Spigaou

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Je les sens.

Je les entends.

Je sais qu’ils sont là, tout près de moi, mais je n’ose pas balayer du regard les alentours. J’aimerais voir à quoi ils ressemblent de mes propres yeux et plus seulement à travers les récits fantasques, et douteux, de ceux qui composent ma famille. Ils ne sont à mes yeux qu’une légende bien trop réelle, une légende que je suis condamné à fuir. Je lutte contre la curiosité qui me pousse à les chercher du regard, parce que je sais que, dès lors que mes yeux rencontreront les leurs, il en sera fini de moi. Si les récits des rescapés étaient véridiques, alors nos ennemis sans nom, ni visage, étaient coriaces. Quand ils vous avaient remarqué, quand ils avaient décidé que vous seriez leur prochaine victime, alors il vous suivaient et s’accrochaient à vous puis remontaient votre trace jusqu’à vous avoir, comme les spigaou, qui élisaient domicile sur vos habits lors des ballades dans les champs quand les beaux jours pointaient le bout de leur nez puis, qui remontaient vers vos points faibles pour s’infiltrer en vous.

Ma grand-mère, Oma, me disait tout le temps que si on ne pouvait pas voir, on pourrait toujours sentir ou écouter. Mais ce n’était pas la seule chose que l’ancienne me disait, elle qui, dans sa jeunesse, avait connu l’arrivée de l’envahisseur. Les récits d’Oma étaient les seuls auxquels j’apportais du crédit, parce que j’avais confiance en elle et en ses paroles. C’était la dernière de sa génération, car tous avaient été emportés par les traqueurs, les maladies, ou bien le temps. Cette dernière m’avait appris que leurs sens semblaient moins développer que les nôtres. Ils se servaient principalement de leur vue délaissant alors les autres sens, pour notre plus grand bonheur. Seule, la vue n’est pas utile quand elle n’est que peu développée, mais dès lors que vous lui associez l’odorat et l’ouïe, vous pouviez être sûr d’être un chasseur redoutable. Depuis, au sein du groupe de survivants, nous avions mis en place des séances d’entraînement intensif pour préparer les plus jeunes en cas d’attaque.

Ne pas voir.

Entendre sans faire de bruit.

Sentir sans laisser son odeur.

Discrétion et rapidité.

Ils étaient arrivés sur notre territoire il y a moins d’un siècle de cela. Avant, notre monde n’avait pour problème que les frontières et les petits délinquants qui s’amusaient à défier les lois communes à tous. Nous vivions en harmonie. Oma me disait que nos chefs avaient naïvement cru que ce nouvel arrivant serait un allié, qu’il respecterait nos lois, nos vies, ainsi que notre territoire. Mais il s’en est avéré tout autre. L’envahisseur semblait avoir en tête que le monde lui appartenait, qu’il en était maître, et que nous n’étions que de serviteurs dont il faisait ce qu’il voulait pour seule raison qu’il ne nous comprenait pas, que nous étions différents de lui, qu’il se croyait plus intelligent, supérieur. Pour preuve, ils ont commencé à détruire notre habitat à l’aide de machines étranges et bruyantes qui nous en rendait presque sourds. Ils nous ont ainsi obligés à nous déplacer, nous qui n’étions pas fait pour être des nomades y étions contraints. La meute voyait ainsi son territoire réduit de jour en jour sans rien pouvoir faire d’autre, piégés dans le rôle de spectateurs. Selon l’ancienne, certains avaient essayer de tenir tête, mais ils auraient étaient broyés par les machines avant même d’avoir pu esquisser un mouvement. Les autres ont alors abandonné, depuis nous nous contentons de survivre. Opa, mon grand-père, serait parti affronter ces envahisseurs. Il n’est jamais revenu. Je revois ma grand-mère, assise près de moi, me disant, avec un sourire triste aux lèvres, qu’il était plus heureux là-haut, que survivre ne lui convenait plus, qu’il voulait vivre ou mourir. Il était mort.

Si seulement ils s’étaient contenté de grignoter notre habitat comme une souris devant un morceau de gruyère, mais non, ils ne s’en étaient pas contentés, loin de là. Les choses auraient été trop simples ainsi.

Nous chassions, l’envahisseur aussi.

Il tuait les plus petits que lui pour manger, nous aussi.

Il était vrai que dis comme cela nous n’étions pas si différent, mais il y a un détail, qui n’en était pas un, qui faisait que nous ne sommes, et ne serons jamais comme lui, c’est que nous partageons. Mon peuple avait toujours fait en sorte de ne pas tout prendre, de ne pas s’approprier la nourriture qu’avait à offrir la forêt. Cela aurait été une chose incongrue. Pourtant, ils le faisaient.

Sans aucune gêne.

Sans aucun remord.

Sans aucune pitié.

Il paraîtrait que, tout comme nous, ils ne vivent pas seuls, mais regrouper en différents clans. Par conséquent, ils ne sont jamais seuls lors de leurs parties de chasse et cela les rends plus difficiles à attaquer. D’autant plus qu’ils seraient équipés, selon Oma, d’objets capable d’achever le plus fort des nôtres en un coup.

Un seul mouvement de leur part.

Une seule pression sur une gâchette.

Un seul cadavre, celui d’un de nos guerriers.

Seuls, ils ne sont pas redoutables, loin de là. Ils sont presque aussi inoffensifs que des écureuils.

Pas assez rapides pour nous attraper.

Pas assez forts pour nous blesser.

Pas assez malin pour nous piéger.

Pas assez entraînés pour nous repérer ou nous suivre.

Selon les légendes, ils seraient suivis par des êtres nous ressemblant étrangement, des cousins éloignés qui auraient finis sous leur emprise d’après Oma. Ces « cousins » auraient les mêmes capacités que nous, ce seraient donc eux qui feraient la totalité du travail lors des traques.

Eux qui nous repèrent.

Eux qui nous traquent.

Eux qui nous coincent.

Eux qui nous blessent avant que leurs maîtres ne nous achèvent.

Mais leurs conditions de vie ne seraient pas mieux de ce que j’ai pu en comprendre. L’ancienne m’a dit avoir croisé à de nombreuses reprises leur regard. Ils sont vides, sans vie, comme si l’on avait éteint la flamme qui illuminait leur regard pour mieux qu’ils obéissent. C’était sans aucun doute efficace puisqu’ils étaient des chasseurs et guerriers redoutables, même face à nous. Nous avions une chose qu’ils ne pourront pas nous enlever, notre liberté.

C’est alors qu’un craquement de brindille me sortit de mes pensées, me forçant à sortir de ma cachette pour me mettre à courir plus vite que jamais. Je tournais la tête pour jeter un coup d’œil en direction de celui qui me poursuivait, c’était un envahisseur, et j’eus juste le temps de voir qu’il ne se tenait que sur deux pattes avant de me remettre à courir en entendant le son de sa voix. Je n’avais pas compris ce qu’il avait dit ce jour là étant donné que nous n’avions pas le même moyen de communication, mais j’avais le pressentiment que ça n’allait pas être bon pour moi si je traînais, alors j’avais pris la décision de courir sans m’arrêter.

« Un loup, là-bas ! Vite, Paul, il va nous échapper ! Tire-lui dessus, VITE ! ».

Voilà les mots qui avaient été criés, ceux qui avaient résonné dans la forêt et qui tournaient en boucle dans ma tête depuis ce jour, sans que je ne puisse en comprendre le sens.

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