Chapitre 2
Les jours s'égrènent lentement, comme si le temps s’était arrêté. Lorn avait fait sensation auprès des habitants de Belle-vue en devenant professeur d’escrime, ce métier faisait cruellement défaut dans cette partie du monde. Les mernois étant connus pour leur talent à l’épée, ils se fichaient royalement des hameaux sans importance et préféraient travailler dans les villes plus importantes.
Mais le petit peuple lui en manquait grandement, si bien que Lorn fut fortement acclamé quand on lui découvrit ce petit don.
Tout avait commencé quand il commença à se débarrasser de la mafia locale. En “pacifiant” le quartier, il avait contraint les bandes à s’en aller.
Le maire, Valysse, le convia alors à un grand banquet en le remerciant d’avoir secouru la ville et demanda d’où il venait. Alina avait su percevoir les craintes dans le ton, léger, employé par le fonctionnaire.
Elle les apaisa aussitôt en lui disant que Lorn était un maître d’arme du quatrième rang sans contrat. Lorn avait légèrement sourcillé en se disant qu’il avait plutôt le niveau d’un septième rang. Il n’y avait personne pour arriver à sa cheville et également personne qui atteignait le septième. Alina avait aussitôt demandé au maire si Lorn et elle aurait la possibilité d’enseigner l’escrime dans cette ville, où disait-elle qu'ils “voudraient s’installer”. Les doutes de Valysse furent aussitôt balayés car aucun professeur d’escrime avait souhaité s’installer à Belle-vue, alors un maître d’arme du quatrième rang ! C’était du jamais vu. En Merne, la loi du plus fort régnait. Un fort voulait quelque chose, il prenait. C’était aussi simple que ça.
Ils installèrent le local derrière un grand champ de blé bordé de pins. La première chose que Lorn décida de faire, était d’élaguer les arbres.
Pendant deux jours d’âpre discussion avec le propriétaire du champ, une date fût convenue pour le rachat du terrain, date prévue après les moissons.
Les premiers élèves arrivèrent attirés par l’incroyable nouvelle qu’un nouveau maître d’arme s’était installé dans la ville. Assis en cercle, dans la moitié du champ moissonné, ils écoutaient Lorn avec une attention non feinte. Celui-ci expliquait aux plus âgés comment faire une garde simple.
“-Le dos droit Baelyn, sermonna Lorn, le dos droit.
-Oui m’sieur !” répondit le jeune homme, le visage rouge.
Après quelques dizaines minutes qui parurent des heures pour les garçons, Alina et deux hommes arrivèrent sur le terrain accompagné par le maire Valysse.
“-Bon les gars venez. Vous deux, restez là, dit-il en montrant Baelyn et son partenaire. Bien. Tavil attaque le, et si tu le bats, tu seras dispensé de corvée pour la semaine.
Tavil lança un regard en biais vers Alina qu’il venait de remarquer. Il se tourna vers Baelyn en bombant le torse.
A seize ans, Tavil était un géant. Il mesurait plus d’un mètre quatre-vingt et pesait quatre-vingt-dix kilos. Et il se comportait comme un petit tyranneau.
Lorn l’avait remarqué dès l’instant où il aperçut le garçon pour la première fois. Tavil respirait l’arrogance et le dédain, voire le mépris total. Fallait dire qu’en tant que fils du seigneur local, il entendait posséder ce qu’il voulait. Et ce qu’il voulait c’était Alina, mais entre Alina et lui il y avait Lorn.
“-Bon, dit Lorn en regardant chacun des garçons dans les yeux, le premier à trois touches l’emporte. Tous les coups sont permis mais interdiction de tuer et d’infliger des blessures graves. Compris ?
-Oui chef ! répondirent les jeunes gens.
Les deux garçons se mirent en garde respectivement. Tavil eut aussitôt la garde adaptée tandis que Baelyn mit quelques secondes à chercher la sienne. Quelques secondes misent à profit pour le compte de ce fils de bourge.
“Décidément, pensa Lorn avec un sourire au coin, je ne peux pas l’encadrer celui-là.”
Tavil lança sa première feinte en visant le torse de Baelyn, celui-ci esquiva en sursautant en arrière manquant de tomber.
Tous les fidèles du baronnet se mirent à rigoler comme des perruches.
Baelyn se reprit et lança sa première attaque. Si on pouvait appeler ça une attaque. Une piètre tentative d’estoc donné avec la vigueur d’un nouveau-né.
Il enchaîna les assauts désespérés, espérant placer une touche avant que son ennemi ne l’écrase.
-Alors Baelyn ? jeta avec mépris Tavil, tu commences à te faire dessus ? Tu pues la peur.
“On dit que les yeux sont des fenêtres qui permettent d’apercevoir l’âme, pense Lorn. Et bien son âme doit être une mer de haine.”
A force de reculer Baelyn se retrouva acculer contre l’abreuvoir construit plutôt.
“J’suis mort, se dit le garçon, il va me buter, il va me couper en deux !”.
Il regarde autour de lui et une étincelle illumine son œil.
