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Assise dans sa chaise à roulettes et sirotant un café, devenu froid, Ae Yeon observait calmement les images de vidéos de surveillance. Comme elle le faisait depuis plus d’une semaine et demie déjà. Les pieds posés sur le bureau, sans aucune compassion pour le bois, elle regardait l’heure tourner en souhaitant que l’imbécile d’idole ne se lève pas cette nuit-là, trop fatigué par sa routine très, même trop matinale à son goût et celui de ses collègues.
Avec surprise, non sans joie, elle regarda les aiguilles approcher des trois heures du matin. Il avait donc entendu sa prière silencieuse et dormait comme une personne normale le ferait dans ces circonstances. La jeune femme serra le poing en signe de victoire et se leva, détendant les muscles de ses jambes avant de se stopper en plein mouvement, le regard attiré par la lumière qui venait de jaillir de l’un des écrans.
— Vraiment ? Une heure seulement ?
Ae Yeon soupira et se réinstalla à contrecœur pour surveiller Ki-tae qui s’assit sur l’un des fauteuils de son salon en soupirant lui aussi. Bien ! Ils étaient exaspérés tout les deux, évidemment pas pour les mêmes raisons, mais cela suffit à amuser la jeune femme. Elle attrapa sa tasse et grimaça quand le liquide amer entra en contact avec sa langue. Il était plus que froid et elle hésita à partir en refaire un quand elle vit l’idole se lever en titubant. Elle fronça les sourcils et s’approcha de l’image. Le leader se rendit dans la cuisine, alluma la cafetière et s’appuya contre le plan de travail en penchant la tête en avant.
Ae Yeon ne savait pas dans quel état il était la journée, mais pour cette nuit-là, il n’était pas dans son assiette. Avec inquiétude, elle l’observa se servir une grande tasse de café, limite si ce n’était pas un bol, et attraper brutalement la poignée du frigidaire quand il perdit soudainement l’équilibre. Elle n’attendit pas une seconde de plus, elle s’empara de la clé magnétique de l’appartement et sortit en trombe, oubliant de se chausser.
Ae Yeon courut le plus rapidement possible dans les couloirs pour atteindre la cuisine, dont elle ouvrit en grand la porte pour voir un Ki-tae, tituber une seconde fois malgré sa prise sur le frigo. Elle s’approcha de lui doucement pour ne pas lui faire peur par son apparition soudaine, en vain. Quand il l'aperçut, il sursauta et en lâcha la poignée du frigo. En titubant une énième fois il essaya, dans un espoir futile de faire bonne figure, de se retenir au plan de travail, ses bras en balayant la surface. La jeune femme se précipita sur lui et l’attrapa par les épaules au moment où ses jambes le lâchèrent et grimaça quand il lui tomba lourdement dessus. Sonnée, Ae Yeon regarda le dos de l’idole qui lui écrasait les jambes et s’alarma quand il essaya de se mettre debout.
— Ne bouge pas ou je t'assomme !
Elle aurait pu chercher autre chose pour l’empêcher de bouger, mais dans la précipitation c’était la seule solution qu’elle avait trouvé. Elle se dégagea doucement du corps du chanteur et posa une nouvelle fois ses mains sur ses épaules. Ae Yeon observa le visage blême et éteint du jeune homme, ainsi que les énormes poches violettes qui s’étaient incrustés sous ses yeux.
— Tu vas continuer longtemps à m’admirer ?
Elle sursauta et se redressa les mains sur les hanches.
— Je suis venue t’aider.
— Je n’en ai pas besoin.
Ae Yeon l’observa, sceptique, essayer de se relever seul en s’aidant d’une chaise avant de l’empêcher de se heurter au coin de la table en lui prenant le bras. Il leva les yeux au plafond mais ne dit rien, la laissant l’emmener dans le salon ou elle le força à s’allonger dans un fauteuil.
— Maintenant tu reste là, tu bouges pas.
— Et si je bouge ?
Le regard noir qu’elle lui envoya suffit à le faire déglutir et à reposer sa tête sur l’oreiller. Qu’elle idée de taquiner une soldat…
— Je reviens.
