La Solitude

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 Impassible, elle passe sans s’arrêter. Jamais elle ne pleure, jamais elle ne rit ni ne sourit, elle ne montre ni ne dit rien. Fantôme que l’on remarque à peine quand on la frôle, il n’est pourtant pas difficile de remarquer l’ombre qui la suit. La chose se pend à son cou, traîne à ses chevilles, enserre sa taille et ses genoux… Aura annonçant sa venue, laissant sa trace sur son passage : un frisson, une odeur, un soupçon de malheur. Elle ne la repousse pas cette ombre, elle ne lui prête que peu d’attention, sauf quand au gré d’un miroir, son visage disparaît derrière les traits de l’intrus. Elle ne lui est pas inconnu cette ombre, familière invitée, elle ne s’en va jamais mais n’est jamais vraiment là. Quand cachée aux yeux du monde, elle peut se laisser aller, elle l’embrasse même cette ombre. L’enserre à son tour par les hanches, par les genoux, par la taille, par le cou. Etranglant le fruit de sa douleur, enlaçant sa seule amie, l’ombre si familière, qui depuis toujours la suit.

 Immonde masse noire, somme du trépas d’une amour morte, d’un combat perdu, d'un échec… L’ombre danse quand il fait froid, et ricane quand il fait chaud. L’ombre tend la lame, incite, suscite, l’hôte verse une larme, supplice, délice. Quand alors, d’un coup de poignet sifflant, le sang sur l’autre coule à flot. Ecarlate sur le blanc de la peau, douceur soudaine sur un cœur de glace, sur cet esprit qui trépasse. Elle s’oublie dans cette douleur qui balaye la pensée, elle élimine le malheur à force de trancher. Et quand, lavée de sa noirceur, elle supporte son cœur, l’ombre comme sa vieille amie, goûte ses larmes et les essuie. L’une contre l’autre elles se supportent, et égales en tous points, se mêlent, se fondent, s’emmêlent et tombent. Elle perd ce qui fait d’elle l’hôte, et l’ombre ce qui fait d’elle la prison. C’est la damnation de l’une et l’autre qui se complaisent dans leur harmonie saccadée, leur équilibre précaire, leur entente partagée. Elles se sauvent, elle se tuent.

 Mais bientôt elle repousse l’ombre à nouveau, son soulagement passager écoulé. La haine revient, la colère, la tristesse et l’abandon. Mais l’ombre s’accroche, tient et se maintient, reste auprès d’elle et de son chagrin. L’ombre le nourrit, le ravive, s’en nourrit et s’en ravive. Cercle vicieux désespérant dont elle ne peut se défaire car encore, car toujours l’ombre la suit : Malédiction et bénédiction, raison de la chute comme de l’envol. Elle a peur sans elle, sans cette trainée de charbon qui l’accompagne, mais si jamais elle n’était venue, elle n’aurait jamais été terrifié non plus. Dépendante de l’ombre, celle qui la noie qui la protège. C’est ce sentiment qui la bloque dans son monde, prison et protection.

Cette ombre est plénitude. Cette ombre est solitude. Cette ombre c’est ses ailes.

Jamais elle ne s’en séparera de cette tâche, car là où la lumière luit, l’ombre suit toujours. Et l’ange dans sa noire splendeur s’accroche à son malheur, reste toujours seule, car s’arracher les ailes, c’est tirer son linceul.

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