2.3) Sakineh

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  Volodia.
  Volodia ?
  Où ai-je entendu ce prénom ?
  C’était il y a si longtemps. Je crois.
  Qui es-tu ?
  Et moi. Qui suis-je ?
  Où est-ce que je me trouve ?
  Au bord de la mer. Un bateau flotte sur le miroir du ciel. Les baleines voguent dans la mer des nuages.

   Était-ce ce chant ?
  Était-ce leur chant ?
  Où es-tu ?
  Moi, je marche sur l’eau.


Je marche longtemps, sans savoir où je suis, où je vais, ni où on a rangé mes souvenirs. Je marche jusqu’au village qui flotte sur la Mer Céleste. Ce qui me frappe en premier, ce sont les faciès bizarres des habitants. L’un a la peau rugueuse, comme une coquille abrasée, sa voisine le visage lisse de la nacre, un autre un tentacule flasque en guise de bras, le corps poreux d’une éponge ou un récif implanté sur le crâne. J’ignore comment je reconnais toutes ces formes, car la mer s’est tarie d’où je viens et ses fruits se sont éteints.
— Eh Pleutor, vise-moi un peu ça !
— Nom d’un poisson-pipe ! La demoiselle est entière…
Je bascule la tête pour jauger ceux qui jasent sur mon passage. Et sur une montagne de têtes sans corps, j’aperçois deux visages qui discutent, l’un bougon, l’autre snob. Leurs joues gangrenées d’écailles et d’appendices poisseux, tels des pattes ou des bras qui auraient refusé de croître.
À mon tour, je dévisage les répugnantes caboches.
— Au lieu de jacasser, faces de crabes, vous auriez pas l'amabilité de me dire où je suis ?
J’ai parlé sans buller.
— Diable, la demoiselle s’est égarée !
— Pour sûr, Pleutor, pour sûr. Elle a triché, cette morue !
L’étonnement me submerge, au point que je m’y noie presque.
— Triché ?

Puisque les deux compères refusent de s’expliquer, je les ignore ; feignant de mettre un terme à cette discussion de mon propre chef, alors qu’au fond de moi, je crève d’envie de savoir. Alors que je ne sais rien. Mon esprit : une page blanche.
Je m’aventure dans les ruelles du village, qui se découvre pas après pas par-delà l’épais brouillard des nuages. Le coton ambiant engloutit chaque façade, chaque toiture, et c’est comme si le paysage s’effaçait à mesure que je progresse, sans repères.
Je l’appelle au hasard :
— Volodia ?
Et un banc de gigantesques carpes aux écailles colorées se faufilent dans l’allée pour me barrer le passage.

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