VI. Le clair-obscur / 2
Dans l’ascenseur, Mara n’osait rien dire. Elle se sentait toute petite à côté de l’imposante stature du Commandant qui mesurait au moins un mètre nonante. Elle aurait préféré que Lumia les accompagne.
Silencieux, ils sortirent de l’ascenseur deux étages plus bas et pénétrèrent dans un vaste espace. Mara ne put s’empêcher de noter que la porte était ici bien plus épaisse.
À l’intérieur, le décor était minimaliste. Les murs étaient travaillés avec un métal bleu opalescent. Dans le fond de la pièce, quelques armes d’entraînement étaient fixées au mur à côté d’armoires encastrées.
— Où sommes-nous ?
— C’est une salle d’entraînement. Elle est dotée d’inhibiteur pour éviter les dégâts que pourrait provoquer l’usage de votre magie. Les murs sont recouverts de sageonite. Ils absorbent votre magie et se chargent en énergie.
Mara hocha la tête, mais ne releva pas. Elle ne comprenait pas, pas encore tout du moins.
— Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas aujourd’hui que vous ferez des étincelles, plaisanta Caelan voyant le regard soucieux de Mara.
Il ouvrit une des armoires et attrapa deux tapis matelassés qu’il posa sur le sol froid. D’un geste, il invita Mara à s’asseoir en tailleur.
Elle s’exécuta déroutée, tandis que Caelan s’assit à son tour, face à a elle.
— Quelque chose vous tracasse ?
Le regard de Mara dévia sur les armes au fond de la pièce.
— Euhm, non, mentit-elle parce qu’à vrai dire elle ne savait pas à quoi s’attendre.
Caelan lui sourit, prit une grande inspiration et ferma les yeux.
Mara l’observa sans un mot.
— Vos mains sont froides, essayez de les réchauffer en créant une source d’énergie, énonça alors Caelan, les yeux toujours clos.
— Pardon ? s’étonna-t-elle.
— Concentrez-vous sur la chaleur. C’est une source d’énergie.
Comment ? se demanda Mara intérieurement. C’est vrai qu’elle avait froid dans cette grande salle, mais que devait-elle faire ? Bien que dubitative, elle se résolut à fermer ses paupières en rapprochant les paumes de ses mains pour les frotter l’une contre elle.
Concentration, se chuchota-t-elle.
A peine quelques seconds plus tard, elle laissa retomber ses mains le long de son corps.
— Me concentrer sur quoi au juste ?
— Sur ce que vous souhaitez : vous réchauffez, entonna Caelan en rouvrant les yeux. L’autre jour quand vous m’avez repoussé au sol, vous vouliez fuir. Pour cela, vous avez puisé dans votre source intérieure. C’est exactement la même chose.
Mara redressa ses mains, soupira et entame sa deuxième tentative. Trente secondes plus tard, elle abandonna à nouveau agacée.
— Ça ne marche pas ! rugit-elle en se relevant.
— Vous n’avez aucune patience, Mara, faites un effort. Concentrez-vous.
Mara l’admit en roulant sa lèvre inférieure et se rassit.
Troisième tentative : elle ferma les yeux et chercha à sentir le soi-disant pouvoir monter en elle. Au bout d’un certain moment, elle n’entendait plus que le vrombissement léger du vaisseau. Il devait avancer, elle ne s’en était pas rendu compte.
Cette fois-ci, elle fut interrompue par une vive douleur à la tête, mais bien moins poignante que la dernière fois.
— On devrait peut-être me faire un scanner, déclara-t-elle tout soudain.
— Je vous assure que vous êtes en parfaite santé. Il n’y a rien d’anormal. Cessez de chercher des excuses, insista Caelan.
Mara fit la grimace, mais referma les yeux.
Une vingtaine de minutes plus tard, elle avait toujours aussi froid et sentait la colère monter elle. Frustrée, elle se releva.
— Tout cela ne sert à rien ! lâcha-t-elle. Vous perdez votre temps. Je ne sais pas ce qu’on fait là !
— Personne n’a dit que ce serait facile.
— Si j’avais cette capacité « magique », vous ne pensez pas que je saurais déjà m’en servir ?
