Bipolarité, mon amour

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Bonsoir, et bienvenues dans l’enfer de mon cerveau.

Oh, rassurez-vous, rien de grave, quoi que…

Je suis bipolaire, vous savez ce que ça veut dire ? Non, je ne pense pas… On est bien loin des stéréotypes télévisuels et cinématographiques, vous savez.

Être bipolaire, c’est avoir du mal à contrôler ses émotions, voir en être incapable. Être bipolaire, c’est pouvoir passer des rires aux larmes en cinq minutes, c’est être à deux doigts du suicide puis se sentir indestructible grâce à un simple sourire, c’est pleurer à la fin de Fast and Furious parce que Vin Diesel dit adieu à son ami alors qu’on a passé une heure et demie à déborder de testostérones.

Être bipolaire, c’est naviguer dans les extrêmes sans connaître le juste milieu, c’est vivre de noir et de blanc en ne connaissait le gris que de nom, c’est parfois exploser pour un rien, et regretter à en mourir juste après, et ne jamais dormir plus de deux heures par nuit.

Être bipolaire, c’est aussi ne pas connaître les sentiments, parce qu’on ne peut pas donner le nom d’un ruisseau à un tsunami, c’est apprendre avec sa psy ce qu’aimer veut dire, ou alors que tel ressenti se nomme la colère, et de fait, avoir un humour de merde, parce que le concept d’humour est aussi difficile à saisir que n’importe quelle émotion.

Être bipolaire, c’est voir une psychothérapeute deux fois par semaine et une psychiatre au moins une fois par mois, c’est se gaver de cachets pour être stable, et tant pis s’ils vous font prendre trente kilos en trois semaines.

Être bipolaire, c’est lutter à chaque relation sociale parce qu’on ignore ce qui est faisable, c’est réfléchir avant chaque parole parce qu’on n’a pas de filtre, c’est se forcer pour un contact physique et pleurer d’angoisse quand on sait qu’on sort de notre zone de confort.

Être bipolaire c’est les séquelles d’une vie trop dure, ou la défaillance du cerveau, ou, quand vous aimez les difficultés, comme moi, les deux réunis. Je passerais sous silence mon enfance, pour me pencher sur mon cerveau.

Être bipolaire, c’est avoir moins de neurotransmetteurs que la moyenne, et avoir l’hippocampe atrophié, et, en conséquence, c’est aussi avoir une mauvaise mémoire et un sens de l’orientation tel que les aveugles m’indiquent la bonne direction…

Être bipolaire, c’est aussi être un handicapé tabou, parce que ce n’est pas un handicap visible, et parce que ce seul mot suffit à changer le regard que les gens vous portent, et le revendiquer implique d’accepter d’être regardé comme un malade mental, une bête de foire ou un danger potentiel.

Être bipolaire, c’est prendre le risque de le transmettre à ses enfants, et je peux vous jurer que, si j’avais su, je ne me serais jamais reproduits, pour ne pas leur imposer ma maladie à subir, et peut-être leur plomber leur ADN.

Mais apprendre qu’on est bipolaire, c’est aussi regarder son passer sous un jour nouveau, c’est comprendre pourquoi certaines choses nous ont tant fait souffrir, c’est apprendre à danser sous une pluie diluvienne et en sourire, c’est se fixer un objectif chaque matin, celui de ne pas exploser en plein vol et d’essayer de ne pas trop déborder du moule de notre société.

Mais vivre avec la bipolarité, c’est aussi savoir tirer parti des moments forts, et utiliser les phases up pour être productif, et les phases Down pour l’introspection, c’est tenir dix projets de fronts en étant ultra productif, puis être incapable de sortir de son lit, c’est vivre chaque étreinte de vos enfants comme un big bang, et chaque dispute comme un génocide, et se mutiler parce que la douleur physique évacue la douleur morale.

Car être bipolaire, c’est ne pas pouvoir être pleinement acteur de sa vie, c’est jouer une partie de jeux vidéo en mode hardcore avec une manette cassée, c’est regarder un film russe sous-titré en coréen, c’est accepter d’avoir le corps comme un silex, prêt à produire l’étincelle qui mettra le feu aux poudres, c’est vivre en étant un torrent, en être épuisé, et avoir encore malgré tout trop d’énergie à dépenser…

Être bipolaire, c’est ma condition, notez bien que je ne dis pas malédiction, et malgré ce que ça me fait subir, être bipolaire m’empêche de baisser les bras, parce que j’ai trop d’énergie pour abandonner.

Bref, je suis bipolaire, mais n’ayez pas peur, je ne suis pas plus bizarre que vous, je le suis simplement plus intensément.

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