La jeune femme se précipita dans la salle de bain, en espérant que l’idole fasse ce qu’elle lui demande, et elle s’empara de plusieurs gant qu’elle humidifia à l’eau glacé. Elle avait remarqué sa chaleur corporelle un peu trop élevée de la normale quand il lui était tombé dessus et quand elle l’avait porté. Ae Yeon grimaça en repensant à sa chute et jeta un regard vers sa jambe, qui tremblait légèrement, en soupirant. Elle prit une inspiration et reprit sa route. Elle y penserait plus tard. Quand elle retourna aux côtés de Ki-tae, elle le vit assoupi la respiration sifflante et le visage luisant. Evidemment il fallait qu’il lui fasse un malaise la veille du festival cet imbécile.
Elle déposa un gant sur son front et observa le frisson qui le parcourut. Rassurée par sa réaction positive au froid, elle alla lui chercher un verre d’eau qu’elle posa sur la table basse avant de s’asseoir à ses côtés. Ses cheveux blancs étaient aplatis sur son crâne et collés à son visage recouvert de sueur et une grimace déformait ses traits, d’habitude si fins et enjoués. Elle le fixa pendant de longues minutes avant qu’une tâche sombre sur le fauteuil n’attire son regard inquiet. Sans douceur, Ae Yeon le tourna pour apercevoir la longue entaille que Ki-tae avait sur le bras gauche. En cherchant dans sa mémoire elle se rappela la chute et de ses bras qui avait frottés contre le plan de travail de la cuisine avant de tomber sur elle. Elle jura dans ses dents et attrapa le reste des gants qu’elle déposa sur la blessure, avant de bloquer son bras avec le canapé.
Après un nouveau saut dans la salle de bain pour récupérer une trousse de secours, elle rejoignit l’idole qui frissonnait. Elle ne savait si c’était à cause des gants humide ou de sa blessure, néanmoins elle s’activa rapidement à nettoyer la plaie qui, heureusement n’était pas très profonde, mais laisserait certainement une trace. Quelle idée de laisser traîner des couteaux…
La jeune femme s’employa alors à désinfecter avec une compresse avant d’appliquer une bandelette adhésive pour rapprocher les deux bords de peau, pour faciliter la guérison. Elle se frotta le front une fois le pansement apposé sur le bras de l’idole et se redressa. La jeune femme hésitait à le laisser seul, le temps qu’elle aille réveiller un de ses collègues, mais elle ne pouvait pas n’ont plus laisser les écrans sans surveillance plus longtemps. Sa langue claqua contre son palais et c’est une chevelure rousse apparaissant devant elle qui lui donna la solution.
— Super ! Jae restez avec lui s’il vous plaît.
— Eh… Qu’est-ce qui se passe ?
— Je reviens !
Ae Yeon ne le laissa pas répliquer qu’elle bondit hors de la pièce pour se rendre, hors d’haleine, vers l’appartement. Elle aurait dû les prévenir de son départ dès le début, mais l’urgence avait primée. Elle pénétra dans leur logement et se dirigea automatiquement vers la chambre de Se-hun, n’étant pas encore totalement à l’aise pour aller dans la chambre d’un de ses collègues masculins.
— Se-hun…?
Un grognement lui répondit qui, en tant normal l'aurait fait rire, mais l’urgence de la situation pris le pas et elle s’approcha du lit pour tapoter la joue de sa collègue.
— S’il te plaît… J’ai besoin de ton aide.
Une voix endormie lui demanda cinq minutes supplémentaires non sans ajouter “maman”, ce qui la fit finalement souffler du nez, un mince sourire sur les lèvres.
— C’est important !
La garde finit par se redresser, comme mordue par un serpent, et elle se tourna dans tous les sens avant de fixer le visage de la jeune femme.
— Important ?
— Nam Ki-tae a fait un malaise et est blessé. Jae-il est avec lui.
