59- Aédé

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Aédé, accroché à ses accoudoirs, regarde l’écran de contrôle du DC. Il ne parvient pas à croire ce qu’il voit. Les gardes étaient sur le point de neutraliser les combattants et par là même de récupérer Kaly. Mais Alka est arrivée, s’est interposée, puis Ariel a abattu tout le monde. Pourquoi ? Pourquoi Alka est-elle encore en vie, alors qu’elle était conditionnée pour se suicider à la disparition de Noway ? Pourquoi Ariel a-t-elle pris le parti des combattants ?

Tandis que ces interrogations furieuses vrillent ses tempes, il regarde, impuissant, le groupe désormais armé, qui quitte l’arène guidé par Alka.

Il se tourne, fébrile, vers Aetna.

  • Il faut envoyer des gardes pour les intercepter !

Celle-ci, absorbée également par les images devant elle, ne prend même pas la peine de se tourner vers lui.

  • Toutes les issues sont fermées. Ils ne peuvent pas s’échapper. Pour l’instant, les troupes sont mobilisées par les émeutes dans les gradins ! lui réplique celle-ci sèchement.

Le colonel ravale ses propos acerbes et se raccroche au fait qu'il a pris la précaution d'implanter une puce de localisation sur Kaly. Il la retrouvera, quoiqu'il arrive.

Il retrouve un calme relatif quand son regard est à nouveau irrésistiblement attiré par l’écran montrant l’aire de combat. Il constate, avec surprise, qu’Ariel n’a pas quitté l’arène avec les autres. Elle a posé un genou à terre auprès d’un garde et s’emploie à le retourner.

Que fait-elle ?

Elle détache le dispositif de déplacement aéroporté que le soldat a dans le dos et se l’approprie. Paniqué, il croit comprendre. Elle veut descendre à la base du monolithe, là où gisent Noway et le Morkim. Se pourrait-il que Noway ait survécu ? Souhaite-t-elle s’assurer que le jeune homme est bien mort ? Pourquoi ? Pour l’achever ou détruire son corps et son ADN définitivement ?

  • Il faut envoyer quelqu’un dans l’Arène pour stopper Ariel ! tonne-t-il. Sinon, elle va…
  • Colonel ! Je vous le redis, nous n’avons pas d’hommes disponibles pour cela ! claque la voix d’Aetna. Quoique que vous souhaitiez faire, il faudra vous débrouiller seul.

Aédé reste un instant interdit face à cette réplique. Il est un dirigeant, il y a toujours quelqu'un pour exécuter ses ordres. Cependant, il reprend vite le dessus. Le temps lui manque trop cruellement pour qu'il fasse un rappel hiérarchique à cette impudente, mais il saura s'en souvenir.

Il se redresse tout en murmurant à son bracelet de lui préparer l'itinéraire le plus court jusqu'à l'arène. Puis, il se dirige vers la sortie sans accorder un regard à Aetna.

Aussitôt la porte refermée, il accélère le pas jusqu'à adopter une allure soutenue. Pourvu qu'il arrive à temps.

Essoufflé, il parvient enfin sur la plateforme qui s'élève aussitôt pour l'amener à destination. Une fois sur le plateau, les odeurs lui agressent la gorge. Ses pas résonnent sous le dôme, soulignés par le silence mortel des cadavres. Ariel n'est pas là. Il se précipite sur le corps d'un garde pour prendre son système de déplacement.

  • Pardon... se surprend-t-il à lui murmurer.

Évoluer au milieu de ce charnier le perturbe plus que ce qu'il avait anticipé. Il grogne de mécontentement, il y a trop longtemps qu'il est loin des champs de batailles.

Néanmoins, il se redresse rapidement et s'harnache. Tandis que son bracelet se couple au réacteur, il se dirige vers le bord du monolithe d'un pas décidé. Il jette un coup d'œil en contrebas et y aperçoit Ariel, penchée sur les corps entrelacés du Morkim et de Noway. Il cible un point d'atterrissage à quelques mètres de celle-ci, le verrouille et s'élance. Son bracelet s'occupe du reste.

Ariel semble être en train d'essayer de séparer les deux corps. Elle finit par y parvenir et soulève Noway pour le déposer un peu plus loin. Rapide comme l'éclair, elle saisit son fusil. Le colonel ne peut s'empêcher de pousser un cri de protestation alors qu'il sait qu'elle l'a entendu et qu'il est à sa merci.

La jeune femme ne lui accorde pas un seul regard. Elle se tourne vers le Morkim. C'est alors que celui-ci bouge. L'instant d'après, le monstre ouvre les yeux et se jette mâchoire en avant sur Ariel. Il ne trouve que le canon du fusil avec lequel elle lui explose la tête à bout portant.

L'impact envoie Ariel se fracasser contre la paroi du monolithe. Le colonel atterrit quand elle se relève et se précipite vers Noway entouré par l'auréole écarlate de son sang.

Quand il arrive, Ariel sort fébrilement tous les pansements qu'elle peut trouver.

  • Que faites-vous, Sergent ? aboie le colonel.
  • Que faites-vous, vous ? lui répond-elle sur le même ton. Il est en train de se vider de son sang. Appelez les secours !

