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Décembre 1975

Pour une fois, Jacqueline confie à Fernand le petit qui est un peu fiévreux, elle doit descendre ce matin sur la France pour ramener le vin, le fromage ainsi que les homards qu’elle a commandés. Elle et son mari reçoivent pour la Saint-Sylvestre ! Il y aura son frère Francis et sa fiancée, la délicate Bernadette. Il y aura le Beau Thierry et sa dernière conquête, une fille de Namur. Il y aura aussi un collègue de Fernand à la banque dont l’épouse est une amie à elle, cela tombe bien. Jacqueline a relu le chapitre « comment placer les invités à table » du Guide du savoir-vivre que sa belle-mère lui a offert. Ils déposeront le petit chez ses parents, ainsi s’ils décident de sortir après le repas et si la météo le permet, ils seront libres bien que Jacqueline se sente fort fatiguée. Un peu de retard, de vagues nausées aussi. Elle préfère ne pas en parler à Fernand. Elle préfère même ne pas y penser. Quand c’est que vous lui donnez un petit frère à ce pauvre gamin ? Son beau-père s’enquiert systématiquement d’une nouvelle grossesse après l’apéritif dominical, sans manquer d’effleurer les fesses de Jacqueline qui présente dignement le plateau des zakouskis. Le père de Fernand était banquier lui aussi, comme son fils, gérant de la BBL de Baulà, comme son fils. La mère de Fernand n’a jamais eu besoin de travailler, comme Jacqueline. Les parents de Fernand ne peuvent qu’approuver le mariage de leur fils avec une femme aussi dévouée, une fille de petits fermiers, m’enfin son frère est quand même médecin et bientôt chirurgien.

Jacqueline roule prudemment. Il a neigé la veille. La route a été déblayée et les ouvriers communaux ont jeté du sable côté belge. Il faut espérer que ce sera aussi bien dégagé côté français. Fernand a insisté pour y aller, il conduit mieux qu’elle. Jacqueline s’est entendue refuser avec une détermination dont elle a été la première étonnée. Elle veut choisir les fromages elle-même, vérifier la qualité des homards (l’œil noir et brillant – page 122 du Manuel). Et zut, elle sait conduire, aussi bien que lui et re-zut à la fin. Fernand est resté bouche ouverte avec le petit dans les bras. Je suis là dans moins de deux heures. Je l’ai changé, il a eu son biberon, garde-le près de toi pour surveiller sa température et puis ne le laisse pas pleurer, pour une fois. Elle est partie et a même claqué la porte, sans le faire exprès, un courant d’air, le hasard.

En sortant du village, Jacqueline salue le douanier qui a l’air frigorifié dans sa cahute. Pourvu qu’il ne l’enquiquine pas pour six bouteilles de vin au retour. La route s’enfonce dans le bois. Il y a des traces de gibier sur le côté dans la neige. Jacqueline n’est pas inquiète, elle a des chaînes dans le coffre et contrairement à ce que croit son mari, elle sait se débrouiller, elle conduisait déjà le tracteur à la ferme quand elle n’avait pas dix ans.

Il est treize heures. Le petit a faim, Fernand s’énerve. Où reste donc Jacqueline ? Pourvu qu’elle n’ait pas abîmé la voiture. Il emmitoufle son fils dans une couverture et se décide à aller sonner chez les Flamands qui résident dans la maison à côté, le temps des fêtes. La voisine pourrait garder le petit au chaud et même lui faire une panade tandis que le voisin l’accompagnerait à la rencontre de son épouse.

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