hausse les épaules.
- La plupart d’entre eux sont comme les premiers colons : ils viennent chercher un nouveau départ. D’autres fuient leur monde, par obligation ou par idéal.
- Et… les Terriens vont finir parqués dans des réserves comme les Amérindiens ? M’alarmé-je.
- Oh non, nous ne sommes pas assez nombreux pour ça. Et puis, il existe des tas d’astéroïdes et d’exo-planètes plus riches en ressources que la Terre. Conquérir cette planète n’est d’aucun avantage stratégique.
- Ouais, c’est un genre de « zone neutre » quoi… Dis, il y a des gens qui gèrent les interactions entre les humains et les aliens ? Comme les Men in Black ?
- Chaque race alien gère le problème à sa manière. Certains éliminent, certains contraignent au silence, certains utilisent des amnésiques… Mais tout le monde semble d’accord pour garder leur existence secrète.
- Et toi, tu appartiens à laquelle de ces catégories ?
- A aucune : je te l’ai dit, je suis sans doute le seul à venir du système d’Antarès. Je fais ce que je veux, pour ainsi dire.
- Et… qu’est-ce que tu as l’intention de faire ? Demandé-je avec une pointe d’appréhension.
- Tu m’as fait réaliser que les exobiologistes en savaient un peu trop sur moi. Je vais contacter un alien spécialiste du « nettoyage » pour les mettre hors d’état de nuire.
J’essaye de ne pas trop imaginer ce que « hors d’état de nuire » signifie concrètement.
- D’accord… et vis-à-vis de moi ? Et ceux que j’ai mis dans la confidence ?
- Vous n’avez aucune preuve.
- Certes… lâché-je, un peu déçue.
C’est vrai que je n’ai aucun moyen de prouver que je suis amie avec un alien métamorphe, à moins d’avoir son accord. Pourtant j’aurais bien aimé qu’il me fasse confiance pour ne rien révéler… Trop fière pour montrer mon trouble, je change de sujet.
- Je vais bientôt rentrer à Paris… Tu viens avec moi ? demandé-je, pleine d’espoir.
- Pas tout de suite. Il faut d’abord que je règle le problème des exobiologistes.
- Ah.
Mais je n’ai pas envie de m’éloigner de lui ! J’ai vécu plus en une semaine avec lui qu’en vingt ans de vie… Est-ce que c’est une manière de se débarrasser de moi en douceur ? Je n’ai pas envie d’y penser… Mais voilà, l’heure approch, je n’ai pas envie de regarder ma montre. De toute manière, je n'enporte quasiment jamais. Elles me donnent l’impression d’être enchainée au temps qui passe.
C'est notre dernière soirée ensemble. On a passé la journée à glander d'une plage à l'autre et malgré ça, le soir est arrrivé bien trop vite. L'enchaînement des marées m'a paru plus rapide qu'à la normale. Maintenant le soleil se couche et les teintes chaudes qui illuminent l'océan me rappellent celles du soir de notre rencontre. J'ai l'impression que c'était il y a des mois. Le temps est passé en accéléré.
Plus le soleil se rapproche de l'horizon, plus je réalise qu'il me reste encore beaucoup trop de questions à poser à mon ami extra-terrestre avant notre séparation. Après avoir tourné sept fois ma langue dans ma bouche, je tente une question risquée :
- Dis… est ce que ta planète te manque ?
La peau d'Antarès commence à tirer sur le vert pâle. Damned, aurais-je déjà gâché notre dernier moment ensemble avec une question qui fâche ? Moi et mon légendaire sens du tact… Mais il répond :
- Est-ce que ton enfance te manque ?
- Ben… de toute manière ça sert à rien de la regretter, je ne redeviendrai jamais une petite fille… dis-je en haussant les épaules.
- C'est pareil avec ma planète. Même si je pouvais y retourner, rien de bon m'y attendrait.
- Même après tout ce temps ? m’étonné-je.
- Surtout après tout ce temps, lâche-t-il dans un soupir. Dès mon arrivée on m'enfermerait et on m'interrogerait sur le détail de mes cinq siècles d'exil…
- Ah. Et ça impliquerait une probable invasion de la Terre par ton peuple ?
- Sans doute, admet-il, visiblement un peu gêné.
- Je vois… Mieux vaut qu'Independance Day reste un film.
Même si une part de moi aurait adoré poutrer de l'extra-terrestre à bord d'un avion de chasse… Mais je préfère rester concentrée sur l'instant présent. Antarès, au contraire, semble plongé dans de lointains souvenirs. Ses yeux sont fixés sur le soleil et son visage devient celui de George Michael.
