XVII. La villa venorie
Le Lyria était amarré à une station spatiale circulaire gigantesque installée en orbite autour de la mystique Alkian. Continuellement, des navettes faisaient des allers-retours entre la station et les différents spatioports. On préférait ne pas encombrer le sol avec la présence de trop grands vaisseaux et éviter les nuisances qu’incombait la traversée de l’atmosphère.
Assise silencieusement sur son siège, Mara s’attardait devant l’épais hublot de la navette de transit, admirant Alkian depuis les cieux. Il y avait douze continents et non loin du pôle, Mara aperçut des ondes vertes colorées dansant gracieusement sur la surface.
— C’est une aurore boréale ? s’exalta-t-elle.
— Absolument. Alkian est l’une des plus belles planètes de l’empire d’Alwyn. Son climat est parfait, privilégié par la distance de sa naine jaune. L’air y est si pur, la végétation luxuriante et la biodiversité foisonnante, précisa Béruc.
Cela ne fit que renforcer l’impatience de Mara. On lui avait si souvent parlé d’Alkian et d’Endora, mais les descriptions et les images ne remplaçaient pas une véritable visite.
Petit à petit le transporteur pénétra dans l’atmosphère masquant momentanément toute visibilité. Quelques minutes plus tard, il surfait sur une étendue d’eau avant de s’arrimer au spatioport d’Endora. Mara n’avait pas quitté le hublot une seule seconde, ne voulant manquer aucune bribe du spectacle.
Une fois les pieds au sol, Mara faillit rentrer à mainte reprise dans divers obstacles, émerveillée par le décor. Il y avait de la foule autour d’elle et beaucoup de transits. Elle n’avait jamais été autant entourée de nouvelles personnes. Jusqu’à présent, elle avait toujours côtoyé des Venoris. Elle ne savait même pas à quoi ressemblait une population « normale ».
Heureusement pour elle, Caelan et Tréviane s’étaient mis chacun à ses côtés pour la guider. Comme une enfant, elle apposa ses mains sur les vitres de la nacelle qui les transporta en quelques minutes à Endora. Le joyau de l’empire se reflétait dans les yeux ébahis de la jeune femme, un lumineux bal de beauté.
Respirant pour la première fois l’enivrant parfum de la citadelle. Mara s’arrêta sur la place centrale. Le contraste avec Ilyiée était frappant, tellement moins formel. Là où la base des Venoris apparaissait moderne et sobre, Endora était antique, outrageusement travaillée dans ses moindres recoins.
Autour du groupe se promenaient d’authentiques citoyens Alwyiniens vêtus d’improbables vêtements colorés plus somptueux les uns que les autres. Un véritable défilé de mode haute couture électrique et sophistiqué. Regardant son uniforme indigo, Mara se sentait en décalage avec l’excentricité des tenues.
Un léger souffle remua les feuilles des arbres qui entouraient la place qu’ils traversaient. Chatouillées par le vent, les branches fleuries laissèrent échapper de fines particules or. Comme des paillettes, certaines se déposèrent délicatement sur la chevelure de la jeune femme.
— Endora ne s’appelle pas ainsi pour rien. Ces arbres sont des Saules d’Or. Endora est la première cité fondée après la chute de Panagast. Ils ont été plantés par les premiers colons comme des totems du passé. Ils désignent à la fois la reconstruction par la lumière, tandis que les fleurs dorées représentent chacune des victimes, morts au nom de la liberté, expliqua Tréviane adoptant un air professoral.
— Alkian est une planète colonisée ? s’étonna Mara.
— Oui, tout comme les autres planètes habitées par l'humanité aujourd’hui. Les restes de Panagast, la planète matricielle des humains, sont encore visibles dans l’obscurité de l’espace, révéla Caelan.
— Ne vous laissez pas bercer par l’illusionnante beauté d’Endora. Cette cité- si sublime soit-elle- est également le symbole d’une profusion outrageante de richesse. Alkian et surtout Endora ne se cachent pas d’afficher leur opulence au détriment des planètes moins prospères. Mais que voulez-vous, c’est un baume pour le peuple. On leur offre du rêve, précisa Tréviane.
Caelan lança un regard approbateur : son ami disait vrai.
— Jusqu’à maintenant, nous vous avons présenté les alkonians en victimes qu’il faut défendre, mais comme dans toute chose, il y a des contrastes. Alkian n’est pas innocente, reprit Caelan.
— Avant d’arriver à la résidence, je suggère une promenade pour que Mara puisse oublier quelques instants la géopolitique et l’histoire tordue fondée sur les opprimés et les forces inégales qui semblent être le panache de nombreuses de civilisations de l’Impérium, fit remarquer Béruc avec une légère pointe d’amertume.
L’Ascor devait sans doute faire un parallèle avec sa propre planète, Vinter, là où une guerre mondiale faisait rage depuis trop longtemps. Caelan acquiesça et les quatre compagnons prolongèrent leur marche dans la cité.
Profitant de l’après-midi ensoleillé, Mara put découvrir les rues d’Endora bordées par des espèces de grands palmiers. Le climat était plus tempéré que sur les îles d’Ilyiée et cette promenade sur les dalles travaillées apportait un étrange sentiment à Mara. Comme une sensation de déjà vue. L’aspect antique d’Endora lui paraissait familier.
Ralentissant le pas, elle s’efforçait de ramener un souvenir ancien. Elle ferma les yeux pour tenter de représenter cette intuition soudaine. Encore une fois ce n’était qu’une bribe de sa mémoire, mais elle reconnaissait clairement une ville qu’elle avait visitée autrefois. Des réminiscences de vacances peut-être ? se dit-elle. À ses côtés, il y avait quelqu’un d’autre, un homme dont les traits restaient flous. Elle lui tient la main, elle semble heureuse, elle l’embrasse….
