6- Le défilé

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Maya m’a invitée à assister à la répétition du défilé de sa nouvelle collection. Elle est d’une créativité qui m’étonne à chaque fois. Il y a quelques semaines, elle m’a montré ses esquisses sims et j’étais impatiente de les voir en réalité.

Je suis assise dans un Aero sofa partagé avec deux jeunes femmes, déjà croisées dans les soirées de mon amie. Celle-ci ne s’est pas encore montrée. Elle doit être en train de faire les dernières retouches sur ses mannequins. J’espère qu’elle n’est pas trop nerveuse. Cette répétition est très importante pour elle.

J’essaie de me mettre dans l’ambiance, de partager l’excitation fébrile de mes compagnes. Il se murmure que cette année pourrait être l’Année de Maya : celle qui la verrait sélectionnée pour les Grands Défilés, sous la Bulle des Gouvernants. C’est l’objectif que caresse tout styliste nanotech digne de ce nom. Elle peut réussir, j’en suis convaincue. Nous étions ensemble à l’école et elle montrait déjà un talent certain pour la programmation nanotech des tissus. Depuis, elle a un nouvel atout dans sa manche : son nouveau joujou s’est révélé être, même si elle ne l’a pas acheté pour ça, une mine de créativité.

L’attente commence à me peser. Je balaie la pièce du regard en espérant les apercevoir, mais ils brillent par leur absence. Je déguise un soupir qui m’échappe en bâillement. J’ai bien conscience que cet HC m’obsède. J’ai passé des heures à visionner les enregistrements des drônes. Cet homme est sorti un jour de nulle part comme pour venir en aide à ses bénéficiaires. Sans lui, ils seraient tous morts ou presque. Plus je cherche, plus le mystère s’épaissit. En réalité, cela ne me concerne pas, je n’arrive pourtant pas à passer à autre chose.

Force est de constater que je fais une fixette.

En même temps, il est différent des autres. Il est incompréhensible que personne ne s’en rende compte.

Sans faire part du résultat de mes recherches, cela aurait été trop embarrassant, j’ai quand même discuté avec Maya de mes observations. Elle m’a répondu, en riant : «je te l’avais dit, c’est le plus beau que j’ai jamais eu… Pourtant, je suis sûre que sous la Bulle G, il paraîtrait tout à fait banal. »

J’ai hoché la tête et ri avec elle. Cependant, elle se trompait. Je suis déjà allé sous G et certes, je n’ai pas fait particulièrement attention aux Humains de compagnie, mais s’ils avaient été comme lui je l’aurais remarqué. L’observation et l’analyse font partie de mes compétences primes, je ne serais pas Ingénieure-programmatrice de populations infra si ce n’était pas le cas.

La lumière se tamise soudain et prend des reflets orangés ; jaune orangé plus exactement. Maya apparaît. Il est à son bras. Elle se tient droite mais je sais qu’elle doit être très stressée. Et moi, ça me gêne beaucoup, de la voir ainsi accrochée à Noway. J’ai beau savoir à quoi lui servent ses HC, l’imaginer lui, dans ce rôle-là, ça ne cadre pas.

Maya ne veut pas seulement un partenaire pour ses ébats. Elle veut une histoire d’amour, à chaque fois. Nous en avions déjà discuté. Elle est si vive. Elle s’était emportée « je veux être courtisée, désirée, séduite ! Je veux courtiser, me rendre désirable… et séduire. Faire l’amour, ce n’est pas seulement une célébration des sens. C’est une connexion, un lien intime. Là, ça surpasse tout ! »

Je lui avais fait remarquer que c’était un simulacre de relation amoureuse, qu’il n’était pas possible de tomber amoureuse d’un HC, nous sommes trop différents, cela ne peut pas matcher. Elle s’était tue, songeuse et sombre. Elle avait dit, presque pour elle-même : « Pourquoi simulacre ? C’est une relation amoureuse. Je les aime et ils m’aiment… à un certain moment. »

Puis, elle s’était reprise. Elle s’était agitée, avait eu un petit rire aigu qui sonnait faux. Elle avait mis fin à la discussion par ces mots : « Qu’est-ce que ça peut faire ? Je ne fais de mal à personne ! Tu as toujours de ces questions. Parlons d’autre chose, veux-tu ? »

J’avais acquiescé. De toute façon, je me voyais difficilement lui faire part de mes réflexions. En effet, elle éprouvait de l’affection et parfois de fugaces sentiments amoureux pour ses infras qui étaient tous, plus ou moins, tombés sous son charme. En même temps, Maya est belle et lumineuse comme un soleil. Elle est drôle, curieuse de tout et montre une créativité débordante. Mais elle finit toujours par se lasser alors elle les revend. Ils la connaissent trop intimement pour qu'elle les cède à un autre Bullite. Ils terminent tous leur vie au Ring.