Je pose la main sur son genou pour essayer de le réconforter. Il tourne brusquement la tête vers moi, ce qui manque de me faire sursauter.
- Tiens regarde, c'est tout ce que j'ai emporté de ma planète.
Il sort de sa poche un cube translucide de la taille d'un dé. Je le saisis avec précaution, de peur de l'abîmer ou de provoquer une réaction en chaîne. L'objet est plus lourd que sa taille ne le laisse supposer. Je l'approche lentement de mes yeux. Au centre du cube se trouve une minuscule sphère noire qui pulse comme un battement de cœur.
- Whaou ! Qu'est-ce que c'est ? m’exclamé-je.
- Un morceau d'antimatière piégé dans un champ quantique.
Je hoche la tête comme si je savais ce qu'était un champ quantique.
- Et ça sert à quoi ?
- A rien, c'est comme un porte-bonheur, lâche-t-il d’un ton qui se veut nonchalant.
- Tu penses que les porte-bonheurs ne servent à rien ?
- Parce que toi non, madame la sceptique ? ironise-t-il, tout en éludant ma question.
- Ce n'est pas parce que je considère Dieu et ses apparentés comme des Père Noël pour adulte que je ne reconnais pas le soutien psychologique que peut représenter un porte-bonheur, monsieur le philosophe cosmique ! répliqué-je, acerbe.
- Pour moi ça représente surtout un morceau de mon passé…
- Oui, j'imagine… dis-je au bout d’un moment, faute d’avoir une meilleure réplique en tête.
Je tourne le cube encore quelques instants entre mes doigts. L'antimatière, le champ quantique…
- En tout cas c'est fascinant. J'ose à peine imaginer où nous emmènerait une technologie qui permet de piéger de l'antimatière dans un champ quantique…
J'ai arrêté la physique-chimie au lycée mais je lis toujours des magazines de science et ces mots m'évoquent vaguement des moyens de propulsion futuristes qui permettraient de raccourcir considérablement la durée des vols spatiaux.
- Le nouvelles technologies ne sont pas synonymes de progrès social, tu sais… Intervient Antarès, interrompant mes considérations sur la conquête de l'espace.
- Oui, je sais. C'est même le thème de pas mal de bouquins de science-fiction.
- Ah oui ?
Je ne sais pas s’il se paie ma tête ou s’il n’a réellement jamais entendu parler de ce genre de romans, mais je me lance tout de même.
- 1984, Le meilleur des mondes, et même Dune où la technologie est devenue tellement avancée qu'elle s'est retournée contre l'humanité et les ordinateurs ont été bannis au terme d'une terrible guerre contre les machines.
Antarès ne répond pas. Nous restons en silence quelques minutes, blottis l'un contre l'autre sur la plage, à regarder le soleil se coucher, à profiter de nos derniers instants ensemble.
- Tu passeras me voir à Paris ? Quand tu auras fini…heu…ce que tu as à faire, demandé-je timidement.
Au lieu de me répondre, Antarès referme ma main sur le cube d'antimatière. Mes yeux surpris croisent son regard bienveillant.
- Veille dessus pendant mon absence.
- Alors tu passeras me voir ? Promis ?
- Promis.
Ravie, je lui saute au cou. Ce qui le retransforme en Terminator. Il va revenir ! Mieux que ça, il me fait confiance ! Après tout, ce cube d’antimatière est une preuve matérielle de l’existence des aliens. Mon cœur fait un grand bond dans ma poitrine.
- Attend, du coup, il faut que je te donne le mien, de porte bonheur !
Je déclipe le porte clé du fond de mon sac à main et le tend à mon ami extraterrestre. Il le regarde avec une curiosité égale à la mienne lorsqu'il m'a montré son cube d'antimatière.
- C'est un médaillon de Saint Christophe, expliqué-je. Ma mère me l'a offert quand je suis entrée au collège et que j'ai commencé à prendre le métro toute seule.
- Donc tu ne crois pas en Dieu mais tu crois en Saint Christophe ?
- A vrai dire, je le porte surtout pour faire plaisir à ma mère. Je suppose que ça la rassure de me savoir "protégée".
- Alors tu devrais le garder, déclare-t-il en faisant mine de me le rendre.
A mon tour, je referme sa main sur le médaillon.
- Saint Christophe est le saint patron des voyageurs. Je pense qu'il t'ira mieux qu'à moi.
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