Nouveau départ

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Livre : L'Odyssée d'Homère, adaptation par Murielle Szac, offert à mon fils hier et qui traîne à côté de moi sur le canapé.


Ce matin-là, lorsque j'ai aperçu au loin les voiles d'un navire grec approchant à vive allure, j'ai senti que ma vie allait basculer. Mon cœur se serra. Ce bateau au ventre si lourd qu'il s'enfonçait profondément sous la mer ramenait à terre des marins partis depuis de longues semaines. Dans quelques heures, le bateau accosterait et ces hommes chauffés à blanc se déverseraient dans les tavernes du port pour trouver tout ce qu'il leur manquait à bord de leur vaisseau.

 Ma maîtresse parlait depuis plusieurs mois déjà de me vendre. J'avais quatorze ans, son fils en avait seize et son mari était encore plein d'entrain. Pour le moment j'avais échappé à l'un et à l'autre, mais à elle, je ne le pourrais pas. Elle et moi sentions le danger qui menaçait au sein du foyer qui m'avait acheté six ans plus tôt. Elle craignait pour son ménage, je craignais pour autre chose. Je ne voulais pas être ce genre d'esclave. Pour le moment, je travaillais aux cuisines et je faisais le ménage. Le matin, j'allais au poulailler chercher les œufs, puis je passais à la bergerie chercher le lait.

 Il y avait Jason à la bergerie. Lui aussi, je le fuyais. J'avais l'impression que tous les hommes représentaient un danger.

 Mais en dehors de cette crainte, j'avais une vie acceptable pour une esclave. J'étais nourrie, logée, protégée. Je ne voulais pas perdre cela. Je rentrais à la cuisine en proie à ces pensées désagréables quand Léna m'interpella. La vieille cuisinière m'aimait beaucoup et s'inquiétait de mon avenir. Elle m'apprit que la maîtresse m'avait vendu à l'auberge de la Toison d'or, une des plus fréquentées du port. Je pâlis et je me mis à trembler. La vieille cuisinière me prit dans ses bras et me murmura quelques phrases à l'oreille avant de m'accrocher un médaillon autour du coup. Je l'embrassai et partis en courant.

 Je volai des vêtements au fils de mes maîtres et me coupai les cheveux. Je pris soin de bander ma poitrine et priai tous les Dieux pour que ce soit suffisant. J'adressai une offrande à la sœur d'Apollon en la suppliant de m'aider à la rejoindre. Puis, en passant par la fenêtre de mon maître, je m'aggripai aux branches du châtaigner et me retrouvai en dehors de la propriété. Je passai devant la bergerie et j'aperçus Jason. Mon cœur se mit à cogner dans ma poitrine, mais il se contenta de me saluer comme je l'ai souvent vu faire avec d'autres jeunes gens du même âge. Soulagée, Je lui rendis son salut et me rendis en ville.

 Lena m'avait donné la description du capitaine qu'elle avait bien connu par le passé. Je le trouvai attablé à cette fameuse auberge. Il buvait tranquillement une jeune fille à peine plus âgée que moi assise sur ses genoux. Je réprimai un haut-le-coeur, remerciant les Dieux que ce ne soit pas moi assise en amazone sur la cuisse de cet homme aussi large qu'un taureau et me dirigeai vers lui. Je lui demandai une place dans son équipage et lui montrai le médaillon de Lena. Il blêmit, chassa la fille et me demanda si j'étais le fils de la cuisinière. Je faillis me faire prendre en manquant de prononcer le mot fille, mais je me repris à temps. Oui, j'étais son fils. Elle m'avait dit que le capitaine de La Fille de Poséidon lui devait un service et qu'il m'embaucherai s'il le pouvait. Il me demanda ce que je savais faire en se frottant la barbe. Je répondis que j'étais bon cuisinier. Il me regarda longuement puis acquiesça. Le cuistot avait besoin d'un apprenti pour l'aider depuis que les pirates lui avaient crevé l’œil gauche. Le temps de vendre sa marchandise et de charger la nouvelle, le navire serait prêt à repartir dans cinq jours.  

 Cinq jours ! J'avais une de ces trouilles, mes maîtres auraient lancé des recherches d'ici ce soir et toute la ville serait au courant qu'il y avait une esclave en fuite. Je ne savais même pas ou me cacher en attendant. Heureusement, le capitaine me prit une chambre ici, à côté de la sienne. Il me devait bien ça, qu'il disait. Je mettrait à profit ces cinq jours pour observer les hommes de l'auberge et parfaire mon camouflage.

 Après cette discussion, il rappela la pauvre fille et pendant qu'il me montrait ma chambre, elle le suivait docilement. Il me laissa devant ma porte et je le regardai l'attraper par le bras et la tirer sur le palier jusqu'à la porte suivante. J'entrai dans ma chambre, fis glisser le verrou et m'assis en tremblant sur le lit. Je pleurai doucement, à la fois de peur, de soulagement, et aussi de pitié pour la servante qui était avec mon « père » dans la chambre à côté.

 Je priai encore Artémis de me laisser arriver jusqu'à elle en un seul morceau.

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