La profondeur de la coupe

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 A l’autre bout de la ligne, une femme se présentant comme une amie de Monsieur Landemain ne dissimulait pas un enthousiasme de tous les instants pour mon travail. Rien que ça ! Elle avait vu un de mes tableaux chez un de ses amis. Une toile dans les tons bleus. Une merveille, disait-elle, devant laquelle elle avait ressenti une grande puissance. La succession de plans, les personnages qui l’habitaient au milieu de la scène, de l’ensemble jaillissait, selon elle, l’expression d’une solitude apaisante. « L’évocation d’une sorte de métaphore la renaissance ». Elle a ajouté qu’elle ne parlait pas de la période de l’histoire Renaissance mais bien d’une sorte de résurrection « si je puis me permettre cette comparaison religieuse ! ».

 Elle souhaitait, dans l’ordre, me rencontrer, venir me voir chez moi ne lui posait aucun problème, voir mes toiles, en présenter quelques-unes dans une galerie dont elle était la responsable artistique, à Paris dans le seizième arrondissement, douze toiles pourraient convenir, un vernissage était prévu dans deux mois, elle viendrait la semaine prochaine, le mardi après-midi lui convenait assez bien, mon œuvre avait un fort potentiel. Une limousine m’attendait dans l’allée pour me conduire au Palais, comment pouvais-je la laisser repartir sans moi ?

 Deux mois plus tard, je me tenais debout dans une salle habilement éclairée, pleine de recoins et de murs garnis d’œuvres réalisées par trois artistes différents. Des grappes de personnes déambulaient, une coupe de champagne à la main. Les regards scrutaient les peintures en marmonnant des commentaires pour eux-mêmes. Un jeune homme en costume découvrait que la peinture acrylique et la peinture à l’huile imposent des techniques bien différentes. Un grand moustachu discourait sur le sens des flux lumineux dans un drapé de verdure, se tenant les bras croisés face à un grand format. Je me tenais à proximité des douze toiles qui constituaient ma production, les sens abîmés par les bulles de mon verre. La chaleur commençait à grimper dans la galerie.

 Des femmes observaient mes tableaux, puis me regardaient, retournaient à la contemplation des œuvres, se hasardaient à m’observer à nouveau. Se lançaient-elles dans des comparaisons ? Cette femme presque nue reposant sur un sable couleur caramel et gris, était-ce moi, se demandaient-elles ? Me retournant pour voir l’objet de leur attention, je ne songeais qu’à une chose : m’enfuir. Je ne me sentais pas à ma place. Poser des mots sur mon travail était au-dessus de mes forces. Je pouvais dévoiler mes techniques et toutes ces expérimentations que j’avais pu exercer sur différentes matières au fil des années. Mais dévoiler ce qui m’avait inspiré, je n’y parvenais pas. Je refusais de livrer à des inconnus ce que je tenais pour la plus intime part de mon travail. La peinture et ce qu’elle produisait en moi, lorsque j’étais seule dans mon atelier, ne pouvaient que m'appartenir sous peine de disparaître.

 C’est alors qu’il s’est présenté devant moi. Je n’avais pas remarqué son entrée dans la galerie tant il y avait de monde. J’en étais à ma troisième coupe et je crois que mon esprit commençait sérieusement à s’embrumer. « J’ai admiré vos tableaux. Pour être honnête avec vous, je n’ai consacré du temps qu’aux vôtres, les autres ne me touchent pas autant. Vous possédez un esprit que je n’ai pas vu depuis fort longtemps! ». Instinctivement, je lui tendais la main pour le saluer. C’était la première personne avec qui j’accomplissais un tel geste depuis le début du vernissage. Son visage m’était familier. Je ne pouvais pas ne pas le reconnaître puisque des millions de personnes avaient entendu parler de lui. « Laurent Palanche. On ne se connaît pas, en tout cas, je ne pense pas que vous me connaissiez. Moi, en revanche, j’ai très envie de faire votre connaissance ! ».

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