— Sans apprentissage, on peut rester toute une vie sans savoir utiliser sa magie. Si vous ne sentez rien, c’est probablement parce que vous ne savez pas ce que vous souhaitez, notifia Caelan d’un ton calme.
Il se leva à son tour, tandis que Mara, comme si on venait de la piquer, fit trois pas en direction du fond de la salle. Elle était furieuse :
— Vous avez tort ! Ce que je veux vraiment, c’est retourner chez moi ! Même si tout ce que je vois est fascinant, ce n’est pas mon monde, ma réalité… Et puis, si je rentre chez moi, ma mémoire reviendra peut-être ! Pourquoi est-ce que mes « pouvoirs » ne le permettent pas ?
Tandis que la jeune femme vociférait, une auréole jaunâtre à peine perceptible commençait à encercler ses mains, un phénomène qui n’échappa pas au Venori impassible.
— Je comprends, souffla-t-il les yeux rivés sur les mains de Mara
— Comment pourriez-vous comprendre ?
Caelan demeura silencieux.
— Et pourquoi vous ne dites plus rien maintenant ? s’indigna Mara.
Il invita silencieusement Mara à regarder ses mains.
Elles étaient flamboyantes. Pas vraiment au sens visible du terme, mais elle sentait bien une chaleur étonnante émaner des mains. Paniquée Mara recula encore de trois pas comme si elle cherchait à s’éloigner de la source d’énergie.
— Ne luttez pas, faites un avec votre énergie, articula Caelan remarquant que la femme ne maîtrisait pas du tout ce qu’elle était en train de créer.
Il ne voulait pas la voir céder à la panique et commença à s’approcher d’elle avec prudence.
Sans crier gare, un éclair sorti de nulle part foudroya violemment le sol. Mara sursauta et ne put s’empêcher de crier.
Les flammes autour de ses mains avaient disparu, désormais elles étaient brûlantes. Elle n’avait plus froid.
— Je suis désolée !! brailla-t-elle pantoise.
— Ne vous en faites pas, ça fait partie du processus, glissa Caelan gentiment. La peur, la colère animent votre cœur. C’est elle qui enclenche votre mécanisme de défense. Votre magie ne vous obéit pas encore parce que vous ne vous sentez pas apte. Vous devez apprendre à vous faire confiance, à faire confiance en vos capacités.
Mara scruta ses mains. Elle semblait à nouveau contrariée.
— C’est difficile. J’ai l’impression que je le souhaite ardemment, mais que quelque chose me bloque.
— Nous sommes là pour vous aider, Mara, rétorqua Caelan d’un ton rassurant. Ne laissez pas la colère prendre le dessus où vous perdrez encore le contrôle.
Sur ce simple conseil, Mara s’excusa une nouvelle fois et ils reprirent l’entraînement. Plus aucune magie ne réapparut durant le reste de la séance, ce qui déçut la jeune femme. Il s’agissait plus de méditation qu’autre chose.
Caelan finit par libérer Mara avec des messages d’encouragements.
Guidée par le Commandant, elle retourna vers sa cabine pour prendre un peu de repos. Elle trouvait superflu que Caelan lui dise d’aller se reposer. Elle s’était entraînée qu’une heure et demie et ce n’était que le matin. Elle soupçonna qu’il était plus simple pour le Commandant de se débarrasser d’un fardeau tel qu’elle. Caelan devait être un homme occupé et se charger d’une apprentie aussi incapable devait être une corvée.
Debout dans son étroite cabine, elle se demanda bien ce qu’elle allait pouvoir faire ici. Apparemment le voyage durait une semaine. Sans aucune occupation particulière, elle allait s’ennuyer. D’autant qu’on lui avait signalé que la mesure de référence était les jours impérium composés de 30 heures de 60 minutes.
Soupirant, elle s’assit sur le lit. Il était plus confortable qu’il n’y paraissait.
Immobile, elle sentit une douleur musculaire se diffuser dans tout son corps. Mara ne s’était pas rendu compte que l’entraînement l’avait épuisée comme une véritable séance physique. Ressentant le contrecoup, elle s’allongea sur le matelas quelques secondes, juste quelques secondes. On lui avait bien dit que la magie demandait beaucoup d’énergie.
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