XIII. L’amer réalité / 1
Assise sur une chaise, Lumia était déconfite, probablement davantage que Tréviane et Béruc. Elle venait d’entendre le récit rapporté par Caelan suite à son séjour sur Alkian. Apprendre qu’Adley était morte était un déchirement, mais savoir que les responsables étaient des Venoris cela la terrassait. D’autant qu’il ne s’agissait pas de n’importe quels Venoris. Lumia les connaissait bien, et encore plus Ludvinia, celle qui avait pris la fuite.
— Il y a forcément une justification ! C’est impossible ! beugla Lumia qui refusait d’admettre les faits.
Caelan qui avait ressenti la même rage comprenait la réaction de son amie, mais il ne pouvait pas laisser les émotions de son agent-capitaine entraver sa lucidité.
— On va tout faire pour trouver une explication à ce qu’il s’est passé, Lumia. Mais j’ai besoin de toi pour y arriver.
Lumia jeta un regard féroce en direction de Caelan. Il avait raison, mais elle peinait à contenir sa hargne. Sans dire un mot, elle quitta la pièce en colère sans laisser le temps à Caelan d’intervenir.
Tréviane et Béruc voulurent la rattraper, mais Caelan les retint, comprenant que Lumia avait besoin de digérer l’information.
— Si vous avez besoin de temps vous aussi, vous pouvez partir, souffla Caelan résolu.
Il n’allait pas les priver de ça. Lui aussi avait du prendre du recule après avoir déserté la scène du crime. Il avait trouvé refuge dans le temple de Shambhala où il était resté planté des heures durant. Il s’était même autoblâmé, s’accusant de ne pas avoir retrouvé Adley à l’heure initialement prévue, persuadé qu’il aurait pu éviter ce massacre et sauver la vie des Étherians, d’Adley et même des Venoris suspects.
— Qu’est-ce que tu désires qu’on fasse ? demanda Béruc assis, le regard atterré.
Caelan n’avait pas vraiment envie de donner d’ordre, mais il avait une enquête à résoudre.
— Il faudrait que Lumia contacte la chambre étheriane d’Erendrïn en toute discrétion… Et surtout, je veux qu’on retrouve le Commandant Uriël !
Les trois agents incriminés dans le massacre de Shambhala étaient sous les ordres directs du Commandant Uriël, et même si sa disparition avait été signalée il y a quelques semaines, elle était désormais la suspecte principale. La retrouver devenait une priorité et Caelan espérait surtout qu’elle allait apporter un peu de lumière à cette sombre histoire.
À nouveau debout, Béruc acquiesça et quitta le bureau laissant Tréviane et Caelan seul à seul.
— Comment tu te sens ? demanda Tréviane en prenant place face à Caelan.
Il connaissait que trop bien son ami pour comprendre que derrière cette façade implacable, ce dernier était en train de ruminer. Bien entendu Caelan, préféra garder le silence, mais c’était sans compter sur la ténacité de Tréviane. Caelan finit par céder, l’air coupable.
— J’aurais dû être là.
— Et tu te serais peut être fait tué… souleva Tréviane.
Caelan soupira.
— Tu n’en sais rien, j’aurais pu la sauver…
— Arrête ! Tu ne peux pas sauver tout le monde ! rétorqua sèchement Tréviane. Et si tu avais été là et que tu aurais effectivement constaté que Baljak, Noydal et Ludvinia étaient en train brandir leur épée sur des innocents, qu’est-ce que tu aurais fait ?
Caelan plongea ses yeux perçants dans ceux de Tréviane.
— J’aurais fait ce qu’il faut, murmura calmement Caelan.
— Je sais et si tu avais réussi, tu serais en ce moment même en train de te blâmer de les avoir tués. On ignore ce qu’il s’est réellement passé, alors arrête de te torturer !
Tréviane marquait un point. Caelan ne pouvait pas nier qu’il culpabilisait sur des suppositions sans fondements. Il remercia son ami, puis finit par se retrouver à nouveau seul dans son office.