— Mara, MARA ? appela Caelan.
Cette dernière sortant de ses pensées se rendit compte qu’elle était arrêtée au beau milieu de la rue.
— Tout va bien ?
— Oui, oui, je voulais juste ressentir les lieux, mentit Mara.
Elle n’avait pas envie d’aborder le sujet pour le moment. Ils reprirent la marche tandis que Mara se mit à faire tournoyer son anneau avec son autre main.
Son tracas s’évapora lorsqu’elle aperçut enfin le fabuleux palais. Il détonnait sur tout le reste et mentalement Mara n’avait plus aucun mot pour le décrire, se réjouissant d’avance de le découvrir de l’intérieur.
Leur promenade s’acheva lorsqu’ils arrivèrent devant une résidence privée et dont certaines fenêtres faisaient face au palais. Il s’agissait d’une demeure venorie où parfois quelques agents en convalescence séjournaient. Il était de coutume pour les Venoris de recevoir des présents de la part des civilisations de l’Égis pour bons et loyaux services, et cette villa exclusive en faisait partie. Même lorsque personne n’y logeait, elle était en permanence surveillée par deux gardes venoris affiliés à une petite loge venorie située à l’extérieure de la cité.
— Nous y sommes, annonça Caelan en désignant l’entrée de la villa.
Rien que la porte donnait le ton : elle est ornée de motifs taillés à la main dans un bois robuste. Haute de trois étages, sa façade était tout aussi richement décorée de fioritures. Même les trois balcons étaient habillés de sculptures. Cette maison était la parfaite représentante de l’architecture traditionnelle d’Endora. À l’image du reste de la ville, tout ici était dans l’opulence exagérée.
Mara venait à peine de découvrir sa nouvelle chambre dotée de deux lits. Lumia étant absente, elle avait le privilège de pouvoir bénéficier seule de la suite. Elle sentait le vieux bois tandis que le parquet grinçait sous ses pieds. Elle posa son sac avec ses quelques affaires et jeta un œil par la fenêtre où elle pouvait apercevoir un morceau du palais.
Son inspection prit fin lorsque quelqu’un frappa à sa porte.
— Je peux ? s’enquit Caelan.
Mara l’invita à l’intérieur. Il tenait dans ses mains une grosse boite élégante qu’il offrit à Mara.
— Qu’est-ce que c’est ? s’exclama Mara surprise.
— Le paquet vient tout juste d’arriver avec un mot signé par Lumia « pour que tu puisses rayonner comme une reine ».
Mara posa la boite bleue nuit sur le lit et souleva le carton.
— J’aurais dû m’en douter, souffla-t-elle sourire aux lèvres en sortant une longue robe.
Caelan haussa les sourcils agréablement surpris, admirant l’accoutrement et ne pouvant qu’imaginer ô combien, il irait parfaitement à la jeune femme.
— Lumia a d’excellents goûts ! Elle vous ira à ravir, j’en suis certain…
— C’est une magnifique robe en effet, balbutia Mara rougissant légèrement. Le compliment de Caelan ne lui avait évidemment pas échappé.
Pour ne pas le montrer, elle se concentra sur la tenue qu’elle alla accrocher soigneusement sur le coin du miroir.
— Heureusement que Lumia est là pour penser à ce genre de détail, ajouta Caelan.
— Je n’aurais pas mieux choisi, souffla Mara en se retournant.
Caelan ne l’avait pas quitté du regard. On aurait dit qu’il cherchait des mots qu’il ne trouvait pas. Un long silence gênant s’installa.
— Je suis désolé, je ne voulais pas vous embarrasser., balbutia-t-il au bout de ce qui parut une éternité
— Par rapport à quoi ? rétorqua Mara faisant mine de ne pas saisir.
Caelan se sentit d’autant plus confus, peut-être avait-il mal jugé la situation ambiguë.
— Vous êtes une femme mariée et je suis un homme. Je ne veux pas que vous croyiez que j’essaye de vous courtiser, je ne me le permettrais pas. Je souhaitais juste vous adresser un compliment… par rapport à la robe… parce que vous êtes une jolie femme et qu’elle sera à ravir sûr vous, comme une robe va bien à une femme, euhm… Enfin, voilà, marmotta Caelan qui, se rendant compte de son discours décousu, prit la sage décision d’arrêter de parler.
— Oh, ne vous inquiétez pas. À aucun moment je n’ai pensé que vous faisiez des avances. Nous sommes amis et comme vous l’avez souligné je suis mariée… mariée avec un homme…, dont je ne me rappelle rien…, s’exclama-t-elle essayant d’avoir l’air convaincante.
C’était à son tour de s’embourber.
— Très bien, c’est clair au moins, marmotta Caelan toujours confus. Il fit un pas en arrière en direction de la porte. Je vais vous laissez vous installer. Si vous avez besoin de nous, on est en bas, ajouta-t-il alors qu’il était déjà dehors de la chambre.
— C’est entendu. Je vous rejoins tout à l’heure, répondit Mara en refermant délicatement la porte.
Elle se retourna contre cette dernière et repensa à cette scène inattendue en se mordant la lèvre inférieure. Qu’espérait-elle ? Elle n’en savait rien. Bien sûr qu’elle était attirée par Caelan, mais elle était mariée. Même si elle n’avait aucun souvenir de son mari, elle ne pouvait pas ignorer son existence. Elle décida d’oublier cet étrange dialogue et s’en alla dans la salle de bain.
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