C’est une solide forêt ardennaise, des lignes d’épais épicéas noirs interrompues par de hauts et maigres pins sylvestres, des petits chênes râblés et de jeunes bouleaux à la jolie écorce laiteuse. Le fossé assorti, blanchi par d’innombrables anémones. Il y a aussi les fougères, belles, arrogantes, joyeuses, elles en ont vu d’autres, elles datent de l’époque des dinosaures. La petite route se hisse en virages serrés sur le massif. Le tournant des Virelles précède celui des Haut-Sahis et celui du Bafort, là où les trois jeunes s’étaient tués contre le muret de pierres, il y a longtemps déjà. Le temps passe. Faut pas rouler trop vite. Alors elle est prudente, elle tournicote en douceur pour franchir la montagne usée, rien de hautement vertigineux, pas de quoi branler un alpiniste. Une route typique de cette Ardenne qu’elle aime tant. Des rivières à la sauvagerie modeste, des orchidées rares, mais petites, des castors réimplantés que l’on rêve d’empoisonner, le retour imaginaire de quelques loups que personne n’a encore vus, de gros sangliers boueux et de petits chevreuils graciles. Des villages isolés aux maisons tassées. Beaucoup de chômeurs et d’alcooliques qui pêchent la truite quand ils ne jouent pas sur leurs consoles machin, qui boivent leur Jup et tunent leur bagnole en rêvant de s’offrir un quad. Rien de particulier. Des bagarres aux bals de village. Des bûcherons maladroits blessés par leurs grosses tronçonneuses orange. Des collisions frontales avec des chauffeurs bourrés. Quelques suicides parfois, des pendus en général.

Non, rien de particulier. C’est le passé qui va semer le trouble.