Au bout d'une dizaine de minutes, le regard dans le vide, il se leva et marcha en direction des étagères. Il venait de remarquer un détail inhabituel.
Posée à côté d’autres objets, se trouvait une petite figurine de verre représentant un loup. La réplique exacte de celle qu’il avait trouvée dans la main d’Adley.
Il l’attrapa et la retourna dans tous les sens pour chercher à comprendre sa signification. Puis au bout d’une minute de réflexion, il la porta vers sa bouche et lui souffla dessus. Elle se mit à briller d'une lumière éclatante. Caelan sourit, il venait de comprendre le message. Il reposa la statuette et se dirigea vers la bibliothèque à la recherche d’un ouvrage en particulier.
La plupart de ces livres étaient des reliques ayant appartenu aux commandants qui s’étaient succédé au cours des siècles. Et lorsque Caelan avait mis les pieds pour la première fois dans ce bureau, il s’était attardé sur un livre dont le titre contenait le mot « lumière ». Le titre complet lui échappait, car il n’avait fait que le tenir quelques secondes dans ses mains avant de le faire tomber sur le sol. Il se souvenait surtout d’avoir sursauté lorsqu’il avait entendu la voix d’Adley s’adresser à lui. Elle l’avait remis en place en lui rappelant qu’il ne fallait pas toucher les affaires des autres sans y avoir été invité.
Accroupi, Caelan finit par mettre la main sur l’ouvrage en question. Il le sortit délicatement et lut le titre dans son intégralité.
Plus claire la lumière, plus sombre l’obscurité
Il l’ouvrit et à sa grande surprise, il découvrit qu’il s’agissait d’une boite. Il se releva et se précipita pour sortir l’objet qui s’y cachait. Bien que cela ressemblait étrangement à un parchemin enroulé, ça n’en était pas un. Caelan déroula l’objet et comprit aussitôt qu’il tenait entre ses mains un exemplaire de tablette universelle.
Cet objet impossible semblait d’apparence défectueux, mais l’observateur pouvait y voir une succession de sursaut de lumières aléatoires sous un fond noir. Tantôt naissait dans ce nuage en perpétuel mouvement, des mots. Le mystère était d’autant plus surprenant, car ces mots apparaissaient dans la langue de son utilisateur. Ce dernier pouvait naviguer dans ce bruit kaléidoscopique en effleurant simplement l’artefact et parcourir ainsi une image qui jamais ne finissait. C’est de cette manière que les plus patients parvenaient à extraire d’étranges propos : fruit d’une hallucination ou réalité ? Les avis étaient tranchés.
Caelan regarda avec beaucoup d’intérêt la scène, hypnotisé par la succession aléatoire de mouvement et de symboles. Il aurait pu rester contemplatif durant des heures si la fatigue n’avait détourné son regard.
Clignant plusieurs fois les yeux qui lui piquetaient, il enroula le parchemin de peur d’être à nouveau pris dans sa toile et le rangea dans sa boite.
Il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il devait en faire. Mais ce qui était certain, c’est qu’il devait pousser un peu plus loin la révélation apportée par les Étherians et leur tablette. En lui léguant cette tablette, Adley venait de lui confirmer que sa mort était en lien avec elle. Elle avait dû mettre la main sur une information suffisamment compromettante pour qu’on ordonne sa mort. Même si cela n’expliquait pas pourquoi d’autres, venoris, étaient impliqués, Caelan comprit qu’il allait devoir d’une manière ou d’une autre découvrir la suite de la révélation.
***
Cela faisait désormais plusieurs jours que la mort d’Adley avait été annoncée et les hommages s’étaient multipliés.
Cependant, seuls les Commandants et une poignée d’agents-capitaines étaient au courant de la probable responsabilité d’autres Venoris dans le décès de cette dernière. On les avait chargés de récolter un maximum d’information et de ramener les suspects au bercail.
