27- L'ouverture du Dernier Cercle (1/2)
C’est le grand jour, celui qui ouvre le Mois des Festivités et le Dernier Cercle.
Nous habitons sous la Bulle G du Consortium América depuis une semaine. Que dire ? Les Bulles sont des clones, réduisant l’attrait du voyage à néant. Nous habitons chez Alka. Elle est absente.
Un soir, alors que je repassai mentalement pour la millième fois le plan dingue que nous avions mis au point pour sortir de cette Bulle et tenté de retrouver Ana, Isa, Téodime et Léa, Maya m’a annoncé tout excitée, que nous partions plus tôt pour le DC, que nous allions vivre chez Alka et avoir des places de premier plan pour les épreuves car Alka avait à nouveau été choisie pour être la Stratège d’Europe. Nous avons décollé quelques heures plus tard.
Maya est très occupée. Elle passe ses journées dans le Hall du Design pour préparer le défilé qui aura lieu dans une semaine. J’ai voulu l’accompagner pour tenter d’échapper au désespoir, mais elle a refusé. Je la gênerais selon elle.
Pendant la journée, je traîne ma misère enfermé la plupart du temps dans ma chambre, comme un objet dans un placard. La nuit, je deviens le jouet sexuel de ma maîtresse surexcitée après une journée de travail intense.
Maya et moi avons rejoint Edan et Victo à leur hôtel. Nous nous dirigeons vers le DC à bord d’un véhicule à quatre roues que Maya a qualifié plus tôt, en tapant dans ses mains comme une gamine, de « voiturette trop mignonne ». Je déteste la voir se conduire comme ça. C’est un rappel trop violent du vide de sa boîte crânienne. Autour de nous, une foule dense, à pied ou en voiturette, se dirige comme nous vers le centre de la Bulle.
Alors que je me morfonds à l’arrière au côté de Victo, celui-ci me donne un coup de coude et m’incite à regarder devant moi. Nous sommes sur la place centrale, immense. Je découvre une forme ovale gigantesque qui semble s’enfoncer dans le sol. J’ai devant les yeux, un monstrueux galet d’un noir abyssal. Je reste interdit devant ce spectacle, un sentiment d’étrangeté chevillé au corps. Autour de moi et sûrement tout autour du colosse, la vie s’est comme arrêtée, un silence profond s’est installé. Notre voiturette a stoppé, entrainé par Maya, j’en sors. Autour de nous, comme mus par une volonté commune, tous les Bullites se sont arrêtés. Debout sur les trottoirs ou à côté de leur véhicule, ils affichent un air fervent et attentif.
Soudain, une vibration sourde se diffuse sous nos pieds. Toute la structure de la Bulle semble parcourue par cette onde. Je lance un regard affolé à Victo qui tente de me rassurer d’un sourire et me fait signe d’écouter. En effet, une voix féminine, douce et grave, résonne :
- Bonjour à vous, Enfants du Chaos.
Qu’est-ce que c’est que ce truc ?
Tandis que le monde continue de vibrer, les murmures extatiques des Bullites répondent :
- MAGIE.
- Oui, mes enfants ! C’est MAGIE, fidèle à notre rendez-vous annuel. Comme chaque année, je viens vous rappeler le long chemin parcouru par l’humanité.
Une approbation fervente lui répond. Cette adoration aveugle et soumise me tord les tripes.
- Il y a cinq siècles, reprend-elle. Le chaos régnait sur Terre et dans vos esprits affaiblis. Votre espèce avait accompli un exploit maléfique, un exploit tout de même. Vos ancêtres avaient donné corps et vie à leurs pires cauchemars. Les enfers, décrits dans leurs Livres Sacrés, avaient pris forme sous leurs mains habiles. D’aucuns, terrassés par le désespoir, pensèrent que le jour du Jugement Dernier advenait. D’autres, fous mais aussi géniaux et froids comme seuls les humains peuvent l’être, créèrent les Bulles, où ce qui restait de l’humanité moribonde se terra. Là, vos aïeuls étaient à l’abri des monstres que leur folie avait engendrés, pas du noyau sauvage et indomptable que chaque humain abrite en son sein. La frayeur tint ces forces invisibles à distance, quelque temps. Malheureusement, elles se manifestèrent à nouveau, menaçant une fois de plus la survie de votre espèce. Encore une fois, votre génie vous sauva avec la création d’une entité supérieure, dont le rôle crucial serait d’opposer suffisamment d’ordre au chaos, pour maintenir l’harmonie. Cette entité à laquelle, vous, les enfants du Chaos, avez accepté de confier leur vie, c’est moi. MAGIE.
Un frisson glacial parcourt ma colonne vertébrale quand la foule crie ce nom en une clameur immense et absolue. Je prie, pour que ce discours terrifiant à mes oreilles soit fini. Hélas, elle continue :
- J’imposai à vos ancêtres des Lois dures mais indispensables. Elles demandèrent d’immenses efforts, de douloureux sacrifices sans lesquels vous ne seriez pas là aujourd’hui. Louons ensemble le courage de vos ancêtres.
- Gloire à MAGIE ! Gloire à nos ancêtres ! Gloire à l’humanité retrouvée !
Ce discours me donne la nausée, d’autant que je ne peux m'empêcher d'y trouver une part de vérité.
- Cependant, je compris vite que votre part rêveuse et sauvage ne pourrait disparaître. Il lui fallait un espace-temps où s’exprimer. Ainsi naquirent le Mois des Festivités et le Dernier Cercle.
Comme s’il attendait ces mots, le colossal bâtiment noir s’anime. Il s’ébroue, tel un mastodonte s’éveillant d’un long sommeil. Un rai lumineux horizontal crée une ligne de fracture éblouissante en son cœur, comme s’il s’ouvrait.
- Noway, mets ce masque osmotique pour protéger tes yeux, m’enjoint Maya en me tendant une petite sphère transparente.
En effet la lumière de plus en plus vive menace de nous blesser la rétine. Accueillant avec soulagement la fraîcheur du filtre osmotique, je me laisse à nouveau happer par le spectacle. On distingue mal les limites de la fracture lumineuse, pourtant elle fait bien cinq mètres de large. Des lignes de failles s’en échappent, tels des éclairs de foudre fissurant la gigantesque coque. Leur nombre et leur rythme croissent à chaque seconde, accompagnés des ovations assourdissantes de la foule. Le bâtiment ressemble maintenant à un œuf craquelé et pulsant d’éclairs de lumière. La foule, au rythme de ses pulsations, scande :
- Allez ! Allez !
Le tempo élevé crée une tension presque insoutenable quand, soudain, le dernier cercle s’embrase et nous aveugle. Durant quelques secondes, le monde se pétrifie, baigné dans la clarté intense de ce soleil éphémère.
Rapidement elle décroît. Sous nos yeux malmenés, le Dernier Cercle est redevenu noir mais demeure ceinturé de lumière et animé d’éclairs plus doux, comme un cœur battant.
- Je déclare officiellement l’ouverture du Dernier Cercle, conclut Magie aussitôt ovationnée.
La vibration souterraine a disparu pourtant mon corps en garde l’écho. Assailli d’un mélange d’émotions contradictoires, je suis au bord de l’explosion. Je voudrais me battre, pas regarder d'autres le faire.
- Noway, ressaisis-toi ! Et montes. Il ne faut pas traîner sinon nous ne pourrons pas choisir notre emplacement, m’admoneste Maya.
Je ne comprends rien à ce qu’elle raconte, mais son ton péremptoire a le mérite de me remettre en mouvement. Je rejoins donc les autres, déjà sagement assis et nous reprenons notre route vers le DC.
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