J'entendais un bruit, non une musique, le volume était faible mais je reconnaissais un des tubes électro qui passait régulièrement dans ma boite de nuit. Je souriais en pensant à Uneton Yö, ma boite de nuit à Helsinki, malheureusement l'année écoulée s'invita dans mon esprit. Je me remémorais mentalement ces événements avec tristesse et colère. Une année à suer, à apprendre, à devenir quelqu’un d'autre. Admettre l’existence des vampires, connaître leurs lois et leurs capacités. Maîtriser les armes, m’entraîner aux arts martiaux, dominer ma peur et me mouvoir en toute discrétion. J'étais sans doute l'une des moins doués du groupe, mais j'avais une excuse, la seule mortelle, pourtant les autres étaient tous plus jeune que moi. Heureusement j'arrivais à me débrouiller au tir de précision et j'étais devenu sniper.

Mes paupières étaient encore lourdes, j'avais mal au crâne et les jambes lourdes après plusieurs jours à crapahuter dans le désert. Je roulais sur le côté pour apercevoir le visage éternellement juvénile de Ingrid. Un observateur extérieur aurait pu nous croire sœur : ses cheveux blond platine, ses yeux d'un bleu cristallin, ses fines lèvres rose et son visage habituellement pâle. D’ailleurs Ingrid aurait très bien pu être une de mes ancêtres pour ce que j'en savais...en tous cas nous étions de la même famille, elle me l'avait dit. Ces derniers jours son visage avait pris une teinte cramoisie provoqué par les violents coups de soleil qu'elle avait reçu après les longues heures de marches au soleil. De fines pellicules de peau se décollaient même par endroits sur son nez et ses pommettes.

Ingrid tenait mon lecteur MP3, elle semblait perplexe. J’esquissais un sourire empreint de mélancolie.

« Tu arrives enfin à t'en servir... »

Ingrid tourna son regard cristallin vers moi.

« Merci mais je ne suis pas idiote, par contre cette… musique ?! » dit-elle en agitant la tête.

« T'es plus à la page depuis des lustres grand-mère ! Essai même pas de comprendre. » dit-je en la charriant. Elle fit la moue avant de me répondre :

« Bah t'as sans doute raison, mais ça m'intrigue quand même, tu aimes vraiment ce bruit ? »

Je tendis le bras pour attraper mon lecteur et l'éteindre.

« Ouaip j'adore ! Et j'aimerais pouvoir encore en profiter, ne me décharge pas la batterie pour rien. Pourquoi tu es là ? »

Ingrid me sourit d'un air narquois :

« Remballe ton barda c'est l'heure de repartir. »

« Putain ! je n’ai même pas mangé. Pourquoi tu ne m’as pas réveillé plus tôt. »

« Tu avais l'air d'en avoir besoin et tu pourras manger en marchant. »

Je grommelais encore alors qu'Ingrid quittais ma petite tente. Ingrid était officier de la garde des ombres et ma tutrice, elle était responsable de moi. Je me dépêchais de ranger mes affaires, pour les vêtements c'était facile, je portais les même depuis trois jours, sans même avoir le temps de les enlever le soir. Je sortais de la tente et je me dépêchais de la plier. Je regardais aux alentours pour découvrir mes camarades déjà debout, portant leurs chapeaux à larges bords, leurs uniformes sables à manches longues et des lunettes de soleil sur le nez. Ils avaient déjà remballé leur affaire et leurs gros sacs étaient sur leurs dos ou calé contre leurs jambes. J'étais encore et toujours la dernière. Je regardais du côté du Capitaine Vinter, son visage laiteux était dissimulé sous son chapeau mais je pouvais aisément deviner son regard rouge posé sur moi. C'était un vampire au tempérament aussi sec que sa musculature, un grand personnage intransigeant et au sens de l'humour inexistant. Il ne m’avait pas à la bonne, j'étais un poids inutile pour lui. Ingrid, qui avait remis son chapeau, alla se placer aux côtés du Capitaine car c'était sa place en tant qu'adjointe. Le chef-instructeur hurla alors à l'attention de tous.

« Nous sommes enfin arrivé au terme de votre instruction. La mission qui va vous être assignée constituera la dernière sous mes ordres et votre première mission opérationnelle. On se retrouve demain soir au point 20-55-53 Nord par 11-37-17 Ouest. Ingrid va vous donner vos ordres du jour et les assignations. »

Ingrid sorti un carnet de la poche de sa veste de treillis puis cria les noms des binômes. J’attendais de savoir avec qui j'allais devoir en baver toute la journée. Je priais intérieurement, me répétant le prénom d'Alistair, Alistair Alistair...

La voix d'Ingrid Hurla : « Anya et …

Alistair !

