— Au revoir.

Je fais un geste et Ludmila, postée dans mon dos, avance pour se saisir de la femme assise devant moi. Elle se laisse faire, complètement abasourdie. La stupéfaction a figé son visage dans une grimace pathétique. Je souffle bruyamment alors que Ludmila la pousse hors de la pièce. Encore une qui n'a pas pu supporter le choc. À quoi bon vouloir mes faveurs si on n'arrive pas à encaisser la vérité ? Car cela est mon rôle, ici : dire la vérité à tous ceux qui se présentent devant moi, moyennant argent. Beaucoup d'argent. Ou services en tout genre. C'est spur que ce n'est jamais plaisant d'apprendre de la bouche d'un inconnu que notre mari nous trompe depuis quelques années avec sa sœur. M'enfin bon, il y a pire dans la vie !

— Il y en a encore beaucoup ?

Ludmila sort et revient quelques instants plus tard accompagnée d'un homme.

— C'est le dernier, m'indique-t-elle.

Je la regarde, étonné. C'est déjà fini pour aujourd'hui ? Eh bien, je suis allé plus vite que prévu.

— Bonjour, asseyez-vous.

Je montre de la main le siège en face de moi et dévisage l'homme devant moi tandis qu'il s'assoit. Barbe de quelques jours soigneusement taillée, bruns, yeux marrons. Il sait prendre soin de lui. Il porte un costume trois pièces bleu roi. Tant mieux. Au moins cette fois-ci, je n'aurais pas besoin de Ludmila pour le forcer à me payer.. À moins qu'il préfère en nature.... Un sourire en coin apparaît sur mes lèvres. Je ne suis pas fermé à toutes sortes de plaisir.

— Bien, je suppose que vous êtes ici en toute connaissance de cause.

J'avance mon fauteuil, pose mes mains croisées sur le bureau et plonge mes yeux dans les siens.

— Préférez-vous savoir quelque chose en particulier ou toute vérité quelconque ?

— À vrai dire, j'aimerais que vous m'écoutiez.

Sa voix grave mais douce me met soudain mal à l'aise. Il sort de sa poche une liasse de billets et la pose sur le bureau. Je jette un coup d'œil expert : cinq mille, au minimum.

— Vous n'êtes pas ici pour connaître la vérité ?

Il fait une petite moue.

— Techniquement, si. Mais je la connais déjà.

— Je... Je ne comprends pas, bredouillé-je.

Ludmila dans mon dos, fait un pas en avant. C'est la première fois que je paraîs aussi peu sûr de moi. Elle doit sentir que quelque chose ne va pas.

L'homme pose ses bras sur le meuble et me fait face.

— Préfères-tu que je te la dise ou souhaites-tu la découvrir par toi-même ?

Je déglutis. Ses yeux noisette semblent lire en moi comme dans un livre ouvert, ce qui est impossible. C'est censé être l'inverse.

Je me concentre alors et lui rends son regard. En un claquement de doigts, j'explore son cerveau, me perdant dans sa mémoire et dans ses émotions. En un claquement de doigts, je sais tout de lui. En un claquement de doigts, ma vie bascule. Mon corps fait un bond en arrière lorsque je sors de sa tête. Ludmila rattrape de justesse mon fauteuil avant qu'il ne traverse les immenses vitres derrière moi, m'entraînant dans sa chute de plusieurs dizaine de mètres.

— Boss ? s'écrie-t-elle, alarmée.

Je ne lui réponds pas, fixant d'un regard terrifié l'homme devant moi, qui se contente de sourire timidement.

— Bonjour, Léo.

Un tremblement incontrôlable s'empare de mes membres.

— Père ?

Derrière moi, Ludmila étouffe un hoquet de stupeur et de peur mêlées.