La livreuse
Pascale ouvrit la porte du fourgon en renâclant. Le frottement métallique du battant coulissant dévoila une montagne de cartons emmaillottés de scotchs colorés. Elle vérifia sur sa feuille. Ces deux cartons là pour le 48. Elle les chercha à tâtons, aveuglée par la buée qui venait de se former sur ses verres épais. Elle les soupesa. Encore des idiots qui avaient pris d'immenses boîtes pour un tout petit... Objet. Ses pensées avaient buté sur le mot. C'est vrai ça, c'était quoi là-dedans qu'elle livrait chaque jour à cette même adresse ? D'une main, elle claqua la porte tandis que de l'autre elle jouait à l'équilibriste avec les paquets. Une sonnette stridente se fit entendre lorsqu'elle posa un index boudiné sur le bouton à côté du portail. Un instant. Elle essuya ses ongles noirs de crasse sur son blouson sans manches bleu. Une tête surprise apparut à la fenêtre de la porte d'entrée.
" J'ai ça pou' vous."
La tête disparut un instant, remplacée par un cliquetis dans la serrure. Pascale fouilla dans sa poche à la recherche d'un stylo et dégaina un petit bic rose à paillettes, ignorant la tête de la fenêtre vissée sur son corps qui approchait.
"Bonjour !" lança l'habitante en arrivant à sa hauteur.
"Bjou'. Faut m'signer là, et une aut' derriè'."
Elle détailla le petit bout de femme qui attrapait le formulaire pour le remplir. De longs cheveux blonds et ondulés, une taille fine, un sourire de travers mais sûrement charmant. Pascale mâcha l'intérieur de sa joue pour dissimuler son impatience. Elle avait encore un fourgon plein de cartons et il était hors de question qu'elle abandonne sa pause clope. L'autre releva le stylo et le lui tendit avec les papiers.
"Et voilà pou' toi." Elle lui donna les paquets puis fourra le papier signé dans sa poche. "Allez, bonne jou'née."
L'habitante fit volte-face et emporta ses cartons. Pascale frotta son crâne aux cheveux décolorés. Que pouvait bien faire cette fille avec ses deux cartons par jour ? Elle jeta un oeil à sa montre : sa tournée prenait du retard. Tant pis pour sa pause clope. Elle fit le tour de la camionette, se hissa sur le siège conducteur en gémissant et sortit son paquet de malboro. Une fois le tabac entre ses lèvres retroussées, elle sortit son briquet et alluma le bout du batônet en louchant. Après un dernier regard vers la maison qu'elle venait de livrer, elle se remit en route dans un nuage de fumée.
"Mais qu'est-que y'a, tous les jou', dans ces ca'tons..." se demanda-t-elle une fois le 48 hors de vue.
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