« Kim »

Et merde ! J'allais devoir encore côtoyer se gros lourdaud de Kim ! J'allais prendre d'un geste sec l'enveloppe qu'Ingrid tendait vers moi puis je cherchais Kim du regard. Il s'approchait de moi de sa démarche nonchalante, faisant rouler ses muscles volumineux. Pourtant ce jeune morveux était tous juste pubère. Il avait toujours cette attitude de gros bras qui m'horripilais. Je retournais à mon sac suivi de Kim sur mes talons. Je terminais de boucler mon paquetage avant de le jeter sur mes épaules, du moins j'essayais, les 30 kilos du sac me posais problème. Le sac retomba lourdement dans le sable brûlant du désert. Je grommelais des insanités, Kim me regarda en souriant.

« Tu as besoin d'aide ? »

Je ravalais des insultes à son encontre déjà prêtes à jaillir et je répondais en mettant mon ego de côté.

« Si tu veux bien m'aider à mettre mon sac à dos. »

Il sourit davantage et s'approcha du sac à dos, il le souleva d'une main ! Même en le sachant j'étais toujours ébahis devant les capacités des vampires. Je passais les sangles du sac que j'ajustais au mieux. Kim se racla la gorge :

« C'est OK ? »

« Vas-y lâche, ça ira. »

Lorsque Kim lâcha je sentis le poids du sac s'abattre sur mes épaules et comprimer mon dos. Les sangles appuyèrent sur mes épaules endolories et je grimaçais. Kim en profita pour me donner une tape sur les fesses puis se plaça à mes côtés comme si de rien était.

Kim étudia alors une carte placée dans une poche transparente à sa manche gauche. Les autres commençaient déjà à s'égailler d'un pas rapide à travers le désert, le capitaine et Ingrid partirent de leur côté dans un 4x4 beige et climatisé !

J'ouvrais l'enveloppe contenant nos ordres alors que Kim trépignait.

« Alors on doit faire quoi ? »

Binôme : Anya & Kim

Type de Mission : reconnaissance et sécurisation

Cordonnées : 20.715802, -11.882369

Détail de la mission : effectuer une reconnaissance des lieux puis sécuriser l'objectif de 20h à 6h. Toute présence doit être considérée comme hostile et neutralisée.

Je tendais l'enveloppe à Kim en lui parlant.

« Sécuriser un site pendant la nuit ! »

Kim regarda l'ordre, il nota les coordonnées sur sa carte puis les reporta sur son GPS avant de me rendre la feuille.

« Ok, go alors ! »

Il partit au petit trot et nous nous enfoncions dans la chaleur brûlante du désert. Je le suivais en tirant une barre de céréales de ma poche de treillis. Je mâchais lentement et entre chaque bouchée je buvais une petite gorgée d'eau sucrée depuis un tuyau accroché au col de ma veste. Rien de tel qu'un bon repas en marchant…

Une journée à avancer dans le sable sous un soleil brûlant, dès la fin de matinée j'en avait plein le dos, ou plutôt plein les jambes. J'avais le dos en compote, les jambes flageolantes et mes pieds n'étaient plus que deux plaies à vifs. J'étais si mal que Kim devait à plusieurs reprises me soutenir alors que mes jambes menaçaient de me lâcher, il en profitait bien sûr pour me peloter. Dans l'après-midi il finit par prendre mon sac alors que nous n’avancions pas suffisamment vite selon lui. Je conservais sur moi ma gourde et mon fusil de précision en bandoulière, je portais aussi le fusil d'assaut de Kim qui était suffisamment empêtré avec deux sacs à dos. Nous finissions par arriver tant bien que mal au abord d'un djebel à 3km de l'objectif.

Nous faisions une halte pour nous préparer. Je mangeais un morceau alors que Kim prenait une poche de sang dans son sac, je grimaçais en le voyant aspirer son contenu à l'aide d'un petit tuyau de plastique. Même après l'avoir vu des dizaines de fois cela me retournais toujours le ventre. Je détournais les yeux dégoûtés et je finissais tant bien que mal ma ration de combat déshydratée. Une bonne rasade d'eau là-dessus et j'étais prête. Je me tournais vers Kim, il rangeait la poche vide dans son sac.