“Je t’ai eu ! cria Tavil”.
Puis ce qui devait arriver arriva, Baelyne perdit l'équilibre grâce à une feinte de son adversaire. Butant contre l'abreuvoir posé récemment, il tombe et s'étale sur le dos.
"- Ahahah, éclata Tavil se tournant vers ses proches. Le porc rejoint son habitat naturel !"
Ils se tordaient de rire en injuriant le pauvre hère étalé dans la fange.
Baelyne se releva tant bien que mal et tandis que le Goliath rigolait à se fendre en deux, David lança une botte formidable qui fit voler l'épée de Tavil, enchaînant avec un coup de pied dans le genou droit, lui écrasant la rotule, Baelyne porta un direct de la droite dans la pommette gauche de son adversaire.
Affalé sur le dos, Tavil ne pouvait plus se mouvoir. Tentant de reculer, il marmonnait des paroles incompréhensibles.
Baelyne s'avançait sur lui comme un loup sur sa proie, il était à lui et il allait prendre tout son temps pour le dépecer. Levant son épée, il ressemblait à Némésis, majestueux dans la colère, resplendissant dans sa vengeance, il allait fracasser le cocon d'années d'humiliation qui l'entravait. Son épée était haute dans le ciel, son éclat éblouissait Lorn et les personnes aux alentours. Tavil se rendit compte de l'épée de Damoclès qui planait sur lui. Amorçant sa descente, la lame de la justice fendit l'air en arc droit..
"- Arrête !!" Le cri stoppa net le bras vengeur de Baelyne.
Se rapprochant de plus en plus rapidement, une femme se dévoila. Belle, jeune, elle avait même un petit air de famille avec le jeune homme. Elle s'approcha de celui-ci et échangea quelques mots avec lui. Elle partit furieuse en entraînant Tavil à sa suite.
"- Mon Seigneur, nous l'avons trouvé.."
L'homme se tourna vers la fenêtre un sourire aux lèvres. Il amena sa main gauche ganté près de sa joue droite et se la tapota doucement.
"- Tu seras bientôt à moi Lorn.. chuchotait-il.. Bientôt le monde sera à nous..."
L'homme se retourna, lentement, vers le messager qui put le détailler à son aise. Sa silhouette se découpait dans l’ouverture de la fenêtre. Le seigneur portait des vêtements assez riches pour un homme de sa classe mais tout de même modeste par comparaison envers ses pairs. Le seul détail qui pouvait choquer, se dit le messager, était la couronne qui ornait la tête de son seigneur et maître. Une couronne d'aubépine noir. Maudite par un groupe d'obscures sorcières il y a maintenant deux siècles. Son porteur meurt au bout de la dixième année de son règne ou sinon, il devient complètement fou. Son seigneur en est le détenteur depuis maintenant neuf ans..
"- Va, dit son roi. Va et ramène le moi. Ramène-moi celui qui fera de moi le Dieu-Roi de ce monde.."
Regardant son valet se précipiter afin d'accomplir son ordre, l'homme partit dans un éclat de rire. Riant jusqu'à s'enrailler la voix. Riant jusqu'à épuiser son souffle. Riant jusqu'à avoir les larmes aux yeux...
C'était un rêve. Il le savait. Ce rêve... Il le fait maintenant depuis quelques semaines. Il pouvait observer une scène de loin. Il voyait un homme, assis sur un trône en ébène aussi sombre que la nuit. Il se tenait face à une fenêtre qui donnait sur la mer. Il devait être une heure assez tardive car le soleil se couchait et laissait place à la lune, mère et protectrice des âmes sombres et esseulées. Mais quelque chose clochait. Lorn ne savait pas quoi mais l'atmosphère était plus tendue, comme si un acte inattendu bouleverserait l'harmonie de cette scène. Le reste de la pièce était plongée dans l'obscurité, on avait l'impression que l'homme cherchait le réconfort factice de la nuit. Car la nuit est un refuge pour les âmes... Mais pour les âmes les plus folles, les plus tordus, celles qui ont été vendu au diable..
"- Je sais que tu es là."
La voix venait du siège de l'homme.
"-Je sais aussi que tu m'entends, il ne sert à de te cacher, nul endroit au monde ne te soustrairas à ton avenir Belphegor.."
Jusque là, le rêve était semblable aux autres, mais la tension devenait de plus un plus palpable. Lorn sentit ses poils se hérisser sur sa peau nu. Un courant d'air venait de la fenêtre et des bruits sourds se faisaient entendre dehors.
La lune est entièrement tombée et les esprits se mirent à danser...
Soudain, l'homme se leva du trône, sa silhouette se découpait grâce à la lumière lunaire qui entrait par la fenêtre. Une couronne se devinait sur la tête de l'homme qui s'était mis à murmurer :"allis comé estouné.. allis comé mundus...". C'est une langue inconnu de Lorn qui commençait à sentir des sueurs froides dégouliner dans son dos. Et ce n'était plus à cause du froid de la nuit...
C'était la première fois qu'il allait aussi loin dans le rêve et il n'aimait pas ça, pas du tout.
