Une visite impromptue
Quelqu'un frappe à la porte. Je m'empresse d'aller ouvrir.
À travers le Juda, je peux la voir, elle m'attend souriante. Je lui ouvre la porte sans perdre de temps, j'ai trop attendu.
« Salut toi. ». Elle entre et laisse traîner derrière elle un parfum de tabac froid qui me prend au nez. Je l'ai tant attendue, je ne savais pas quand elle se manifesterait, mais je savais qu'elle le ferait un jour.
Sans un mot, elle poursuit son chemin à travers mon petit appartement, regarde chaque recoin, s'arrête par moment mais ne semble pas être intéressée par moi. Elle se dirige vers la cuisine et je la suis. Elle vient s’asseoir sur la seule chaise de la cuisine, les jambes en tailleur sur son siège et daigne enfin m'adresser un regard. Elle sourit et par politesse (ou simplement parce qu'elle est jolie), je lui souris en retour.
« Tu as des questions à me poser n'est-ce pas ? demande-t-elle toujours le sourire aux lèvres.
- Oui en effet. J'en ai plusieurs et ce depuis toujours mais aucune ne vient à l'esprit en ce moment même. Et c'est d'un ridicule ! je ne peux m'empêcher de souffler.
- Tu n'es pas la première à perdre tes mots face à moi. s'exclame-t-elle.
- Mais je suis la seule à vous avoir autant désirée à mes côtés.
- Je ne peux pas dire le contraire. Alors laisse moi te poser une question à mon tour. Pourquoi penses-tu que j'ai accepté de te rencontrer ?
- Si c'est mon heure alors ce n'est pas une faveur que vous me faîtes là, je me permets de plaisanter. Mais si ce n'est pas le cas alors cela veut dire que d'une manière ou d'une autre j'ai attisé votre curiosité.
- Tu as raison. Je me suis demandée pourquoi une jeune fille qui aime autant la vie porte autant d’intérêt à la mort. Celles et ceux qui désirent vivement me voir sont des êtres épuisés par la vie, la maladie, la tristesse et emplis de désespoir. En fait non, disons plutôt que je suis leur dernier espoir.
- Vous avez raison, j'aime ma vie, la vie en général je dirais même. Mais depuis ce jour, vous n'avez jamais quitté mes pensées.
- De quoi parles-tu ? Interroge-t-elle, surprise par mes propos.
- Ce jour-là, je vous ai vue. J'étais là le jour où votre visage a pris cette forme. Les traits que vous portez je ne les connais que très bien.
- Gaëlle était ta sœur...
- Oui et depuis je n'ai cessé de vous poursuivre, de vous attendre. J'ai essayé maintes et maintes fois de vous contacter, d'essayer de - ne serait-ce qu'un instant - vous apercevoir. Voir le visage de ma petite sœur, de voir la belle jeune fille qu'elle serait devenue...
- Je ne suis pas ta sœur.
- Je le sais parfaitement ! Je m'emporte. Pourquoi elle ? Pourquoi son visage et pas celui des autres ? Qu'avait-elle de si spéciale pour que vous la choisissiez elle et pas moi ?
- Les questions te reviennent enfin, répond-t-elle. Après une légère hésitation, elle continue :
Ta sœur est la première à m'avoir accueillie avec autant de chaleur. C'était une enfant, elle aurait dû être terrifiée de me voir, de s'en aller... Mais elle m'a souri de toute ses petites quenottes. Elle n'a pas pleuré, elle a tendu les bras pour que je la prenne contre moi. Et au moment où je l'ai sortie de cette voiture et que son petit corps a touché le mien, j'ai senti se propager en moi un flux d'énergie, une chaleur réconfortante que je n'avais jamais ressentie... Et toi, tu étais à ses côtés les yeux fermés, alors que c'était toi que je venais chercher. Et comme un don, un dernier cadeau de Gaëlle, mon apparence a changé. Désormais c'était son visage que je porterais et elle vivrait en moi pour toujours. »
La jeune femme qui me fait face n'est pas ma sœur et pourtant ce sont ses pommettes, son grain de beauté sur le menton, ses yeux bruns et malicieux. Et malgré tout, toute la souffrance que m'a faite ressentir la mort, je ne peux m'empêcher de l'aimer un peu.
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