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Avril 1976
Chantal chante en roulant dans sa nouvelle Deux-Chevaux jaune citron. Elle a revendu la Porsche et le mec qui allait avec. Les voitures, ça roule, c’est fait pour. Liberté chérie. À qui ici pourrait-elle avouer qu’elle préfère Patti Smith à Johnny ? Elle se demande pourquoi elle revient encore passer son week-end dans ce trou paumé. Elle a peu à peu espacé ses retours, elle ne rentre plus qu’une fois toutes les deux ou trois semaines. Depuis les disparitions, les gens qui n’ont jamais été bien malins ont ajouté une couche de hargne à leur bêtise. À la boulangerie, à la boucherie, elle entend des commentaires qu’elle feint d’ignorer, elle s’habille trop court, sourit trop fort, a le bouillant aux fesses trop hautes…
Ses parents vieillissent, ils semblent heureux de la voir rentrer au bercail. Le sont-ils ? Ils sont les premiers à lui conseiller de ne pas écouter les médisances. Pourtant elle se doute qu’ils la préféreraient mariée à un gentil gars du coin en train de pouponner des petits blonds qui fréquenteraient l’école du village et iraient se cacher dans leur grand verger. Diable, ce soir, elle a vingt-cinq ans, ça y est ! elle coiffe la Sainte-Catherine ! Elle ne s’est jamais sentie aussi bien. Elle sort. Sa mère la presse, ne rentre pas seule, il y en a déjà deux qui ont disparu en voiture. Elle n’a pas peur, elle est « la dame dans l’auto avec des lunettes noires et un fusil » ! Chacun suit sa route ou son destin, mais je ne suis que pierre et je roule. Elle veut danser. Elle veut se frotter aux jolis garçons du coin, le docteur Francis, le Beau Thierry et les autres. Chantal veut rire, Chantal veut vivre et Chantal emmerde le qu’en dira-t-on.
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