Se-hun soupira en se massant les tempes et se leva rapidement. En moins d’une minute elle était habillée et équipée et elle sortit de sa chambre, se dirigeant automatiquement vers le bureau. Ae Yeon remarqua sa tasse de café renversée, le peu qu’il y restait goûtant sur le sol. Elle grimaça face à son erreur et s’apprêtait à nettoyer quand la main de sa collègue se plaça devant ses yeux.
— Ce n’est rien, je le ferais. Retourne près du chanteur, je réveille Woo-sik.
Elle hocha la tête et sortit une nouvelle fois de l’appartement pour se rendre où l’attendait le malade et son veilleur improvisé. Elle les retrouva dans la même pièce où elle les avaient laissés, néanmoins Jae-il s’était assis dans le fauteuil surélevant la tête de Ki-tae, posée sur ses genoux.
— Comment va-t-il ?
— Son état n’a pas vraiment changé. Je le savais qu’il n’allait pas bien…
Ae Yeon observa le rouquin qui regardait son leader, le visage triste. Leurs liens étaient forts, surtout pour les trois plus âgés après ce qu’ils avaient vécus au sein du groupe, mais elle ne s’était pas attendu à un tel élan de tendresse. Jae-il caressait doucement les cheveux de son aîné et elle constata, surprise, que la respiration du leader se calmait lentement mais sûrement.
— Comment ?
— Ce n’est pas surprenant que ça lui arrive, même si la blessure est une première... Après la mort de Minho-hyung, il n’a presque pas dormi et s’est retrouvé dans cet état… J’imagine qu’il ne dort pas beaucoup ces temps-ci, n’est-ce pas ?
Elle ne put que hocher la tête. Ainsi, Ki-tae ne disait pas la vérité aux membres. Entre les entraînements, les répétitions, les activités qu’ils faisaient tout au long de la journée et tout le travail qu’il effectuait la nuit, son temps de sommeil en était considérablement réduit.
— On le voyait debout avant nous, ça aurait dû nous mettre la puce à l’oreille…
— Il ne faut pas culpabiliser… C’est sa faute.
Il ricana et reposa son regard sur Ki-tae qui respirait enfin normalement.
— En effet, mais c’est pour nous qu’il le fait.
Elle les regarda tous les deux avant de s’asseoir dans un autre fauteuil pour les veiller. Se-hun était devant les écrans, elle pouvait se permettre de rester avec eux.
— Il ne faudrait pas qu’il aille à l’hôpital avec sa blessure ?
— Le médecin ne pourrait rien faire de plus que ce que j’ai fait…
— La modestie ne t’écrases pas à ce que je vois…
Ae Yeon grimaça et détourna la tête. Elle n’avait pas dit ça dans ce sens-là.
— J’ai eu des cours de médecine à l’armée, c’était largement suffisant pour cette entaille.
— Entaille… C’est l’un des couteaux qui étaient dans la cuisine ?
Elle hocha la tête et lui envoya un regard qu’il ne sut déchiffrer. Elle était inquiète et en colère en même temps ?
— Vous devriez apprendre à ranger convenablement vos affaires.
— On se s’attendait pas à ce que l’un de nous se blesse avec !
— Ce n’est pas une raison !
Une exclamation désabusée franchit ses lèvres et elle pencha la tête en arrière. De vrais enfants, Woo-sik avait raison. Ae Yeon sentit quelque chose d’humide atterrir sur ses genoux et elle regarda le gant mouillé puis Jae-il avec interrogation.
— Nettoie tes mains.
Elle acquiesça lentement et essuya ses mains couvertes du sang du chanteur. Ce n’était peut-être qu’une estafilade peu profonde, mais la longueur avait de quoi inquiéter. Dans ses pensées, elle n’entendit pas l’ouverture de la porte annonçant l’arrivée de Woo-sik et d’un autre homme. Elle ne le sut que quand son supérieur se planta devant elle, les mains sur les hanches. Surprise, elle se leva maladroitement avant de s’incliner. Elle avait fait la bêtise de ne pas les réveiller après tout…
— Comme tu as mené ta mission à bien je ne rajouterais rien à ce qu’il s’est passé.
