La neige tombait au creux des mains d'Agathe. Des petits nuages doux dans un monde à l'arrêt. La longue robe ondulait au grès de ses mouvements, le tissu flottant à la manière d'un océan soyeux. La jeune fille leva la tête vers le ciel, ses cheveux sombres agités par une brise douce et perçante. La nuit tombait doucement, et la lune enveloppait la campagne de sa clarté laiteuse.

Agathe marchait d'un pas souple sur un chemin de terre, ses doigts effleurant les herbes hautes. Elle laissait son coeur et son instinct la guider à travers ces champs qui l'avaient vu naitre. Qui l'avaient vu chanter et danser sous la pluie. Qui l'avaient vu aimer du plus profond de son âme.

Et soudain, elle l'aperçut. Le banc sous la lune, la pierre qui brillait comme un soleil. Agathe s'assit doucement, ses pieds dans la neige commençaient à être mouillés, mais elle n'y prêtait pas attention. Elle était là pour attendre.

• comment vas-tu, aujourd'hui ? demanda-t-elle dans un souffle. Il fait froid en ce moment, je crois que l'hiver est définitivement là. C'est une bonne chose, la neige est belle. Elle transforme le paysage, nous fait ressentir chaque émotion plus intensément. Plus clairement. Tu ne trouves pas ?

Comme pour lui répondre, le vent morda ses épaules nues. Clarté glaciale. Agathe parla un moment, puis laissa le temps à son interlocuteur de s'exprimer. Elle ne se lassait pas de ses mumures au creux de son oreille, de ses caresses contre sa peau. Elle laissait ses mains l'envelopper et la rassurer.

• J'ai de moins en moins de temps pour venir te voir, tu sais, finit-elle par dire, désolée. Mon travail au village m'accapare beaucoup. ll faut dire que j'occupe une place importante, et c'est grâce à toi. Tu m'as toujours permi de puiser le meilleur en moi, même quand je pensais qu'il n'y avait que les ténèbres. Car tu m'as appris que les ténèbres ne sont pas forcément synonyme de mal. Que finalement la lumière est au fond de nous, toujours.

La neige tombait de plus en plus drue. Agathe se leva et tourna sur elle-même, laissa les flocons tomber sur ses cheveux, glisser le long de sa nuque et lui procurer une intense sensation de joie. Un éclat de rire s'éleva de sa gorge, en parfaite harmonie avec le silence.

Et Agathe se mit à danser. Elle étendit ses bras à la manière d'un cygne sur le point de s'envoler, ses jambes glissant sur le sol tel des lames affutées. C'était beau. C'était doux, gracieux. La jeune fille ne dansait jamais, en dehors de ses rendez-vous secrets. Elle se réservait pour les étoiles, ses plus fidèles spectatrices, qui éclairait la campagne comme s'il s'agissait d'une scène de ballet.

Agathe était heureuse. Vraiment heureuse. Comme il lui arrivait rarement de l'être, maintenant. Elle faisait ce qu'elle voulait, sans ce soucier de ce que diraient les autres villageois, sans se résigner à faire ce qu'il fallait être fait. Elle était libre, encore ce soir.

• J'ai hâte de pouvoir te rejoindre. Qu'on voyage ensemble toi et moi, par-delà les océans et les nuages. Que plus rien ne nous retienne. Ce sera pour bientôt, ne t'en fait pas.

Oui. Bientôt, je rentrerai à la maison, murmura Agathe en tournant les talons, ses pas crissant dans la neige comme un dernier gémissement de quelqu'un qu'on abandonne.

Elle laissait derrière elle sa seule amie, celle qui la comprenait et savait la réconforter. Celle qui connaissait tous ses secrets et qu'elle venait retrouver en cachette aussi souvent qu'elle le pouvait. Agathe grandissait.

Mais elle n'arrêterait pas moins de venir danser avec la nuit.