Les jours suivants, Caelan s’était montré quasiment indisponible, participant à de nombreuses réunions avec ses compères. Et ce qu’il entendait ne présageait rien de bon, car on annonçait que d’autres, venoris, commençaient à manquer à l’appel aux quatre coins de l’Impérium. Par ailleurs, beaucoup de Commandants partageaient leurs inquiétudes face aux Danariens unis.
Lorsqu’il n’était pas en réunion ou en train d’étudier les différents rapports, Caelan observait la tablette comme un enfiévré. Sa contemplation était addictive et Caelan espérait découvrir lui aussi une révélation. Sans sans rendre compte, il commençait à manquer de sommeil. Il évitait même de croiser Mara, ignorant ce qu’il devait faire d’elle. Après tout, elle faisait vraisemblablement partie de la révélation sans qu’on ne connaisse son implication.
Au bout d’une semaine et avec la complicité de Dax, Lumia finit par débarquer dans le bureau de Caelan. Elle le savait têtu au point de se perdre.
Lorsqu’elle déboula sans crier gare, Caelan qui avait toute son attention dirigée vers la tablette sursauta.
Et à l’aide d’un sort d’attraction, elle attira la tablette vers elle et l’enroula.
— Tu crois vraiment que tu vas trouver une réponse là-dedans ? vociféra-t-elle.
— Possiblement ! répliqua Caelan imperturbable.
— Les Étherians passent des heures à étudier ces foutues tablettes, toute la chambre d’Erendrïn est en train de chercher des occurrences en lien avec la première révélation. Tu as mieux à faire que de te perdre là dedans.
— J’ai besoin de savoir ce qu’il s’est passé, et surtout je dois savoir si Mara est une alliée… ou une menace !
— Tu ne peux pas sérieusement penser ça ! s’offusqua Lumia.
Même si rétrospectivement, elle connaissait Mara que depuis peu, Lumia s’était prise d’affection pour elle.
— Je ne sais pas quoi penser justement ! Est-ce que tu préférais qu’on l’abandonne ? Après tout, sa place est dans un sanctuaire. Ilyiée est une loge venorie, pas un centre de rétablissement.
Les propos de Caelan étaient d’une rare froideur ce qui déstabilisa Lumia, pas habituée à le voir ainsi. Mais réalisant qu’il avait été un peu trop dur, il soupira et reprit sur un ton apaisé.
— Est-ce qu’elle a fait des progrès ?
Lumia hocha négativement la tête.
— En quoi ça t’intéresse maintenant ? renchérit Lumia.
— Contrairement à ce que tu crois, j’apprécie Mara et j’ai envie de l’aider. Mais au fond de moi, je souhaite vraiment que les propos tirés des tablettes universelles ne soient qu’un ramassis de sottises et que Mara n’ait rien avoir avec ça. Ce serait bien mieux pour elle....
Lumia ne dit rien, mais cette fois-ci elle était d’accord avec Caelan. Elle commençait enfin à comprendre les intentions de son commandant.
— Si…, et je dis bien si, Mara est ce « catalyseur » et qu’elle est impliquée d’une manière ou d’une autre dans cette « je ne sais quoi de “prophétie”, “prédiction” »…. Alors, en me fiant à mon instinct — et j’espère que je ne me trompe pas — il faut qu’elle soit préparée à ce qui s’annonce être quelque chose de pas très plaisant, reprit Caelan.
— Tant qu’elle ne retrouvera pas la mémoire, je crois qu’elle restera handicapée, murmura Lumia désormais totalement en adéquation avec les pensées Caelan.
Elle s’en voulait d’avoir douté de lui, ne serait-ce qu’un bref instant. Jusqu’à présent, il avait toujours pris des décisions justes et réfléchies.
— Alors il va falloir travailler sur ce point, et plus sérieusement, conclut Caelan. Et emmène cette chose loin de moi. Je dois faire une pause !
Caelan désigna du doigt la tablette que Lumia tenait toujours dans ses mains. Souriante, elle ne se fit pas prier et quitta le bureau avec l’artefact.
***
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