Le Monstre du Mortainais
L’eau frémissait dans la casserole, libérant des volutes de vapeur qui noyaient la pièce d’une atmosphère étouffante. Les cliquetis fatigués de la ventilation encrassée soulignaient son inutilité. Elle grondait doucement, sans jamais s’arrêter, comme elle l’avait toujours faite, s’efforçant dans un mouvement vain ; une existence prosaïque et sans substance.
Les pieds sur la table basse du salon, avachi comme un sac sur le sofa, il regardait d’un air désabusé la télévision. Il n’avait jamais estimé le contenu putassier qu’elle lui faisait avaler sans gêne. Pour autant, il n’en manquait aucune seconde ; de l’émission niaise à l’information en continu abrutissante et fallacieuse. Il nageait dans ces réflexions conscientes et contradictoires, une valse d’amour et d’haine.
Le doigt collé à la télécommande, les yeux à l'écran ; il s’arrêta subitement de zapper. Il était question d’une histoire ignoble.
« Et maintenant, passons à l’actualité régionale avec un fait divers particulièrement sordide. Les événements se sont déroulés dans le petit bourg de Villechien, en Normandie. C’est durant 5 ans que le dénommé Bernard Dainbou a séquestré les membres de sa famille. Le Toutouvillais ... »
Un sourire benêt collé au visage, il s’amusait du gentilé singulier.
« … Alors âgé de quarante-six ans, aurait séquestré et abusé de ses deux filles, âgées de neuf et douze ans au moment des faits. C’est quelques mois plus tard, en Décembre 2011, que la disparition définitive de ses filles et de sa femme est attestée dans le village. Un habitant témoigne :
“Oh bah, chuis choqué ! Faut savoir qu’c’était un homme banal, 'l était l’professeur d’ Français d’l’école d’à côté, ‘l emmenait ses filles 'vec lui, comme tous les parents du coin, pis un jour on les a plus r’vu. On savait qu’il avait des problèmes avec sa femme, ça c’sait vite ce genre de choses, v’savez. Alors quand i' disait qu’elle ‘tait partie avec les deux p’tiotes, personne s’est posé d’question !”
En effet l’homme menait un train de vie banal : Il participait aux activités communales, était apprécié en tant qu’enseignant et nourrissait des contacts cordiaux avec les habitants du bourg. Seule ombre au tableau : sa relation conjugale tumultueuse, fait connu dans l’agglomération.
C’est donc pendant cinq ans, dans le secret le plus total, que celui que l’on surnomme maintenant « Le Monstre du Mortainais » a fait preuve de sauvagerie à l’égard de sa famille.
Le 13 Septembre 2016 dans la matinée, la jeune Marion, l’aînée de la fratrie, réussit à s’enfuir alors que Bernard Dainbou est absent du logis familial.
“I' d’vait être 9 heures du matin, j’faisais ma prom’nade matinale quand j’ai vu une gamine courir toute affolée vers moi. J’savais pas trop quoi faire, è’ m’a suppliée d’prév’nir la police, alors j’ai fait c’qu’è’ disait, v’savez, elle avait l’air mal en point, j’tais certain qu’c’était pas des conn’ries ! ”
En appelant la gendarmerie, l’homme décide de pénétrer dans le domicile de Bernard Dainbou. La maison est modeste, “celle d’un homme seul” selon les dires de l’habitant ; mais alors qu’il descend l’escalier vers la cave, c’est stupéfait qu’il découvre une porte enfoncée et une scène terrifiante : “la femme était toute par terre dans son sang ; la cadette en sanglots, les mains attachées au radiateur”. »
Il détacha les yeux de l’écran, secouant la tête l’air blasé. Dans quel monde de fou vivait-on ?
Dans la cuisine, une minuterie vocifèra, l’extirpant de sa contemplation comateuse. L’eau bouillait. Il coupa le feu et la vieille ventilation ; le silence s’installa.
C’est alors que quelque chose capta son attention ; un bruit, pas très fort, à peine sonore. Ça grattait, ça remuait.
Ça devait être encore ses deux chiennes qui réclamaient à manger. Il remplit la gamelle puis descendit les marches qui menaient au garage.
Il alluma la lumière, sourire aux lèvres ; elles avaient un de ces airs ravis sur le visage ! Il déposa l’écuelle au sol, juste devant les cages, et posa un regard satisfait un moment sur ces bêtes qui faisaient tout son bonheur. Elles commencèrent à manger, voraces, l’une rattrapant entre deux doigts un morceau qui s’enfuyait.
Il retourna à l’étage, le repas n’était pas encore prêt.
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