L'homme se retourna vers Lorn, un sourire découvrant toutes ses dents, il le fixait des yeux, comme si Lorn était présent dans la salle avec lui. L'inconnu se déplaça au centre de la pièce. Le suivant des yeux, vit avec horreur un pentagramme dessiné à même le sol, légèrement plus loin il y avait la carcasse du lapin qui avait servi à dessiner ce sinistre symbole du malin.
"- JE TE TIENS ! hurla l'homme les yeux exorbités en attrapant Lorn par le cou."
Lorn se réveilla en sursaut, le torse complètement en sueur, les draps de son lit trempé. À côté de lui dormait tranquillement Alina..
"- Ce n'est qu'un rêve, se dit-il. Rendors toi..."
Plus loin, dans un château près de la mer d'Aral, un homme se tenait dans la plus haute tour. Cet homme, riait à en perdre la voix, les yeux fous... La main encore tendue, tremblotante.
Lorn se dressa dans son lit après ce maudit rêve. Tournant son regard vers sa partenaire de lit, il laissa sa main caresser les courbes de son corps. Un léger drap recouvrait le corps d'Alina, s'arrêtant juste au-dessus de sa croupe. Lorn laissa retombé sa main sur le dos nu de la jeune femme, son majeur touchait furtivement son dos en plusieurs endroit, comme un amant caressant son amante.
Lorn sourit à cette pensée car elle n'était pas si loin de la vérité. Cela faisait quoi ? Six mois, qu'ils se connaissaient ? Et cette promiscuité était venue assez rapidement quand il y repense.
Levant les yeux vers la fenêtre, il peut observer la place du village en toute sérénité. Il vit la jeune femme de l'autre jour, celle qui avait interrompu le combat entre Baellyne et Tavil, près d'elle se tenait ce-dernier. Tous deux paraissaient pressés et Lorn se prit à se demander ce qui les démangeaient tant que ça. Il commençait à enfiler ses chausses quand Alina se redressa, libérant ses charmes féminins...
"- Hmm, susurra-t-elle en s'étirant vers l'arrière ses seins pointant vers Lorn. Tu comptes aller quelque part ?"
Ses yeux verts, innocents, le regarda fixement, un sourire en coin. Lorn ne réfléchit pas à deux fois et oublia complètement ce couple qui l’intriguait.
Caellyne se trouvait dans une situation pour le moins.. embarrassante, c'était le mot. Elle avait surpris une conversation entre des hommes en robe, capuche rabattue sur la tête et Tavil. Le sujet de la conversation était le maître d'arme récemment installé. Il s'agissait de le tuer pour le compte de quelqu'un, une organisation si elle avait bien compris. Et Tavil devait leur livrer ce maître d'arme ou mourir. En vrai, il pouvait mourir, elle s'en foutait royalement. Cela résoudrait même ses soucis. Le seul hic, c'est qu'elle ferait probablement partie des dommages collatéraux. Et une seule personne pourrait arranger les problèmes de tous, le maître d'arme. Mais avant elle devait voir son frère.
Moitié courant, moitié marchant, elle arriva à la petite maison que son frère louait quand il avait de l'argent. Jetant un regard par-dessus son épaule, s'assurant qu'elle ne soit pas suivie, elle entra dans la maisonnée grâce à la clé cachée dans le pot de fleur.
"- Aaah petite sœur ! Quel bon vent t'amène ? demanda Baellyne enthousiasmé de voir sa sœur.
- Il faut qu'on parle, réponda-t-elle d'un ton froid."
Baellyne la regarda les yeux écarquillés surpris par l'attitude de sa sœur.
"- Viens, viens, assieds toi. Qu'est ce qui se passe ?"
Il allait toujours droit au but. C'était en partie pour ça que sa sœur l'adorait. Franc et direct, Baellyne était une de ces rares personnes que l'on appréciait au premier regard.
"- Lorn a des soucis, dit la jeune fille. Et moi aussi.
- Comment ça ? Quel type d'embrouille ?
- Des embrouilles du genre où tu perds la tête frangin."
Baellyne se secoua la tête, il faisait toujours ça quand il réfléchissait.
"- On doit le trouver."
C'est en lâchant ces mots qu'il fila prendre sa veste et emmena sa sœur par le bras en direction de la maison de son maître d'escrime.
Des bruits sourds et des chuchotements s'entendaient de l'autre côté de la porte. Lorn fit signe à Alina de se taire de la main et se redressa sur les coudes.
"- Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? chuchota une voix.
- Ben je sais pas moi. répondit une voix plus fluette. On toque ?"
Lorn se leva, saisit sa dague de la main gauche et ouvrit brutalement la porte et se retrouva nez à nez avec le corset de Caellyne. Il avait oublié que la porte d'entrée était légèrement surélevée par rapport au plancher de chez lui.
"- Monsieur, vous avez un problème, dit-elle sans se soucier de la scène. On veut vous tuer."
Lorn leva les yeux après quelques petites secondes et sourit.
"- Là, tu m'intéresses petite, entre et dis moi tout."
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