Chapitre 4 : Wanted, dead or alive.

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  • Donc, en résumé tu as passé la journée d'hier avec un alien métamorphe de deux cent kilos au nom imprononçable.
  • Exactement.

Au fur et à mesure que mon récit avançait, Pépé José s'est mis à ressembler de plus en plus à un bouledogue. Ce qui n'annonce rien de bon. Le pire étant que je semble avoir hérité de lui cette étrange capacité à tordre ma bouche vers le bas… Vive la génétique !

Mais je préfère voir le bon côté des choses : il n'a pas touché à son whisky. Si j'annonçais à mes parents que mon grand-père vient de passer une matinée entière sans boire une seule goutte d'alcool, ils me croiraient moins que si je leur racontais ma rencontre avec Antarès.

Un long moment de silence s'installe : Pépé José réfléchit à une solution face à la menace des deux exobiologistes russes. Pendant ce temps là, je sors mon ordinateur portable et essaye de pirater le réseau wifi des voisins. Car contrairement à feu mon grand-père maternel qui m'a appris à surfer sur internet et à télécharger illégalement, Pépé José sait à peine se servir de son téléphone portable malgré les explications répétées de mon père et n'a jamais voulu entendre parler d'un ordinateur dans sa maison. Heureusement, il semble que les murs rochelais ne valent pas mieux que les murs parisiens en termes d'isolation : je capte une demi douzaine de signaux ! Je choisis le plus puissant et contourne le mot de passe en quelques clics.

Assez satisfaite de ne pas avoir perdu la main, je lance une recherche privée avec les noms de nos visiteurs. Après quelques tâtonnements orthographiques, je tombe sur leur profil V'kontakte, l'équivalent russe de Facebook. A en croire leur fil d'actualité, ils ont posté plusieurs articles d'exobiologie sur Wikipédia et ont un certain nombre de commentaires positifs, écrits pour la plupart par des étudiants admiratifs. Leurs articles n'ont malheureusement pas été traduits en français, ni même en anglais… Mais ils m'apprennent au moins que l'académie de Saint-Pétersbourg a effectivement un département d'exobiologie. J'y accède grâce au mot de passe évident d'un enseignant imprudent… Le site internet de l'académie est aussi intégralement rédigé dans la langue de Tolstoï, ce qui n'est pas très sympa pour les étudiants du programme Erasmus ! Je me contente donc dans un premier temps d'observer les images montrant l'évolution de leurs travaux.

Il y a beaucoup de photos de réactions chimiques à l'équation barbare, des cellules en forme d'étoiles observées au microscope électronique et quelques clichés assez dérangeants de résultats de mélange d'ADN manifestement alien à celui d'autres animaux. Des chiens à deux têtes et cinq pattes, des poissons à plumes et des chèvres à écailles… Le plus étonnant de cette collection est une loutre à bec de canard, queue de castor et pattes d'ours ! Ah non en fait c'est juste un ornithorynque… Il y a aussi des photos de la dissection de ces animaux génétiquement modifiés. Et heureusement que j'ai l'habitude de voir les horribles images des livres de pathologies de ma mère... Sinon je crois que j'aurais vomi toute la glace que j'ai mangée la veille !

Après quelques tentatives infructueuses sur des sites anglophones, je me résous à activer l'affreuse traduction automatique. Mes yeux me piquent au bout de la quinzième faute de grammaire… Cela me donne l'impression d'avoir maudit ma lignée pour les treize prochaines générations ! Mais au moins les textes sont à peu près intelligibles. Ainsi j'apprend que les deux exobiologistes ont découvert, il y a une vingtaine d'années, des traces d'ADN dans certains échantillons de terre mexicaine. Et non seulement cet ADN ne correspondait à aucune espèce connue, mais ses séquences géniques changeaient entre deux mesures. Avec l'avancée de leurs recherches, ils ont mis au point un réactif capable de détecter ce génome hors norme…

Je commence à avoir des sueurs froides. Mais je me détends un peu en tombant sur un article très virulent considérant leurs travaux comme du pur charlatanisme. Je creuse encore un peu pour découvrir que nos deux visiteurs n'ont de crédit qu'à l'académie de Saint-Pétersbourg… Me voilà à demi rassurée.

Ma brève mais efficace séance de surf sur la toile me laisse avec un sentiment mitigé. D'un côté je suis soulagée qu'un groupe assez restreint de personnes soit à la recherche d'Antarès. De l'autre, le fait que les deux exobiologistes aient pu poursuivre leurs travaux au point de remonter jusqu'à la Rochelle reste inquiétant. Car la recherche coûte cher : il n'y a qu'à voir le Téléthon qui récolte chaque année des millions d'euros pour l'avancée de la médecine dans le domaine des maladies génétiques… Je me demande où ils peuvent trouver les fonds pour des recherches aussi hasardeuses que le domaine de l'exobiologie. Milliardaire excentrique ? Services secrets gouvernementaux ? La sonnerie de la porte d'entrée retentit !

Je frôle a crise cardiaque pour la deuxième fois ce matin. Qui cela peut bien être ? Encore les Russes ? Le KGB ? Non ça n'existe plus… L'équivalent moderne du KGB ? La CIA ? Une équipe de Mission Impossible ? Un tueur à gages ? Remarque s'il ressemble à Brad Pitt dans Mr and Ms Smith, ça peut passer… Un commando armé ? Des petits camarades d'Antarès ? Le fantôme de Richelieu ?

Je suis fatiguée, ok ?

