Vendredi - La Symphonie de la Vie (partie 1/2)

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 Les coulisses emplies de l'odeur familière des costumes usés et du bois ancien, étaient plongées dans une obscurité feutrée, éclairée seulement par quelques rayons de lumière s'échappant des interstices du rideau de velours rouge. Chaque murmure, chaque mouvement, amplifiait le trac qui envahissait la jeune femme debout au centre de la scène.

 Marie, une artiste de scène renommée, se tenait là, ses doigts fins tremblant légèrement alors qu'elle ajustait les cordes de son violon. À travers les lattes de bois, elle pouvait distinguer les visages impatients du public, une foule dense dont l'attente silencieuse résonnait comme une pression invisible. Le souvenir de ses débuts, lorsqu'elle n'était encore qu'une enfant avec un violon trop grand pour elle, envahit son esprit.

 Elle se revit, à dix ans, dans le salon exigu de l'appartement familial, jouant maladroitement sur un violon bon marché sous le regard bienveillant de son père. Ses premières notes étaient hésitantes, parfois dissonantes, mais toujours pleines d'une passion brute et sincère. Son père, un musicien raté, avait trouvé dans son talent naissant une rédemption qu'il n'avait jamais atteinte pour lui-même.

 « Marie, chaque note doit venir de ton cœur », lui répétait-il sans cesse, ses yeux bruns brillants d'une fierté qu'elle ne comprenait pas encore.

 Les années avaient passé et elle était devenue une prodige. Les petites scènes des festivals de quartier avaient fait place aux plus grands théâtres et salles de concert du pays. Le public avait grandi avec elle, suivant son ascension fulgurante avec une admiration sans bornes. Pourtant, ce soir-là, alors que les rideaux s'ouvraient lentement sur une scène baignée de lumière dorée, le trac qu'elle croyait avoir maîtrisé la submergea à nouveau, plus intense que jamais.

 Les premiers applaudissements éclatèrent comme un orage distant, réveillant en elle une détermination renouvelée. Elle inspira profondément, fermant les yeux un instant pour calmer son esprit tourmenté. Les bruits s'atténuèrent, remplacés par les souvenirs des concerts passés, des moments où la musique s'écoulait en elle comme une rivière tranquille, emportant avec elle tous ses craintes et ses peurs.

 Le rideau se leva enfin, dévoilant une artiste plus résolue que jamais. La lumière des projecteurs l'enveloppait, illuminait son aura ; elle semblait la Déesse de la musique. Elle salua brièvement, ses gestes gracieux et élégants. Puis, levant son archet, elle laissa les premières notes s'échapper de son violon, un prélude délicat et mélancolique qui semblait suspendre le temps.

 À mesure que la mélodie s'élevait, les souvenirs de ses débuts se mêlèrent à la réalité du moment présent. Elle revit les nuits blanches passées à répéter sans relâche, les critiques acerbes qui avaient forgé sa détermination et les applaudissements fervents qui l'avaient encouragée à chaque étape de son parcours. La musique devenait une toile sur laquelle elle peignait son histoire, chaque note une couleur, chaque démanché une émotion.

 L'angoisse initiale disparut, remplacée par une sensation de plénitude. Le solfège, comme un fil invisible, la reliait à son public : un lien intangible, mais puissant. Elle jouait pour eux, mais aussi pour elle-même, pour ce père disparu trop tôt qui avait cru en elle dès le premier jour. Chaque mouvement de son archet était une déclaration d'amour à la vie, à la musique, à ceux qui l'avaient accompagnée dans son voyage.

 Et alors que la dernière note s'évanouissait dans le silence respectueux de la salle, elle ouvrit les yeux, rencontrant les regards émus de son public. Les applaudissements qui suivirent résonnèrent comme une vague, un raz-de-marée balayant les derniers vestiges de son anxiété. Elle sourit, sentant une paix profonde l'envahir. Pour la première fois depuis longtemps, elle se sentit entière, elle-même.

 Les années avaient filé à une vitesse vertigineuse. Désormais dans la quarantaine, elle avait vu sa carrière, telle une alpiniste chevronnée, atteindre des sommets inimaginables. Les plus grandes salles à travers le monde se remplissaient à guichets fermés, chaque représentation un triomphe. Les critiques louaient sa technique impeccable, sa sensibilité musicale et l'émotion brute qu'elle parvenait à transmettre. Les foules l'adoraient, ses fans lui vouant une admiration presque dévotionnelle.

 Sur scène, son art résonnait avec une intensité nouvelle. Les tambours et les percussions vibraient dans son âme, chaque note aiguë perçait l'air comme une flèche. Les graves traçaient dans le cœur et les âmes un poème fabuleux, la cible de cupidon, l’objectif de cette flèche. Ses concerts étaient des spectacles envoûtants, chaque performance un voyage. Les projecteurs dansaient sur elle, éclairant son visage concentré et ses mains agiles, tandis que l'orchestre l'accompagnait dans une symphonie parfaite.

 Mais avec la célébrité vint une vie de faste et de luxe. Elle se retrouva plongée dans un tourbillon de soirées somptueuses, de dîners exquis et de voyages exotiques. Les robes de créateurs, les bijoux étincelants et les hôtels de luxe devinrent son quotidien. L'alcool coulait à flots, les fêtes s'étiraient jusqu'à l'aube et le monde entier semblait à ses pieds. Chaque soirée était une célébration de son succès, mais au fond d'elle-même, elle sentait un vide croissant.

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