Zorg flatula une onde contrariée. Bien sûr, la fouille galactique de ce secteur était sa responsabilité et oui, cette maudite planète figurait sur la liste des corps comestibles que fermentait lentement la vie organique. Mais comment aurait-il pu prévoir que les êtres primaires qui l’habitaient seraient capables de la ravager en si peu de temps ? Le Gritch sera furieux lorsqu’il l’apprendra. Il allait exiger des explications… Zorg ulcéra la scène dans le nuage d’héliumite qui lui servait de centre nerveux et se shiatsut. Twirf avait intérêt de décoder le fragment de données ou c’en était fini de leur trou de ver à tous les deux, exsuda-t-il en se dirigeant d’un papillon quantique vers le laboratoire.

Plus rien. Il ne restait plus rien à ingérer de la culture de cette planète. Terres brûlées, océans empoisonnés, souches bactériennes décimées… Il fallait tout de même concéder à ces êtres encéphalogrammaires un certain succès dans le gaspillage total de leur environnement. Encore heureux que les détecteurs antidiarrhéiques aient pu sniffer ce minuscule fragment de disque. C’était leur dernier espoir. L’être qui avait réussi à préserver ce seul et unique artefact de sa civilisation devait être une vermilarve importante. Avec un peu de chance, son scribayessage fournirait une explication, une excuse derrière laquelle il pourrait se protéger de la colère de Gritch. En tout cas, c’était ce que préjouissait Zorg en frétillant des bulbes.

Lorsqu’il souleva la couche d’abcès sonique qui menait au laboratoire, il trouva Twirf, comme à son habitude, en train de se rincer les récepteurs olfactifs de puanteur zérotique moissonnée sur Cosmonet. Quelle triple mortadouille, suinta Zorg. Il ne mesure pas la gravité de la situation l’imbacille. Heureusement que ce petit chiantifique était doué.

– Alors, on est où avec le décodage du fragment ? liquéfia-t-il.

– C’est compliqué, Gerbéral Zorg, mais on a réussi à décrypter certains éléments, fistula Twirf.

Sacramouilla ! dégorgea Zorg silencieusement.

– Pour commencer, égoutta Twirf, j’ai découvert que le scribayessage était stocké physiquement en binumaire et que…

– Quoi ? éjacula Zorg, vous voulez dire qu’ils n’ondulaient pas en base bosonique ?

– Non, mon Gerbéral. Vous lyophilisez qu’il s’agit d’une forme de vie très primaire dont l’intelligence n’a pas dépassé le seuil d’encultement universel.

– Bon, bon. Égouttez.

– La séquence binumaire de « là/pas là » ne sert qu’au stockage. Mais pour interpréter leur baverbiage primitif, il faut la découper en notions archétypales de lexèmes préondulatoires et alphabétisants sous contrainte de cékoidon en phase…

– Twirf ! dégueula le Gerbéral d’un spectre multicolore, épargnez-moi votre wikipédia et venez-en au fait, étron à particules !

Le nuage de Twirf fuita un reniflement contrit d’hélianthine.

– Nous avons réussi à tracer les ondes élémentaires qu’ils ont émises dans le Bordel-Stellaire, moucha-t-il. Le résultat est… étonnant, mon Gerbéral.

– C’est à jouir ? masturba Zorg.

– Hé bien c’est à jouir que la séquence contient exactement… Mille moins un hapax, exhala Twirf incertain.

– Mille moins un hapax, vous en êtes sûr ?

Zorg sentit ses neutrons se crisper et son nuage ondula d’un vert de bromocrésol iridescent. Mille moins un hapax… La constante Marketationnelle universelle ! Ce ne pouvait être une simple spatiocidence. Il fallait absolument qu’il décrypte ce scribayessage s’il ne voulait pas finir en antimatière par la némésis de Gritch.

– Mon Gerbéral, souhaitez-vous que je l’expose dans le spectre anecdotique ? tralala Twirf.

– C’est quoi ça, encore ? zinzinula Zorg.

