L'immortel
Il se lève tôt, comme tous les matins, pour observer le monde dont il fut - jadis - le bienfaiteur et le bourreau. Las de l'orgeuil, de la cupidité et de l'impulsivité de ces habitants, sa vengeance se changea en apathie mélancolique. Il prétend que la foi n'existe plus. Lui-même était humain après tout. Ainsi, il déposa la plume, avec laquelle il avait redessiné la réalité et écrit tant de destin, pour ne devenir qu'un observateur. Sa générosité abondante n'a guère apaisé la soif de pouvoir des hommes, et ses anathèmes n'ont affecté que sa propre culpabilité.
Personne ne connaît son véritable nom. Désormais il utilise le nom de ceux qu'il voit sur les tombes. L'éternité lui a été allouée afin de comprendre et éviter les erreurs passées. Cependant, l'immortalité n'aura semé qu'un sentiment de vide omniprésent.
Il prétend qu'il va bien. Mais vous devriez le voir pétrifié dans son lit. Avant, il voyait des rêves la nuit, mais maintenant il ne fait que regarder le plafond. Il ne cesse d'implorer le pardon d'une promesse manquée. Les créatures de ce monde étaient vouées à répéter le même schème de déchéance. Il avait lamentablement échoué. Incapable de doser son implication dans ce monde, il offrit à outrance un pouvoir démesuré et cacha avidement des connaissances d'antan. Lui-même était humain après tout.
Tourné vers l'avenir, il ressassait le passé continuellement. Il observait les conflits naître et les vies s'éteindre en se rejettant la faute. Mais, il avait oublié que nous avions notre part de responsabilité. Il avait bravé les millénaires en solitaire, apporté la prospérité et les richesses sans que personne ne s'en aperçoive. Son rêve aurait pu toucher à son but, si nous avions combattu notre nature. Il a essayé de nous comprendre, de nous expliquer nos erreurs en nous racontant les affres du passé. Il nous a tout donné : ses ambitions, ses espoirs et son existence. Il m'a confié ses doutes, ses craintes et son coeur. Involontairement, mon insatiable envie de connaissance a rompu les derniers liens qui unissaient le monde à l'Immortel, causant sa perte. Je suis un humain après tout.
"Laisse-moi sortir, permets-moi d'arrêter cette discorde ! lui suppliai-je en faisant glisser mes chaînes sur le sol."
L'Immortel tourna la tête pour poser son regard morne dans le mien, sans me répondre. Les siècles défilaient dans ses yeux, sans que je n'y vois de répit. Je désirai le prendre dans mes bras, implorer son pardon, lui prouver que nous méritions d'être sauvés et tout recommencer. Nous aurions pu changer la face du monde, le parcourir pour atteindre son idéal. Mais, j'étais condamné à contempler les conséquences de mes choix pour l'éternité, à présent. Sans que je m'en aperçus, des larmes coulèrent sur mon visage. Des pas retentirent sur le sol glacée. Il se mit à ma hauteur, je pouvais sentir son odeur chaude et épicée. Je distinguai à peine son visage dans la pénombre, pourtant son regard m'intimidait. Il libéra l'une de mes mains, avant d'appliquer un onguent sur la peau rougie par le frottement. Il était précautionneux, ne touchant ma peau plus que nécessaire. Comme si mon contact aurait pu lui rendre son humanité. Je profitai de cette proximité pour apposer ma tête sur son épaule. Il ne me repoussa pas, répétant ses gestes sur ma seconde main. Puis, il resta immobile m'accordant cet instant de repos. Un triste sourire se dessina sur mon visage, tandis que je ressassai les souvenirs passés. Nous nous sommes aimés en tant de guerre, nous avons créé de beaux souvenirs autour du feu et nous n'avons fait qu'un au clair de lune. Puis, je mis fin à tout cela. Nous étions des humains, après tout. Si je pouvais te le demander, je voudrais que tu me racontes une nouvelle histoire au coin du feu. Mais je sais qu'une chose pareille est désormais impossible. Maintenant, il ne me restait plus qu'une chose à faire.
" Nous finirons par assimiler nos erreurs, peut-être que nous comprendrons juste avant notre décadence. Mais tu n'as plus à supporter le poids de l'humanité. Tu as fait tellement de choses, sans recevoir de remerciement. Tu as sacrifié ta vie au profit du bien commun. C'est fini... Tu as le droit de trouver le repos. Je veillerai sur toi. "
Je profitai de ma main libre pour le prendre dans mes bras. Je pouvais sentir ses défenses céder successivement. Je raffermis ma prise en entendant ses sanglots. Plus personne ne vient s'immiscer dans l'Histoire de ce monde et ses habitants. Plus personne ne les sauva de leurs péchés. Le monde continua de tourner, tandis que dans un espace hors du temps l'Immortel se reposait auprès de son aimé.
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