Ae Yeon soupira de soulagement et se laissa retomber contre le fauteuil. L’avertissement implicite avait été compris, la prochaine fois elle préviendrait.
— Regardez-moi ce carnage… Je vais devoir tout refaire. Aidez-moi.
Levant un sourcil, elle suivit du regard l’homme qu’elle ne connaissait pas, porter Ki-tae toujours inconscient avec l’aide de Jae-il, et sortir de la pièce en grommelant. Qu’avait-elle fait de mal ? Elle se leva à son tour et s'apprêtait à les suivre quand une main lui barra le passage.
— Mais ?
— Laisse faire le médecin, il sait ce qu’il fait.
— Moi aussi ! J’ai nettoyée et pansé la plaie, il ne faut pas qu’il y touche et surtout pas le déplacer avec le malaise qu’il vient de faire…
Woo-sik la regarda, compatissant, l’empêchant toutefois de passer.
— Je comprend, mais c’est le médecin officiel envoyé par le directeur. Je n’ai aucune autorité sur lui.
Ae Yeon souffla et attrapa ses cheveux qu’elle tressa avec angoisse. Elle savait qu’elle avait fait du bon travail, sans se jeter des fleurs, mais le médecin avait-il vraiment besoin de mettre en danger la vie de son patient, juste pour se sentir supérieur à une vulgaire garde du corps qui avait fait ce qu’elle devait faire ? Elle se rassit, sachant pertinemment que rien ne ferait changer d’avis Woo-sik, qui regardait quand même la porte les sourcils froncés.
— Vas-y.
— Pardon ?
La jeune femme se tourna vers lui, sa tresse inachevée entre les doigts.
— Vous êtes celle qui l’avait soignée… Suivez le à l’hôpital puisque c’est là qu’il va quand il y a le moindre problème. Vous pourrez aviser avec les autres médecins sur son état.
— Mais pourquoi moi ?
— Je l’ai dit. C’est vous qui avez géré le problème, vous êtes à même de répondre à toutes les questions.
Elle resta interdite pendant quelques secondes avant que Woo-sik ne la presse du regard. Elle s’élança dans le couloir, rejoignant rapidement l’appartement pour prendre ses affaires et mettre des chaussures avant de descendre quatre à quatre les escaliers, plus rapide que l’ascenseur. Elle traversa le hall d’entrée à la hâte et aperçut le fourgon médical se garer devant l’immeuble et elle constata soulagée qu’ils n’étaient pas encore partis. Ae Yeon sortit du bâtiment et se plaça à côté de la civière qui accueillit rapidement Ki-tae, sous le regard mauvais du médecin et celui soulagé de Jae-il.
— Merci d’être là.
— Je pensais arriver en retard…
Elle lui sourit et monta derrière lui dans l’ambulance, accompagnant le malade. Ki-tae était livide, probablement dû à son déplacement et sa peau redevenait luisante de sueur, tout comme sa respiration qui se fit de nouveau sifflante.
— Vous n’auriez jamais dû le déplacer…
— C’est vous le médecin ou moi ?
La jeune femme grimaça et se retint de l’attraper par la cravate, qui était si bien nouée, pour le secouer dans tous les sens. Quel médecin agissait ainsi ? Elle se détourna de lui et remarqua les yeux timidement ouverts de l’idole.
— Ki-tae !
Du coin de l’œil elle regarda le médecin s’activer. Au moins il n’avait pas eu son diplôme dans une boîte surprise. Le roux à ses côtés se pencha sur le leader qui tournait la tête dans tous les sens, cherchant à savoir ou il se trouvait.
— On t’emmène à l’hôpital, reste calme.
Ki-tae arrêta de gesticuler pour fixer son regard embrumé dans celui de Jae-il avant de passer sur celui d’Ae Yeon qui s’approcha, un mince sourire aux lèvres.
— Maintenant il est temps de se reposer.
Le tranquillisant, que lui injecta le médecin, fit effet presque immédiatement puisqu’il referma les yeux lentement, ses pupilles toujours ancrées dans celles de la jeune femme.
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