– Son sens nous échappe pour le moment, mais en recoupant les données de nos dialyses vectorielles, nous sommes parvenus à reconstituer le scribayessage tel qu’il apparaissait aux organismes presquetelligents de la planète. Je vous préviens, il faut onduler sur une zone de fréquences très réduite pour l’observer.

Sans laisser à Zorg le temps d’éructer, Twirf frictionna plusieurs métaorifices et le tentacule de projection se raidit. Après plusieurs va-et-vient gazeux, son nuage et celui du Gerbéral déchargèrent une foudre épicycloïde attentive, tandis que le scribayessage grésillait sur la spectromatrice :

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« Salut bandes d’aliens ! Putain c’que c’est tordant d’se dire que c’est moi qui vais vous écrire Ze dernier message de l’humanité du monde ! Hic C’est qui qu’a gagné ? C’est qui le boss ? Hein ? C’est Gégé ! Hé ouais. Tous niqués, ch’uis le last one mon pote ! Hic Gégé, « technicien de surface » de la Nasa comme ça dit sur mon badge, pour vous servir.

J’regarde le compte à rebours… Putain, y’a même plus l’temps d’chialer alors je préfère en rire, tu m’suis Roswell ? Heureusement qu’i’m’reste c’te bouteille de sky sinon j’me s’rais foutu en l’air avant l’heure. Ah, ah. Elle est bonne, celle-là, non ? Hic Si j’avais eu l’choix, j’aurais préféré baiser une dernière fois, mais y’a plus qu’moi de toute façon. Moi, ma bouteille et cette salope de machine qui m’f’ra passer à la postérité après le Big Bang final. Hic Tout c’qui m’reste, c’est une poignée d’minutes et 999 mots pour te raconter la vie, E.T. Mais t’emballe pas Jabba, j’ai pas l’prix Nobel et j’ai pas l’temps d’être intelligent. Alors ça va sortir comme ça pourra. Hic Et j’sais même pas si ça pourra, c’est pour dire. En tout cas, compte pas sur moi pour t’expliquer l’cataclysme et toutes ces conneries de bombes à fusion d’ta mère qu’on a tout fait péter et qui restera plus rien…. Hic

Ah, on s’est pas loupé, c’coup-ci ! Et vas-y que j’te zigouille toute forme de vie sur la planète, Bam ! Dans ton cul Dame Nature ! Ça sert à rien non plus que j’t’explique comment j’en suis arrivé à être le dernier, ça d’vait être mon jour de chance, ah ah ! Hic Mais maintenant qu’j’suis là, j’vais squatter l’antenne jusqu’au bout, Gizmo, comme tout mec bourré bien relou qui s’respecte.

Tu sais quoi ? J’vais t’raconter des histoires drôles ! Putain, ouais, c’est ça ! Hic C’est justement parce que c’est la fin du monde qu’il faut s’poiler un peu, après, i’sera trop tard comme dirait l’autre. Bon, le rire c’est p’t-être pas un concept qui t’cause, i paraît qu’c’est l’prop’ de l’homme. Mais quand bourré comme moi tu seras, point de problème tu auras, hein Yoda ? Hic Merde, c’est con d’être tout seul dans des moments pareils, quand même. D’un autre côté j’suis peinard, j’fais c’que j’veux jusqu’au Bang de fin. Ah, deux secondes…

Voilà, j’suis rev’nu, fallait qu’j’aille pisser, ‘scuse, le martien. Non, je sais, tu vas dire que ça aurait pu attendre… Genre le mec, il va crever dans dix minutes et il se permet d’aller pisser. Ouais mais justement, j’ai pas envie de voir ma dernière heure arriver en m’inquiétant d’devoir serrer la main à Brigitte, tu piges ? J’veux profiter du pestacle, moi ! Hic

Donc, où j’en étais avec ces conneries ? Le chrono file, bon Dieu !

