VIII. Apprendre / 2
Le soleil tapait fort en ce début de matinée. Dehors, des bruits de métaux résonnaient dans une cour en contrebas. On entendait également des paroles mélangées à des cris, probablement des ordres.
Lumia avait déjà exposé plusieurs endroits à Mara. Ce qui permit à Mara de se poser quelques repères. Elle trouvait Lumia très amicale et ce sentiment semblait partagé. Il faut dire que Lumia était essentiellement entourée d’homme, traîner avec une femme changeait son quotidien.
Les deux femmes marchaient désormais dans l’une des arènes d’entraînements venoris. Tréviane, torse nu et en sueur, était en train de se battre avec une agilité féline contre un adversaire bien moins aguerri. Caelan observait la scène et beuglait des instructions à l’apprenti. Une fois n’est pas coutume, Tréviane mit à terre le venori sans aucune égratignure.
Voyant les demoiselles arriver, Caelan quitta son poste après avoir apposé sa signature sur une espèce de tablette que l’un des soldats venait de lui tendre.
En s’approchant, il remarqua la subtile mise en beauté de Mara. Sa longue chevelure tombait derrière son dos et le trait de khôl illuminait ses yeux gris-vert.
— Bonjour mesdemoiselles. On vient profiter de la fraîcheur matinale ?
À son tour, Tréviane quitta l’arène en sautant par-dessus la barrière. Son torse luisait et soulignait chaque trait de ses muscles saillants parfaitement dessinés. Il n’avait pas rasé sa barbe depuis cinq jours et elle commençait à s’étoffer, lui donnant un air plus sauvage.
— On vient admirer le spectacle, lança-t-il s’essuyant le visage à l’aide d’un torchon.
Mara se racla la gorge tout en se mordant les lèvres :
— Profiter de la fraîcheur matinale, oui…
Tréviane éclata de rire. Il avait bien conscience du charme qu’il exerçait. Légèrement inconfortable, Mara cherchait comment sortir de cette situation en pointant son regard ailleurs.
— Alors… c’est ici que vous vous entraînez ?
Caelan acquiesça et expliqua à Mara qu’il y avait de nombreuses salles d’entraînement et que chaque agent venori devait être paré à toutes les éventualités.
— Mais avec toute cette technologie et la magie, pourquoi le combat avec ces espèces d’épées archaïques ? Je ne saisis pas.
Caelan sortit son épée du fourreau et la présenta à Mara. Elle semblait illuminée, renvoyant ses reflets opalescents. Divers symboles étaient gravés sur la longueur de la lame. Sur la garde étaient estampillés le rang et le territoire du Venori à qui elle appartenait. Chaque arme était de ce fait unique et suscitait l’admiration. Par définition, c’était l’outil indispensable et indissociable de tous les venoris.
— C’est avec ces épées trempées dans la sageonite et enchantées lors du rituel de la marque de sang que nous pouvons riposter face aux enchantements. La lame permet aux venoris de canaliser une attaque magique et de la renvoyer.
— Est-ce que je pourrais essayer ?
Légèrement surpris, Caelan hocha la tête.
— J’allais simplement vous proposer de tenir l’épée, mais si vous voulez directement passer par la pratique, je peux vous montrer quelques parades. Lors d’un combat, certains astroms utilisent ces épées, cela les aide à polariser leur puissance, surtout quand on débute comme vous.
Mara tilta quand Caelan prononça le mot « combat ». Noyée par le cadre idyllique, elle avait presque oublié qu’elle se trouvait sur une base entraînant des soldats. Elle déglutit. La voix de Tréviane chassa ses pensées :
— Avant de parer et canaliser la magie dans une épée, il faut d’abord savoir la manipuler. Quoi de mieux qu’une démonstration avec le meilleur Venori de tout l’Imperium ?
Tréviane sortit sa propre épée du fourreau.
D’autres symboles semblaient gravés sur cette autre sublime épée.
— Quelle modestie ! Meilleur, ça reste à voir ! balança Caelan se voulant provoquant.
