3.3) Volodia
En dépit du crime que j’avais commis, les cart’os m’offrirent le gîte et le couvert, à condition que je prouvasse ne pas être une espionne à la solde de Néon ; mais le fant'eaume dans la bonbonne en disait déjà long. Ils se présentèrent tous trois comme les gardiens d’Ekö, conglomérat des cartographes autrefois estimé, désormais oublié du commun de Soltræk. Parce que leur triumvirat reposait sur un équilibre sans faille, chacun m’imposa son propre prérequis.
Licorne, le plus jovial, exigea simplement que je satisfasse sa curiosité, en dévoilant les traits de ma compagne d’aventure. Sans prendre la peine de m’expliquer, je gonflai alors la combi de caoutchouc sous leurs regards mi-ébahis mi-perplexes et versai dedans ma chère Sakineh. Elle les salua timidement, en silence, sans doute par crainte de buller – ou bien peut-être de peur que je l’eusse trahie – mais les trois gardiens se montrèrent bienveillants et lui firent bon accueil, frappés sans doute, comme moi, par sa beauté aqueuse, sa pureté évidente, et le respect curieux qu’inspirait sa stature de lycéenne instruite. Au frais dans la baraque, me disais-je, les ballons ne risquaient rien.
Les exigences de Wendigo s’avérèrent moins clémentes que celles de son confrère. Elle insista, quasiment menaçante, pour que je me défisse des implants qui me défiguraient. Avec le recul, désormais, j’imagine qu’alors elle entendait prévenir toute manœuvre de Néon, quelque dispositif qui aurait pu permettre qu’on retrouvât ma trace. À cette heure, je tremblais, mais n’avais d’autre choix que d’accepter le deal. Elle s’occupa elle-même de m’arracher la face et de combler de glaise les larges fissures laissées par les implants. J’ignore si j’en souffris, ni à quel point. J’avais toujours eu mal, et cette torture-ci ne serait de toute évidence pas la quintescence de mon tourment – il me restait tant à déguster ! Je me consolais tout de même, grâce au regard inquiet de Sakineh près de moi : elle avait formé ses yeux, soucieuse que je pusse y lire toute sa compassion, ou du moins l’espérais-je. Le fard boueux se teintait de mon sang sucré, et tous furent convaincus que le rouge était la couleur de mon âme ; moi je les laissais dire, je m’en fichais un peu.
Le supplice terminé, ce fut au tour d’Ourson d'énoncer sa requête.
— Je veux que tu entres dans la garde d’Ekö, dit-il. Tu apprendras, comme nous autres, la cartographie. Tu obtiendras l’armure et les crayons de ton choix. Tu auras notre grade, même, si il te plaît. Libre à toi ensuite de nous quitter, si tu le souhaites. Grâce à notre savoir, tu seras en mesure de trouver ton chemin jusqu’à la Mer Phtisique. Mais je dois t’avertir : l’instruction des cart’os a un prix. Un tribu que chacun à Ekö verse sans rechigner, dès qu’il devient adulte. Mais toi voyageuse, en auras-tu le courage ? Une drôle de force sommeille en toi. Une force trompeuse : l’audace du rien-à-perdre. Mais qui n’a rien à perdre y laisse souvent la vie…
— J’ai quelque chose à perdre, l’assurai-je.
— Soit. Tu t’ouvriras le ventre et t’arracheras une côte. Tel sera ton tribu.
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