Ah ouais, les histoires drôles, le rire et tout. Bon alors j’suis pas philosophe non plus, pas d’chance Chewbacca. C’est un comble, mais j’vais pas t’expliquer pourquoi un truc est drôle, hein. Faudra qu’t’apprennes tout seul. Tiens, en parlant de comble, tu sais ce que c’est le comb’e du comb’e ? Hic C’est quand un muet dit à un sourd que deux aveugles les espionnent ! OK, attends, j’peux mieux faire, Predator…

C’est trois aventuriers qui se font kidnapper par une tribu d’sauvages, genre cannibales. Le chef de la tribu demande au premier « La Chunga ou la mort ? ». L’aventurier répond « La Chunga », avec un espoir de s’en tirer. Et là, tout le village lui passe dessus, lui faisant subir les pires outrages. Le gars s’en sort, mais il est pas beau à voir. Puis le chef de la tribu revient pour poser la même question au second aventurier. Hic Prenant son courage à deux mains, il serre les fesses en répondant aussi « La Chunga ». Là, il se fait défoncer méchamment par tous les trous et subit les pires sévices. Les villageois le laissent exsangue, mais vivant. Enfin, le chef de la tribu revient vers le troisième aventurier qui a vu se dérouler sous ses yeux le calvaire de ses deux compagnons. « La Chunga ou la mort », demande-t-il. L’homme hésite, mais ne peut se résoudre à subir le même sort. Désespéré mais digne, il répond « La mort ». Et le chef de la tribu de déclarer « La mort, très bien. Mais avant, la Chunga ! »

Bon alors là, en théorie tu devrais pisser du slime dans ton froc, Elvis. Merde, j’aurais bien aimé voir ça ! Hic

Zut ! Il me reste plus beaucoup de place et surtout plus beaucoup de temps. C’est con, j’commençais juste à chauffer… Ah, si tu t’étais ramené avant, Albator, on aurait pu rigoler tous ensemble. C’est vrai, quoi ! Ça fait des plombes qu’on s’excite pour vous envoyer des messages les gars, merde, vous foutiez quoi dans vot’ hyperespace ? Ah bah c’est sûr, on n’en serait pas là. En plus, j’suis sûr qu’vous auriez eu plein d’trucs de ouf à nous montrer, hein les Snorky ? J’dis pas qu’c’est d’vot’ faute, mais c’est dommage. Ici le dernier truc à la mode c’était justement le dernier Star Wars, mais vous devez pas connaître ça vous, les Doryphores ? Ils ont des vaisseaux grands comme des planètes et des sabres laser et tout mon pote ! Si ça s’trouve, toi aussi tu t’balades avec pour faire tes courses. Bon, à vot’ santé les Ewoks ! Hic Profitez-en bien, mais j’ai peur qu’on vous ait pas laissé grand-chose. Pour la peine, une dernière devinette. Accroche tes tentacules, Cthulhu ! Hic

Quelle est la différence entre un canard ?

Aucune, il a les deux pattes de la même longueur, sauf la gauche !

C’était Gégé, en direct du grand barbecue de la fin du monde Hic Putain, ça commence à chauffer. Allez, vite, faut qu’je sauvegarde ce truc, roule ma poule, pouet pouet la zigounette ! »

=== * * * ===

Zorg et Twirf se grattèrent le cumulus d’hélium avec circonspection.

– Hé bien ? purula Zorg. Qu’est-ce que ça veut dire ?

– Je ne sais pas, mon Gerbéral, intuba Twirf. La désanthropisation est en cours. Mais j’occipute que la fin du fragment contient le pulsar de la question.

Zorg javelisa le concept de « CANARD » dans un tourbillon bleuté, tandis que Twirf passait la balayette sémiotique sur les dernières traces du scribayessage. La réponse du désanthropeur jaillit enfin dans l’hypermélasse et rinça leurs réfractions.

Deux phénomènes se produisirent alors avec une synchronisation génialoïde qui transcenda leur nuage héliumique : la compréhension totale et exacte du fragment de données et le signal de l’arrivée de Gritch.

Zorg et Twirf se diffractèrent une nanoseconde puis flatulèrent en cœur « protochiasse ! »