Elle s'affaire aussitôt à plaquer des pansements sur le dos ensanglanté de Noway.

  • Activez la combinaison ! l'enjoint le colonel.
  • Qu'est-ce que vous croyez, c'est déjà fait ! Elle a lâché. La batterie doit être endommagée. Appelez les secours, bon sang !

Ariel a vraiment l'air de vouloir le sauver.

  • Personne ne viendra, Ariel.

Elle lui lance un regard choqué et plein d'incompréhension.

  • Toutes les troupes sont mobilisées pour contenir la révolte dans les gradins, ajoute-t-il d'un ton piteux. On est tout seuls.
  • D'accord ! Alors rendez-vous utile et aidez-moi à lui poser les pansements ! lui ordonne-t-elle d'une voix autoritaire.

Il la regarde s'obstiner à essayer de contenir l'hémorragie. Lui est comme pris à la gorge par les effluves âcres des blessures de Noway. Il se sent submergé et las. Quelque chose se brise en lui. Il abandonne et se résigne à accepter l'échec de son expérience. Au moins, il pourra conserver l'ADN de Noway.

  • Ariel, c'est inutile... Personne ne peut...

La jeune femme relève la tête et plante ses yeux noirs et orageux dans les siens.

  • Il peut s'en sortir ! Ce qui s'est passé aujourd'hui devrait vous servir de leçon ! Les choses ne se passent pas toujours comme vous l'aviez prévu !
  • Ariel ...
  • Après tout ce que vous lui avez fait endurer, vous mieux que quiconque devriez savoir que personne ne peut dire de quoi cet homme est capable ! Alors, fermez-la et mettez-lui ces foutus pansements !

De peur qu'elle lui fasse sauter la cervelle s'il n'obtempère pas, le colonel se met à l'ouvrage. Après avoir recouvert le dos de Noway, ils font compression et attendent.

De longues minutes s'égrènent. À plusieurs reprises, le colonel relâche la pression, prêt à laisser tomber. Le regard brûlant d'Ariel l'en dissuade à chaque fois.

Soudain, Ariel s'écrie :

  • Je crois que l'hémorragie est stoppée !

Ou peut-être est-il mort ? songe Aédé avec amertume.

Ariel a déjà son oreille collée sur le dos de Noway. Elle se redresse pour se pencher à nouveau tout près de son visage. Enfin, elle se redresse, l'air triomphant.

-- J'ai entendu son cœur battre et il respire.

Le colonel esquisse un sourire peu convaincu.

  • Espérons qu'il tiendra le coup le temps que les secours arrivent. Bien joué, Sergent.

Cependant, il ne peut s'empêcher de penser, en son for intérieur, que Noway ne survivra pas et que ce sauvetage n'évitera pas à Ariel le passage en Cour Martiale. Le meurtre des gardes et l'aide fournie aux combattants, lui vaudront à coup sûr, une peine conséquente. Lui en tout cas ne plaidera pas en sa faveur, bien au contraire. Il n'a plus aucune confiance en elle. Elle aussi a, de toute façon, perdu toute confiance en lui. Le regard coupant qu'elle lui lance est sans équivoque.

Ils sont tous les deux perdus dans leurs pensées quand les lumières clignotent puis s'éteignent. Une pluie fracassante de bruits de bataille s'abat sur eux. Le dôme les isolant du reste du DC a disparu. Figés d'effroi et plongés dans l'obscurité, ils perçoivent une vibration sourde enfler. Ils se lancent un regard interloqué et anxieux quand soudain le sol se met à trembler.

Le colonel lève la tête vers les gradins, espérant irrationnellement y trouver du secours. Atterré, il contemple la déconfiture des gardes, submergés par des vagues d'hommes et de femmes qui se dirigent vers les escaliers menant aux sorties. Il comprend que les portes sont à nouveau ouvertes, mais ne s'explique pas ce séisme.

Soudain, une colère sourde l'envahit : la Bulle n'est plus protégée du Dehors ! Elle est envahie d'humains mal dégrossis et révoltés ! Le déclencheur de ce chaos est Noway, celui qu'il voulait sauver coûte que coûte encore quelques minutes auparavant. Il se rend compte que c'était de la folie, cet homme est un destructeur de monde.

Il ne voit pas les yeux de celui qu'il accuse de tous les maux, s'ouvrir. Il ne voit pas non plus sa main s'agiter pour chercher son arme, Ariel si. Elle saisit la main de Noway et articule silencieusement quelques mots à son intention.

Quand le tremblement cesse enfin, il n'y plus âme qui vive dans la gigantesque enceinte. Aédé se tourne à nouveau vers Noway. Il constate, sans surprise, que le jeune homme est toujours d'une pâleur cadavérique et inconscient. Malgré son échec cuisant, Aédé s'avoue que la mort de Noway sera finalement une bonne chose.

  • Il est encore en vie, Colonel, lui dit Ariel très calmement.

Lorsqu' il tourne son attention vers elle, il trouve un sourire sardonique et un fusil à impulsion dont le canon est braqué sur lui. Le message est clair, inutile de demander à Ariel d'achever Noway.

Peu importe, il attendra son heure mais il compte bien les mettre hors d'état de nuire, tous les deux.

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