Paul était très gêné, mal à l’aise. La maîtresse l’observait. Il baissa les yeux et fixa ses pieds. Son institutrice le regardait toujours, répétant sa question :

• Paul, tes notes ont baissé, cela ne te ressemble pas, que t’arrive-t-il ?

Il resta muet.

• Paul, réponds-moi, que t’arrive-t-il ? essaya-t-elle encore.

L'enfant ne pipa mot. Découragée, la maîtresse soupira.

Même si Paul voulait le dire, il ne pouvait pas. Il prit ses affaires et sortit de la salle de classe en courant. Une fois dans la rue, il songea à l’incident qui avait forcé l’institutrice à lui parler.

C’était ce matin. En arrivant dans la cour de l’école, il s’était appuyé contre un arbre. Aussitôt, Bastien et sa bande s’étaient ramenés.

Bastien était un garçon costaud, méchant et très grand. Les autres garçons qui composaient sa bande étaient bâtis comme leur chef. Le petit garçon roux avait frissonné quand la brute l’avait coincé contre l’arbre. Bastien lui avait alors lancé :

• Alors moucheron, tu as apporté ce que je t’avais demandé ?
• Ouais, t’as le fric l’avorton ? s’exclama un des potes de Bastien.
• O… o… oui.
• Mais c’est qu’il bégaye le moucheron en plus, se moqua Bastien.

Paul avait alors posé son sac au sol et avait sorti son argent de poche.

Quelques secondes après, Bastien le lui avait arraché des mains en ricanant et l’avait partagé avec sa bande. Ensuite, il avait donné un coup de pied dans le genou de Paul, avant de s’éloigner en hurlant «looser » à l’adresse du petit garçon.

Ce dernier, énervé, était allé se planter devant la brute et lui avait répliqué qu’il n’était pas un looser. Bastien l’avait nargué en lui demandant si Paul voulait se battre.

Paul s’était alors jeté sur Bastien en lui donnant un coup de poing. Une bagarre avait éclaté entre les deux garçons. La maîtresse avait entendu le bruit de la bagarre de la salle de classe où elle se trouvait. Elle avait alors accouru et avait séparé les combattants.

Bastien avait le nez qui saignait et sa victime un œil bleu au beurre noir. La bande de caïds avait accusé Paul d’avoir provoqué Bastien et de l’avoir ensuite attaqué. La maîtresse avait envoyé la brute à l’infirmerie pendant qu’elle demandait à Paul qu’elle voulait le voir après la classe…

Maintenant qu’il y repensait, Paul se rendait compte qu’il avait encore mal à l’œil. Pendant qu’il était plongé dans ses pensées, le petit garçon avait marché jusqu’à la rivière.

Il ne voulait pas rentrer chez lui. Que dirait sa mère en le voyant rentrer avec un œil au beurre noir ? Est-ce qu'elle le frapperait ? Après tout, il avait fait croire que c'était son argent de poche, mais... cet argent, il l'avait volé dans le porte-monnaie de sa mère en pleine nuit.

Paul se leva des galets sur lesquels il s’était assis et se dirigea vers sa cachette secrète. Elle était située sous un énorme chêne, dont les racines avaient formé un refuge.

Le petit garçon se faufila entre elles. À l'intérieur, une canne à pêche sommairement fabriquée avec du fil, un bout de bois et quelques balles colorées.

Il sortit son goûter qu’il n’avait pas mangé à l’école de peur que Bastien ne le lui pique, et l’avala tout rond. Puis il posa son sac sur le sol et s’allongea.

La tête appuyée sur son sac, il essaya de se souvenir depuis quand ce manège avait commencé. Sans succès, il était trop fatigué.

Comme il était épuisé, Paul mit son blouson sur lui en guise de couverture. Puis éreinté, il ferma les paupières et sombra dans un sommeil rempli de cauchemars.

Le lenndemain, les policiers retrouvèrent sous les racines d'un arbre, près de la rivière, le corps sans vie d'un petit garçon recouvert de son blouson pour seule protection contre le froid de l'hiver. L'enfant s'était endormi pour ne plus jamais se réveiller.