Statistiquement, ils ont, de toute façon, une espérance de vie beaucoup plus courte que la nôtre. Mais une relation amoureuse ce n’est pas ça pour moi, même si, en réalité, j’ai eu des résultats plutôt contrastés dans ce domaine-là. En réalité, les relations sociales représentent mon point faible, dans mon bilan de capacités, c’est souvent là que mon score s'avère le plus bas. Je fais des efforts et j’ai bien eu quelques histoires avec des gens avec qui j’avais un haut degré de compatibilité, mais je m’en suis à chaque fois… lassée. Ou j’ai lassé pour être honnête. Je crois qu’il manquait toujours quelque chose. J’ignore toujours quoi et perds peu à peu, espoir de percer ce mystère. Quoiqu'il en soit, ce n'est pas une priorité pour moi.

Le défilé commence. Maya s’est assise sur le côté, une main possessive sur le genou de Noway. Il y semble complétement indifférent. Je tourne mon regard vers le centre de la scène et tâche de me concentrer. A-t-elle réussi à rendre réelles ses créations sims ?

Le premier mannequin porte une robe noire toute simple de prime abord puis la lumière baisse. Là, elle révèle toute sa complexité. À chaque pas, des pans de la robe se déplient et dévoilent des rais incandescents enveloppés de rouge orangé changeants, comme des morceaux de soleils, ou de lave - m’a dit Maya- qui semblent couler et laissent une fugace traîne ignée sur les pas du modèle. J’ai logué « lave » sur Xnet et c’est très ressemblant. Elle peut être fière, c’est un travail magnifique !

La suivante est vêtue d’une combinaison qui semble refléter le ciel. Mais un ciel changeant, en lien avec son état émotionnel, elle a froncé les sourcils et le ciel s’est assombri nettement. C’est une réussite ! Elle a rajouté cette programmation, car je ne me souviens pas l’avoir vue lors des sims. Je me demande quel élément naturel sera à l’honneur lors du prochain vêtement.

Une jeune femme s’avance parée d’une robe décorée entièrement d’un dessin. C’est un paysage que je reconnais immédiatement. Le bustier est un ciel violet légèrement teinté de bleu profond et zébré de fins traits blancs, la jupe légèrement évasée et composée d’un agencement de blancs, beiges et ocres figurant de doux reliefs, certainement, érodés par le temps et l’humanité. Je n’ai jamais visité cet endroit. Je ne sais même pas s’il existe. Mais, je l’ai déjà vu. C’est une œuvre de Noway. Il dessine constamment… des paysages, des arbres, des montagnes.

C’est beau sur ce vêtement. Maya a, bien entendu, rajouté sa petite touche : des hommes et des femmes en ombres chinoises arpentent les collines au rythme des pas de la jeune mannequin et de légers nuages semblent tournoyer autour de ces épaules. C’est hypnotisant pourtant ma préférence va à l’œuvre première, même si cela rajoute à l’origine énigmatique de son auteur.

Les gens de la Barrière ne dessinent pas à ma connaissance. Peut-être que ça ne leur vient pas à l’idée, peut-être qu’ils n’ont pas le matériel. Ce n’est pas dans le programme génétique ni dans le conditionnement de ceux élevés en Intra. Cela, je le sais, car j’ai accès aux programmations.

Je lui jette rapidement un coup d’œil. Il est toujours aussi impassible. On pourrait le croire statufié. À chaque fois, il a cette attitude. Pourtant, certains détails me laissent supposer que c’est une façade. Son regard se révèle très vif parfois, sa façon de se déplacer : il est silencieux. Enfin, comme le dit si bien Maya, Il est taillé comme un Aero jet. Ainsi, il semble rapide et puissant.

Voilà que je recommence ! Du coup j’ai raté le passage d’un mannequin. Maya sera contrariée. Je fais l’effort de me concentrer. J’ai une excellente mémoire, avec un peu de chance, je pourrai déduire des suivants lequel j’ai manqué.

Nous sommes très différentes, Maya et moi. Elle est excentrique, extravertie, drôle, charismatique. Je suis sérieuse et plutôt timide. Mon humour est, disons, en avance sur son temps et, sans être un loupé génétique complet, je n’ai rien d’une beauté solaire non plus… lunaire, peut-être.

Pour autant, c’est ma meilleure amie. Et après chaque défilé, connaissant mon sens aigu du détail et de l’observation, elle me demande un compte rendu minutieux. C’est très important pour elle. « Alka, J’ai besoin de ton regard cartésien, pragmatique sur mes envolées artistiques ! » répète-elle souvent.

Je me concentre donc, essayant de tout enregistrer, de noter mentalement ce que je remarque… Et de cesser de fixer cet homme.

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