— T’as perdu la main les fesses posées derrière ton bureau, invectiva Tréviane sur un ton léger.
— Tu exagères comme toujours…,
— Il n’y a qu’un moyen de le savoir. Ôte-moi ton armure clinquante et viens me défier, assena Tréviane partant en direction de l’arène.
Caelan pivota vers Mara, sourire gêné.
— Excusez-moi, on reprendra plus tard.
Il tourna les talons avant de se retourner une dernière fois vers la jeune femme.
— Généralement, j’ai autorité sur mes Agents.
Dans l’arène, Tréviane l’attendait déjà, échauffant ses muscles.
— Je n’enlèverai pas mon armure. Sur un champ de bataille, on ne l’enlève pas. Il faut apprendre à ne pas se fatiguer, souligna Caelan pour répondre à la requête de Tréviane.
— Comme tu veux, mais avoues que tu as peur que je t’entaille, héla Tréviane avant de commencer le duel à la seconde même où Caelan avait dégainé.
Mara et Lumia s’approchèrent pour assister la scène insolite. D’autres agents stoppèrent leur activité pour observer le combat.
— Le combat des coqs ! souffla Lumia en roulant les yeux. Ces deux-là ne peuvent pas s’empêcher de toujours se défier. Encore une belle démonstration d’arrogance masculine !
Mara écouta d’une oreille et observa le duel avec beaucoup d’attention. Les épées qui claquaient l’une contre l’autre, faisant des étincelles. Tréviane bougeait agilement et sa liberté de mouvement lui permettait de parer les attaques plus rapidement. Caelan, bien que handicapé par sa combinaison savait parfaitement anticiper les coups répétés de Tréviane.
— Tu fanfaronnes trop et tu ne vas pas droit au but, rugit Caelan juste après qu’il ait réussi à effleurer l’épaule de Tréviane laissant couler un mince filet de sang.
Redoublant de vigilance Tréviane attaqua de plus belle. Le combat dura encore plusieurs minutes. Les deux hommes se battaient à forces égales et aucun des deux ne semblait vouloir lâcher prise.
Mara ne pouvait pas s’empêcher d’être effrayée par la scène : voir Tréviane sans son armure l’inquiétait, mais la vitesse et la force à laquelle il infligeait ses coups envers Caelan, ne la rassurait pas non plus.
Tout à coup, Caelan qui pensait mener le jeu et qui s’apprêtait à assener le coup final fut surpris par une pirouette imprévisible. Tréviane se glissa vers la droite et donna un coup de pied en direction de sa jambe. Il faillit trébucher et profitant de cette déstabilisation, Tréviane désarma Caelan puis lui bondit dessus, le renversant pour de bon. La pointe aiguisée de sa lame était désormais pointée droit sur le cou du Commandant impuissant.
— Et toi tu es trop prévisible ! clama Tréviane victorieux.
Il rangea son épée et offrit sa main à Caelan. Debout, ce dernier essuya la poussière sur ses manches tentant d’oublier son humiliante défaite.
Les deux hommes se serrèrent la poigne et s’approchèrent à nouveau de Mara et Lumia. Cette dernière jeta un regard désabusé aux deux hommes, mais préféra ne rien dire.
— Je l’ai laissé gagner, plaisanta Caelan. Je ne voulais pas t’humilier devant notre public.
— Quel sens du sacrifice, Caelan, je t’en remercie, surenchérit Tréviane.
Caelan le toisa du regard avant de s’adresser à Mara :
— Mille excuses, madame. Je suis navré que vous ayez dû assister à nos chamailleries. Si vous voulez vous retirer, je comprendrais, sinon je me ferais un plaisir de vous faire tenir une épée.
— Bien au contraire, vous nous avez offert une belle démonstration, rétorqua Mara qui avait apprécié la scène. Je suis prête à essayer, mais on va éviter les combats pour le moment.
