3.11) Volodia

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Nous sortîmes de la Cité par une petite porte dérobée, à l’est des remparts, que seule la garde connaissait et dont l’accès était libre à cette heure. Elle n’était pas fermée, alors Sakineh m’entraîna au travers. Nous pénétrâmes alors une étroite galerie, creusée en travers de la falaise. Je m’émerveillai de la légère humidité des parois de la caverne, devinant qu’il s’agissait là d’un trésor, jalousement gardé par le peuple des cart’os, en prévision d’une pénurie. Peut-être était-ce également la raison pour laquelle ils toléraient le crime impie qui, à Néon, m’aurait valu d’être broyée en sucre d’orge.

L’artère rocheuse terminait en cul-de-sac, par un rocher poli, légèrement argileux, sur lequel se creusaient par dizaine les formes de mains de ceux qui l’avaient tâté. Sakineh me fit signe, maladroite dans sa peau ballonnée, et j’approchai, croyant qu’il s’agissait de la merveille qu’elle voulait me montrer. J’apposai mon empreinte au milieu des autres, sur la surface spongieuse. Aussitôt, je sentis la pierre coulisser, d’un centimètre, peut-être moins. Au sourire pétillant que m’adressa Sakineh, le visage parcouru par une giclée de bulles, je devinai que la surprise, là vraie, se trouvait par-delà la paroi amovible et je poussai le battant primitif.

Dehors, la nuit sombre nous enveloppa d’une sensation nouvelle — je crois partagée. La mollesse que je n’avais connue jusqu’alors qu’entre mes chairs, attendrissait maintenant mes parties les plus sèches, de ma proue nasale jusqu’au bord de mes ongles, à mes genoux cagneux, à ma bouche fissurée. Une sorte de tiédeur moite dans l’air ambiant me collait à la peau. Quand mes yeux se furent habitués à l’obscurité et à l’atmosphère pâteuse, seulement, je distinguai le paysage qui devait m’émouvoir. La plage.

C’était un peu comme Mireille l’avait décrit : le sable humide était plus compact qu’ailleurs dans le désert, des éclats blancs ou colorés dépassaient çà et là et il y avait de l’eau, quelques centimètres à peine, stagnante et sans doute imbuvable ; mais de l’eau, de la vraie ; de l’eau d’ici-bas qui ne venait pas du Ciel.

Mais ce n’était pas la plage. Cela, Ourson me l’apprendrait plus tard. C’était-là le serpentin d’un fleuve à l’agonie, presque à sec ; pas l’Océan maudit dont tout Soltræk narrait les funestes dangers, mais l’un de ses longs bras désarticulés, comme les membres que l’on détricote sur la Fileuz de l’arrière-boutique.

Pour l’heure, je l’ignorais, et je m’extasiais que l’eau semi-croupie n’eût pas le teint de rouille que l’on disait impropre, que la surface ne frémît pas d’un bouillonnement putride, que quelque chose gigotât sous son miroir opaque et échappât à mes yeux ébahis.

— Ce que c’est beau, lâchai-je tout ébaubie. Il y a de la vie, là-dedans ?

De peur peut-être de me faire rire – le dictionnaire complet déformé par ses bulles – Sakineh, pour seule réponse, pointa du doigt, dans l’ombre, un méandre plus large, encombré d’alluvions. Ce souvenir reste intact, dans ma mémoire grignotée par la gale du temps.

Là, dans la merveilleuse flasque, se mouvait une bande d’oiseaux aux longues pattes : des échassiers. J’en avais vus, jadis, dans un livre. Ce souvenir-là aussi restait gravé, à vif, sur mon âme écorchée : juste après, le cadavrier avait emporté le corps racorni de Mireille ; juste après, la bibliothèque – trésor dont elle jouissait davantage que de ma langue – était partie en fumée.

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