D'ailleurs je suis tellement occupée à faire des suppositions tout en essayant de me dissimuler un maximum derrière le minuscule écran de mon ordinateur portable, que c'est Pépé José qui va ouvrir. Il accueille le nouveau venu d'une accolade. Dire que j'ai simplement eu droit à une poignée de main molle à mon arrivée à la gare… Je lève un regard noir sur le grand type maigre qui a droit à autant d'affection de la part de mon grand-père. Ses boucles blondes qui tombent sur son visage trop parfait me sont vaguement familières. Mais c'est à sa voix que je le reconnais :

  • C'est toi la petite Sicilienne ? Comme tu as grandi !

Jean-Charles de Castel, le filleul de Pépé José et accessoirement le petit fils qu'il aurait aimé avoir… Il a quatre ou cinq ans de plus que moi et m'a toujours considérée comme une morveuse. J'aurais peut-être révisé mon jugement après plusieurs années de séparation mais ses allusions à ma taille et aux origines de ma mère le font rapidement dégringoler dans mon estime. D'autant plus que si je suis autant Sicilienne que Rochelaise, je suis Parisienne avant tout ! Aussi je réplique, glaciale :

  • Qu'est ce que tu fais là, le caniche ?

La première fois que je l'ai vu, il y a une douzaine d'années, ses cheveux étaient encore plus frisés que maintenant, ce qui m'avait aussitôt évoqué un caniche. Comme j'étais toute gamine, la comparaison avait fait rire tout le monde, à l'exception de Jean-Charles. Et vu que son point de vue sur moi n'a pas évolué, il n'y a pas de raison pour que le mien change. Son soupir exaspéré me fait ricaner intérieurement.

  • Ton grand-père m'a dit que tu étais menacée d'enlèvement.

Damned… J'étais tellement concentrée sur mes recherches que je ne l'ai même pas entendu téléphoner. Mais me je reprends très vite :

  • Oui, et alors ?
  • Tu sais peut-être que j'ai récemment intégré la police…

Derrière lui, je vois un sourire satisfait naître sur le visage de Pépé José. Ainsi Jean-Charles est toujours le petit fils rêvé… Une famille qui a du bien, des relations haut placées, des vêtements toujours impeccables, et voilà qu'il défend la loi maintenant. Tout pour plaire ce type… Mais bizarrement, ce genre de personne m'a toujours hérissé le poil.

  • Je n'ai pas besoin d'un chien de garde, grogné-je.

Le caniche lève les yeux au ciel. C'est tellement facile…

  • Ecoute Hélène, tant qu'on ne sait pas si la menace est avérée, on ne peut pas se permettre de…

Je tourne mon écran dans sa direction.

  • Alors d'une, nos visiteurs sont à la recherche d'un ADN alien. Ils ne s'intéressent à moi que parce qu'ils ont cru en trouver des traces sur mon corps. Mais il suffira que je prenne une bonne douche pour que ces traces disparaissent. Ils n'auront plus de raison de s'intéresser à moi. De deux, ils ne sont pas reconnus par leurs pairs. Par conséquent, personne ne finance officiellement leurs recherches. Et pourtant ils ont considérablement avancé dans leurs travaux. Ce qui signifie qu'ils sont financés par une organisation extérieure qui a beaucoup de moyens. Donc si malgré tout ils continuent à vouloir faire de moi leur cobaye, ce ne sont pas ces quatre murs et un flic débutant qui vont les en empêcher ! Alors je maintiens ce que j'ai dit : je n'ai pas besoin d'un chien de garde.

Pépé José fait un pas en arrière, surpris par la violence de ma tirade. Jean-Charles a perdu sa condescendance envers la gamine qu'il a toujours vu en moi. Il penche sa grande carcasse pour mieux voir le résultat de mes recherches. Je relève un peu mon écran pour éviter qu'il ne se fasse trop mal au dos. Il ne manquerait plus que ça ! Mais comme il reste malgré tout dans une position proche de celle du bossu de Notre-Dame, je me sens obligée de lui dire :

  • Mais assied-toi, banane !

Le caniche ne se fait pas prier et s'effondre à côté de moi sur le canapé.

  • Y a une box ici maintenant ? s'étonne-t-il
  • Non. J'ai hacké le signal des voisins. Mais leur débit est assez pourri : ça lag d'une puissance cosmique…
  • D'accord, j'évite de cliquer partout…

Pépé José, qui a suivi notre conversation sans en comprendre un mot, a repris sa face de bouledogue. Eh oui Pépé, tu es peut-être plus proche de ton filleul que de ta propre petite fille mais tu ne parleras jamais la même langue que lui !

Un nouveau silence s'installe, seulement troublé par les clics de Jean-Charles lorsqu'il change d'onglet. Comme je n'ai plus rien pour m'occuper, je me lève et annonce que je vais prendre une douche. Les deux hommes acquiescent distraitement. Je trottine vers la salle de bain, trop heureuse de pouvoir échapper à leur pesante présence. La seule personne que j'ai réellement envie de voir, c'est Antarès. Depuis la visite des Russes, je m'inquiète plus pour lui que pour moi. Préoccupée, je lance mes vêtements un peu n'importe où dans l'appartement. Je traverse le couloir menant à la salle de bain, sans faire attention aux fenêtres ouvertes. Je n'ai jamais été très pudique.

J'ai toujours considéré ça comme un avantage : ça permet de mieux assumer les imperfections de son corps, de se sentir mieux dans sa peau. Mais pour cette fois, une certaine dose de pudeur m'aurait peut-être été utile. Ainsi en vérifiant le vis-à-vis avec les voisins d'en face, j'aurais pu remarquer les individus louches accrochés à ma fenêtre. Et j'aurais eu le temps de crier à l'aide avant que l'on ne me colle un mouchoir imbibé d'un truc soporifique sur le nez qui me fait bientôt sombrer dans l'inconscience.

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