« Prêt ?! »

« Ouaip, tu veux la jouer comment? »

« On laisse le barda là et on fait une reco, tu passes devant je te couvre avec le PSG1. »

« Ok »

Nous enterrions sommairement notre barda sous le sable au pied d'un rocher que nous marquions de quelques éraflures à l'aide d'un couteau de combat. Kim parti devant, dès qu'il atteignait ma limite de vision je lui disais de stopper et de se mettre à couvert, je progressais alors à mon tour. Nous avancions ainsi jusqu'à portée de jumelle de l'objectif. Il était déjà 18h30 et il ne nous restait plus qu'une heure et demi pour prendre et sécuriser l'objectif. Kim sortit ses jumelles alors que je retirais le cache de la lunette de visée de mon fusil. Nous étions dissimulées derrière un rocher et la cible se trouvait à 400 mètres en contrebas. Nous observions longuement le site, une bâtisse ocre en pierre et toit de palmes, le lieu semblait désert. 19H : Kim partit devant alors que je restais à mon poste d'observation. Je scrutais par intermittence les lieux et la progression de mon camarade.

Kim avançait par à-coups, le buste penché son HK416 dans les mains. Il bondissait ainsi de rocher en rocher vers l'objectif. Je ne discernais rien dans la cabane. Puis tout à coup j’aperçus un mouvement au travers d'une ouverture faisant office de fenêtre. Je signalais une présence hostile à Kim en parlant doucement dans mon micro. Je vis mon partenaire s’arrêter net et se coucher au sol, mettant en joue la maison. Je réglais mon arme pour toucher toute cible passant à nouveau derrière l'ouverture. Puis je contactais à nouveau Kim :

« Avance jusqu'à la maison par la droite et prépare toi, dès que tu es ready tu me fait signe, je tirerais alors sur la cible. »

Kim avança jusqu'à la maison tantôt en rampant tantôt en avançant courbé. Il passa par la droite, et s'agenouilla au coin du mur aveugle pour moi. Il me fit signe de la main et épaula son arme.

Je retiens ma respiration un temps qui me semble une éternité, rien… Une forme, j’appuie sur la détente, je ressens dans mon épaule le recul de l'arme. J’entends le bruit caractéristique de mon arme assourdit par le silencieux, je sens l'odeur de poudre. La cible s'effondre et disparaît de mon champ de vison.

Tout à coup le silence est brisé. Des hurlements provenant de la bicoque. Je bouge mon arme vers mon camarade, il tire depuis l'angle du mur sur des cibles que je ne vois pas. J'attends sans rien ressentir, sans peur ni inquiétude, je suis dans l'instant, concentrée sur les événements. Je scrute les alentours je décèle un nouveau mouvement à gauche de la maison, un ennemi tente de prendre à revers mon partenaire, je le mets en joue, je cesse de respirer et mon arme tressaille à nouveau. L'homme s'effondre au sol sans vie. Je reviens sur la position de Kim, je ne le vois plus. Des détonations retentissent à nouveau suivit d'un silence de mort. J’attends quelques secondes avant de parler au micro.

« Kim ? Situation ? »

Un silence qui me paraît une éternité est enfin suivi de la voix de Kim.

« Objectif clair. Trois cibles au tapis. »

« Bien reçu. Je vais changer de position pour couvrir la porte d'entrée de la bicoque. »

« Ok et … bien joué mémé. »

« Appel moi encore mémé et la prochaine cible au tapis se sera toi ! »

Je l’entends rire nerveusement, je me lève et je prends mon arme, j'avance sur la pente des collines rocheuses qui forment un arc de cercle sur trois côtés de la maison. En marchant dans cette caillasse je réalise alors que j'ai tué deux personnes. Je sens mon ventre se nouer, une bouffée froide et acide remonte de ma trachée j'ai un goût atroce dans la bouche, je crache au sol avant de serrer les dents, je me retiens de vomir. J'avance maintenant lentement jusqu’à une position à 300 mètres face à l'entrée de la maison. Je vois Kim assis à côté de l'entrée, il a son fusil d'assaut posé en travers des genoux, je ne distingue pas les traits de son visage mais je crois que son corps est pris de soubresaut. Je me mets en place, je règle le bipied pour viser l'entrée, je regarde dans la lunette et je vois le visage crispé de Kim, il essuie des larmes qui lui roulent sur les joues.

« Kim ? Ça va ? »

« Putain de sable, j'en ait pris dans la gueule... »

Je ne peux m’empêcher de sourire devant la mauvaise foi de mon compagnon, mais je sais ce qu'il ressent et je m’abstiens de tout commentaire.

« Ok, je suis en position. On n'a plus qu'à passer la nuit. »

« Un jeu d'enfant. » me dit-il d'un ton qui me semble déjà désabusé.

La nuit se passa sans anicroche. Le lendemain nous allions récupérer nos sacs à dos pour partir jusqu'au point de rendez-vous. La marche fut silencieuse, Kim m'aida à nouveau à mi-parcours pour porter mon sac à dos.

Lorsque nous arrivions au point d'extraction nous étions encore les derniers. C'était la dernière étape de notre formation, une vraie mission de combat, la première fois que je tuais, malheureusement ce ne fût pas la dernière...