38- Les marionnettistes
- Bonjour, Mon Général.
- Bonjour, Colonel Aédé, prenez place.
Le colonel obtempère sous le regard perçant de son supérieur.
- Bien, allons droit au but. Le Haut Commandement se montre de plus en plus rétif à poursuivre l'Expérience. Il m'a chargé de vous transmettre ses interrogations concernant votre gestion de la situation.
- Je suis étonné, Mon Général répond le colonel d'un ton exagérément candide. Tout se déroule comme prévu. Le sujet est désormais dans le DC où nous allons pouvoir l’évaluer.
Le Général Obéron se carre dans son siège et s'attelle à prendre un air sévère tandis qu'en son for intérieur, il est heureux de constater que son vieux compagnon d'arme a retrouvé son mordant.
- Oui, cela, nous le savons. Les interrogations du Haut Commandement portent sur l’intégration de cette Bullite à l’expérience. Les factions cyborganique et humaine sont, une fois n’est pas coutume, tombées immédiatement d’accord sur l’inutilité voire le risque potentiel induits par cette étape. Pouvez m’expliquer cette décision ?
- Cette étape est mentionnée dans le plan, contre laconiquement le Colonel. Alka m’a semblé le moyen idéal pour mettre une pression à laquelle le cobaye s’attendait certainement. D'autre part, nous allons en profiter et nous servir de la Bullite comme catalyseur : elle va pousser Noway afin qu'il développe tout son potentiel.
- Nous avions, en effet, connaissance de cette phase du plan, mais pas des moyens envisagés, rétorque le général. N’y en avait-il pas d’autres présentant ces deux avantages ? Prendre en otage quelqu’un de sa famille, par exemple ?
Le colonel ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire sardonique.
- Malgré tout le respect que je vous dois, permettez-moi de vous dire que vous et le Haut Commandement ne comprenez rien à la façon de penser de cet homme, répond-il tranquillement. Je suis convaincu que si nous avions pris en otage un membre de sa famille, il aurait purement et simplement préféré se laisser tuer par le premier combattant venu, voire se suicider.
Le général ne relève pas cette provocation. Il connait très bien son interlocuteur. Aédé a toujours été coutumier de ce genre de propos. Toutefois, ses actes ont démontré avec force, son engagement sans faille pour la survie de leur espèce. Malgré l'amitié qui les lie, le général se doit de poursuivre cet interrogatoire.
- Éliminer un ou plusieurs membres de sa famille aurait tout aussi bien fonctionné et l’aurait amené, à coup sûr, à exprimer ses capacités guerrières.
Le visage du colonel se fige. Le général devine la colère noire dissimulée sous ce masque rigide. Il sait l'aversion de son comparse pour ce genre de méthodes qu'il qualifie d'indignes et de barbares. Malgré tout, le colonel parvient à répondre à son supérieur de manière mesurée.
- Peut-être. Toutefois, je me permets de vous rappeler que ces personnes présentent les mêmes particularités que Noway. Leurs vies sont trop précieuses, m’a-t-il semblé, pour que nous les gaspillions, à moins de n’avoir aucune autre alternative.
- Selon les dernières informations, elle est en piteux état, objecte le général.
- C'est exact. Mais, elle est encore vivante. Elle serait notre dernier espoir s'il arrivait quelque chose de fatal à Noway, explique le Colonel d'un ton tendu.
- Nous avons infiltré un agent à ses côtés pour prévenir ce genre de regrettable incident, si je ne m'abuse.
- Certes, mais j'ai cru bon d'envisager la pire des situations. Nous ne pouvons nous permettre de perdre cette opportunité, gronde le colonel.
Le général se penche vers lui et capture son regard.
- Colonel, j’entends vos arguments. Je les communiquerai, les défendrai devant le Haut Commandement. Cependant, pour en revenir au tandem Alka- Noway, les hauts dirigeants craignent que nous ne sous-estimions les capacités de subversion de ce duo. MAGIE a calculé les probabilités de déstabilisation du système, elles sont loin d’être négligeables.
- Le système sera peut-être déstabilisé, mais il tiendra, Mon Général. Je parie que les velléités de rébellion disparaitront en même temps qu’Alka et Noway, rétorque le Colonel en soutenant le regard de son supérieur.
-- C’est un pari risqué, vous le savez.
Aédé se permet un bref sourire teinté d’agacement, il perd patience.
- Si les petits génies du Haut Commandement ont une meilleure idée, qu'ils la mettent en œuvre au lieu de me faire perdre mon temps ! réplique-t-il acerbe.
-- Aédé, mesure tes propos, je t'en conjure, l’enjoint le général.
Le colonel soupire et lève les yeux au ciel. Le silence s'installe, Obéron se garde bien de le rompre. Il espère que son camarade saura abandonner sa vindicte. Elle est inutile et pourrait même le desservir. Enfin, Aédé finit par esquisser un sourire.
- Obéron, nous avons bien plus à perdre que le système des Bulles, souffle-t-il finalement d'un ton plus apaisé.
Le vieux général, satisfait de voir son vis-à-vis retrouver son calme, acquiesce sombrement.
- Je le sais, mon ami. Je te soutiens autant que je peux et prie pour que les espoirs que tu nourris à propos de ce jeune homme se concrétisent.
- J’en suis profondément convaincu. D’ci quelques semaines, nous serons fixés.
- Bien. Pour le moment, je me porte garant auprès du Haut Commandement. Mais je veux un rapport hebdomadaire des évènements.
- À vos ordres, mon Général, déclare Aédé.
Sans plus de protocole, Obéron autorise le colonel à prendre congé. Il regarde pensivement la stature imposante d'Aédé s’éloigner. Ils en ont vécu des choses ensemble, de leurs classes en passant par de nombreuses batailles jusqu'au tragique sacrifice du fils de son ami. Depuis, celui-ci n’est plus le même. Malgré tout, il a gardé sa personnalité, géniale et avant-gardiste selon ses amis, folle et réfractaire dans la bouche de ses détracteurs.
Après la disparition de Solal, son fils chéri, Aédé avait déployé toute son énergie pour obtenir un poste lui permettant de mener des recherches sur les responsables de sa mort. Il y était parvenu. C’est dans le cadre de cette mission qu’il avait découvert Noway. Depuis, il semblait avoir retrouvé de sa superbe d'antan. Cela réjouit Obéron tout autant que cela l'inquiète. Pourtant, il a choisi de lui faire confiance sans être certain de cerner totalement les desseins de son frère d’arme. Comme l’a dit celui-ci, ils ont beaucoup trop à perdre pour se payer le luxe de ne rien risquer.
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