Caelan empoigna une épée en bois qu’il donna à Mara :
— Pour maîtriser l’escrime, il est nécessaire de développer sa souplesse, son agilité, mais également ses réflexes. Lors d’un combat, tout se passe très vite, il faut donc savoir anticiper les frappes de l’adversaire, expliqua Caelan.
Il attrapa les mains de Mara, l’aidant à tenir correctement son arme :
— Ce sont en apparence des gestes simples, mais cela requiert beaucoup d’endurance, continua Caelan en brandissant sa lame pour illustrer quelques mouvements sommaires.
— Lorsqu’on vous assène un coup, cela engage votre résistance musculaire, mais aussi votre volonté mentale, précisa Caelan avant d’inviter Mara à répéter les gestes qu’il venait de lui montrer.
Mara sautilla sur place et exécuta la chorégraphie dans le vide plusieurs fois.
— Le flux magique est rapide. Être capable de manier une épée permet de mieux repousser un assaut.
Caelan se positionna face à un dispositif installé de l'autre côté de l’Arène.
— Cet engin simule une offensive magique, expliqua Caelan.
Au même moment un volatile rouge jaillit fut projeté en sa direction, Caelan désamorça l’attaque avec son épée qui s’illumina. Un nouveau flux surgit plus rapidement, mais toujours trop lent pour déstabiliser le jeune officier. Au bout du troisième coup, il renvoya le flux rouge contre la paroi en face de lui et stoppa le dispositif.
— Vous voyez ce que je veux dire ? s’écria-t-il tandis que Tréviane s’occupait d’arrêter la machine à projectile.
— C’est plus clair, rétorqua Mara.
Au début, ces épées lui avaient semblé être qu’un vestige archaïque face un univers aussi technologiquement avancé. Désormais elle saisissait leur utilité. À ce sujet, ce n’était d’ailleurs pas la première fois qu’elle notait l’ambiguïté de ce monde : un mélange entre technologie et tradition antique. Est-ce que tout l’Impérium était ainsi fait ?
— Prête à passer à l’action ? demanda Caelan en s’emparant d’une épée en bois.
Mara cessa toute réflexion et hocha la tête.
Il frappa doucement tandis que Mara répétait la suite d’enchaînement qu’elle venait d’apprendre. Sa maîtrise était pour l’heure parfaite.
— On dirait que je m’en sors mieux avec une épée qu’avec la magie, se hasarda Mara.
— Vraiment ? On va voir ça, intercéda Caelan qui reprit la série de gestes plus rapidement.
Mara n’ayant plus de repère, essaya d’exécuter quelques mouvements improvisés, mais Caelan était trop rapide. Plusieurs fois, il effleura son corps, signe qu’il avait réussi à outre passer sa garde. Perdant peu à peu patience, Mara cessa d’utiliser sa propre épée et évita les frappes en se tortillant dans tous les sens. Elle finit par virevolter de l’autre côté et tenta de toucher Caelan. Peine perdue, il avait anticipé le geste. Le combat s’arrêta là.
— Vous avez déjà la souplesse, concéda Caelan. Et de la force aussi. J’ai senti une résistance dans les coups que vous avez parés. Cela vous aidera sûrement à mieux maîtriser votre force intérieure. Si vous le voulez, nous vous enseignerons aussi à vous battre avec une épée, mais promettez-moi de faire des efforts avec la magie.
— Est-ce que vous voulez faire de moi une venorie ? lâcha Mara qui ne cacha pas son inquiétude.
Lumia lui avait pourtant affirmé qu’elle n’était pas une recrue.
— Si ce chemin vous tente, nous pourrons en rediscuter dans quelque temps. Mais ce n’est pas pour cela qu’on vous a ramené ici. Rassurez-vous.
Mara soupira soulagée. Quoique l’idée de porter le blason venori ne lui déplaisait pas. Il avait une certaine classe. Elle en oublia pendant un instant la mission de l’Ordre et le danger auxquelles les agents venoris s’exposaient.
— On reprend ? proposa Caelan.
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